Une "Théologie pour les nuls"

L'EUCHARISTIE

10e séquence : Vienne ton Esprit, Seigneur

 

Question de langage.


Avant d'aborder notre sujet proprement dit : "Le Saint Esprit et l'Eucharistie", il nous faut bien préciser le sens du mot "esprit" dans la Bible. Au point de départ, le mot employé en hébreu, "ruah" , signifie "le vent". En grec, on a traduit par "pneuma", qui signifie à proprement parler la respiration. S'il fallait traduire d'une façon précise ce mot hébreu et ce mot grec, on pourrait employer le mot "souffle", qui désigne aussi bien la respiration que le vent. On trouve ce mot dès la première page de la Bible : "Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux". Et le psaume 103 précise : "Tu envoies ton souffle : ils sont créés". Souffle, respiration : on pourrait donc dire "vie même de Dieu", communiquée à toute la création. Et en effet, il s'agit bien d'une "animation" de tout le monde créé, qui reçoit le souffle, donc la vie, de la puissance créatrice de Dieu. Pas seulement la vie, au sens habituel du terme, mais la vie divine.

 

Dans toute la Bible.   

Effectivement, on trouve dans l'Ancien Testament de nombreux passages qui décrivent ainsi l'action de l'Esprit. D'abord sur les choses, comme dans le récit de la création que nous venons d'évoquer. Mais également sur des personnes. Sur David par exemple, au moment où Samuel lui confère l'onction royale à Bethléem : "L'Esprit du Seigneur fondit sur David à partir de ce jour" (1 Samuel 16, 13). Et aussi sur tout le peuple, qui est créé, puis re-créé par l'esprit de Dieu : "Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois" (Ézéchiel 36, 27).

Dans le Nouveau Testament également. Au jour de l'Annonciation, l'ange dit à Marie : "L'Esprit Saint viendra sur toi". Et Marie a conçu Jésus "par l'opération du Saint Esprit".
Au jour de son propre baptême, "l'Esprit Saint descendit" sur Jésus et la voix du Père le confirma dans sa mission de Fils bien-aimé.
Au matin de la Pentecôte, les Apôtres "furent tous remplis de l'Esprit Saint" pour devenir le nouveau peuple de Dieu.
Venons-en donc à l'Eucharistie.
Épiclèse.

Mot bizarre ! C'est, en fait, un mot grec qui signifie "appeler sur". Mot technique, utilisé par les spécialistes de la liturgie pour désigner deux invocations qui se trouvent dans les prières eucharistiques, la première avant, la deuxième après la consécration. Avant la consécration, le prêtre demande à Dieu de "sanctifier les offrandes par son Esprit, pour qu'elles deviennent le corps et le sang du Christ". Après la consécration, il demande que "ceux qui vont partager ce pain et boire à cette coupe soient rassemblés par l'Esprit Saint en un seul corps".
Épiclèses : "appel sur" les offrandes, puis "appel sur" l'assemblée. Dans les deux cas, on demande à l'Esprit Saint de venir sur des choses (le pain et le vin) puis sur des personnes (ceux qui vont participer au repas) pour opérer en eux une véritable transformation. Pratiquement, pour leur communiquer la vie divine.
Chose curieuse... !

Chose curieuse, jusqu'à la réforme liturgique introduite par le Concile Vatican II en 1965, l'unique Prière Eucharistique utilisée dans l'Église catholique (actuellement notre Prière Eucharistique n° 1) ne comportait pas d'invocation à l'Esprit Saint. Décidément, il était le "grand inconnu" de la liturgie eucharistique, puisqu'il n'y avait aucune des deux "épiclèses" ! Par contre, dans les liturgies orientales (orthodoxes et catholiques) ces invocations ont toujours existé, souvent groupées en une seule. La "divine liturgie de saint Jean Chrysostome" est ainsi rédigée : "Envoie ton Esprit saint sur nous et sur les dons ici présents, et fais de ce pain le précieux corps du Christ, en le changeant par ton Esprit saint afin qu'il devienne pour ceux qui y participent purification de l'âme..."
Ouvrez votre missel : vous trouverez les deux invocations à l'Esprit Saint, encadrant le récit de la Cène, dans (presque) toutes les nouvelles prières eucharistiques. Si les pères du Concile ont introduit au moment du concile les deux appels à l'Esprit Saint dans la liturgie eucharistique, c'est qu'ils jugeaient cette demande très importante. Pourquoi ?
Qui fait quoi ?

Par quelle "opération" le pain et le vin sont-ils transformés pour devenir le corps et le sang du Christ ? Malgré leurs différences d'expression, les Églises, aussi bien en Orient qu'en Occident, ont toujours pensé que les paroles du Christ, redites à la consécration, transformaient le pain en corps du Christ et le vin en sang du Christ. Saint Ambroise déclare : "Le Seigneur lui-même clame "Ceci est mon corps". Et saint Jean Chrysostome : "Ce n'est pas un homme qui fait que les offrandes deviennent corps et sang du Christ, mais c'est le Christ lui-même, lui qui a été crucifié pour nous. Le prêtre se tient là, prononçant les paroles, mais la puissance et la grâce sont de Dieu. Il dit "Ceci est mon corps" et cette parole transforme les offrandes".
Mais alors, l'Esprit Saint, que fait-il ?


Deux sensibilités.

Si l'Occident (l'Église catholique), plus rationaliste, s'en est tenu à cette conception, selon laquelle ce sont les paroles dites sur le pain et le vin qui "font le sacrement", l'Orient n'a jamais voulu réduire la consécration à une opération ponctuelle, quasi magique. Pour lui, il n'est pas pensable que l'on imagine que le pain puisse être changé en corps du Christ sans que l'Esprit qui sanctifie toutes choses ait été invoqué.
Depuis longtemps, les spécialistes en histoire des liturgies s'