Veillez donc

        PREMIER DIMANCHE DE L’AVENT (A)

 

Evangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 24,37-44
 

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « L’avènement du Fils de l’homme ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque de Noé. A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. Deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre est laissé. Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra. Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Tenez-vous prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra ».

oOo

Nouvel An

 

En ce premier dimanche de l’Avent, nous embarquons, tous ensemble, pour la durée d’une nouvelle année liturgique. Une année où nous allons marcher encore à la rencontre du Seigneur. Cette année, ce sera Matthieu, l’évangéliste, qui nous rapportera, dimanche après dimanche, les enseignements de Jésus. Mais il ne sera pas seul. Il y aura aussi les prophètes de l’Ancien Testament, Isaïe dès aujourd’hui, d’autres fois Ezéchiel ou Jérémie. Il y aura quelquefois Jean, l’ami de Jésus, souvent Paul ou d’autres apôtres « comme autant de frères aînés », pour nous encourager, pour nous conseiller.

Et dès ce matin, retentit comme un coup de trompette : « Il est temps de vous réveiller », nous crie l’apôtre Paul. « La nuit s’achève, le jour est proche. Réveillez-vous, habillez-vous ». Pourquoi ? Parce que « le Seigneur vient ». L’Evangile nous le dit. Paul nous le répète. Essayons d’entrer dans l’intelligence de ce que dit à chacun de nous, aujourd’hui, la Parole de Dieu,.

Le temps du désir

On dit : « L’Avent, c’est le temps de l’attente ». Je préfère dire, parce que c’est plus dynamisant : « L’Avent, c’est le temps du désir ». Je m’explique.

Il y a une vingtaine d’années, je participais à une session de formation permanente, et l’animateur de cette session, un prêtre, répétait sans cesse, comme un slogan : « Il faut aller au bout de ses désirs ». Au début, cette réflexion m’étonnait, me choquait même. L’éducation qu’a reçue ma génération, et bien des générations qui l’ont précédée, allait exactement dans le sens contraire. Pratiquement, le désir était quelque chose de mauvais, qu’il fallait refréner, si l’on voulait devenir un homme et un chrétien. Il fallait s’exercer à une entière maîtrise de soi-même, mater son corps, dominer ses passions... bref, une éducation du stoïcisme, et presque, à la limite, du « refoulement ». Donc quelque chose d’assez dur et pas tellement épanouissant. Une éducation de la volonté. On a tous essayé, et certes de tels moyens ont formé des hommes courageux, parfois aussi des saints... Mais souvent aussi nous avons fait l’expérience de notre faiblesse. Bref, voilà qu’un homme, un prêtre, vient nous dire, alors que nous sommes dans la force de l’âge : « Il faut aller au bout de ses désirs ». Est-ce seulement un slogan « post-soixante-huitard » ? Ou est-ce vraiment un chemin de sainteté ?

Aujourd’hui, après des années de réflexion, je crois pouvoir dire que c’est vraiment un chemin de sainteté. Encore faut-il bien comprendre le sens du propos.

Plus qu'un besoin

J’ai compris, d’abord, que le désir était plus que l’expression d’un besoin. Le petit bébé, quand il a faim, se met à crier ; quand il a soif, il pleure. Le petit bébé exprime en criant ses besoins élémentaires, ses besoins physiologiques. Et sa maman lui donne le biberon. Mais le petit bébé ne se contente pas de cela. Il a besoin - et c’est quelque chose de plus gratuit - qu’on lui parle, qu’on lui dise des petits mots d’amour, qu’on le caresse...

De même, chez tout être humain, il y a, à côté de ses besoins élémentaires, l’expression de ses désirs. Une barre de chocolat, on la mange, mais presque aussitôt renaît le désir... Vous savez tous comment on réagit devant une boite de chocolats. Il y a le désir. Le désir de l’avoir est inscrit en chacun de nous. C’est naturel. C’est ce qu’on appelle en psychologie l’avidité, c’est-à-dire le désir d’avoir, de posséder. Cette avidité, selon les psychologues, est mesurable. Elle est plus ou moins forte selon les individus, mais elle existe toujours. Je désire des objets : je veux un vélo, une nouvelle télé, un magnétoscope ou une nouvelle paire de skis. Je veux avoir.

Notre désir d’avoir ne se limite pas à des objets. On désire aussi des personnes. Je désire une femme. Une femme désire un homme. Et tout mon désir se porte vers cette personne. Et si je n’y prends garde, je désire l’avoir, c’est-à-dire la posséder. Et j’en fais une « femme-objet », un « homme-objet ». Cela ne va pas loin. Ca casse, dans la plupart des cas. Si bien que je me rends compte facilement que mon désir n’est pas seulement dans l’avoir, la possession, puisque ça ne satisfait pas tout ce que je désire. D’autant plus que j’ai toujours fait l’expérience des limites mêmes de mon désir. Le désir, d’ailleurs, est plus grand, plus fort, plus porteur, plus moteur, que la possession. J’ai une nouvelle chaîne hi-fi : tant que je l’ai désirée, je ne cessais d’y penser, et maintenant qu’elle est là, je n’y touche plus. C’est un peu la même chose dans les relations interpersonnelles, si on reste dans l’ordre de l’avoir.

Un désir profond

Donc, je vais pousser mon désir plus loin, plus haut. Et non plus désirer posséder, avoir quelqu’un, ce qui serait anormal et même, à la limite, animal. Je vais désirer une relation, une communication avec l’autre. Je vais désirer la rencontre avec l’autre. Une rencontre qui pourra aller jusqu’à la communion. Ainsi mon désir s’est transformé, s’est purifié. Il a pris une tout autre résonance, il est bien plus grand que le désir élémentaire de l’avoir. Mon désir de rencontre, quel qu’il soit, n’est pas limité à une seule personne. Il peut s’épanouir. Il y a, entre autres, le désir d’avoir une autre situation, le désir de vivre un monde meilleur. Le désir de la paix. Le désir de lutter contre des situations d’injustice. Il y a tous ces désirs que je formule sans cesse et qui me mettent en marche, qui sont moteurs, dans mon existence.

Eh bien, supposons que cette deuxième forme de désir soit réalisée parfaitement. Par exemple dans un couple. Même là, il arrive qu’on soit insatisfait. Non parce qu’on serait un « perpétuel insatisfait », mais parce qu’on sent qu’il y a quand même un manque. Saint Augustin a très bien exprimé ce manque, quand il a dit : « Nous sommes ainsi faits que notre cœur ne sera jamais en repos, tant qu’il ne se reposera en Toi, Seigneur ». Eh oui, c’est Lui qui nous dit aujourd’hui : Je suis le seul à pouvoir apaiser enfin ton désir insatiable de rencontre, de bonheur, d’amour. Je suis celui qui viens à toi.

Je me tiens à la porte...

Evidemment, vous penserez peut-être : « cela, c’est du baratin ». Et c’est effectivement pour vous une parole vide de sens si, pour vous, la vie se résume, comme pour les contemporains de Noé, à « manger, boire, se marier ». Si votre vie tourne en rond et ronronne. Si vous avez tué le désir.

Oui, ce sera une parole vide de signification si votre désir n’a d’autre objet que l’avoir et la possession. Vous retomberez sans cesse dans l’ennui. Il n’y a pas de débouchés.

Mais si votre désir est un désir vrai de rencontre interpersonnelle, de communication, d’échange, de communion, Jésus est là pour vous dire : Je suis prêt à répondre à ta demande. « Je me tiens à la porte et je frappe ». Je viens... si tu es un homme de désir.

Et tout de suite, je révèle, à ceux qui se demandent : « Comment une telle rencontre peut-elle se faire ? », la fin de l’histoire, telle que nous l’entendrons dans un an, au dernier dimanche de cette année liturgique qui commence. Jésus dit : Au dernier jour, lors de la rencontre définitive, je te dirai : Tu te rappelles, j’ai eu faim, et tu m’as donné à manger, j’ai eu soif, et tu m’as donné à boire, j’étais malade, et tu es venu me visiter. Tu diras peut-être : « Mais je ne t’ai pas reconnu ». Et Jésus te répondra : « Mais si ! Je suis venu à toi tous les jours, et tu m’as rencontré, en la personne de tous ces petits ». Ah, si tous les jours de cette année, nous pouvions désirer cette rencontre, ces rencontres ! Oh oui, viens, Seigneur Jésus.

 

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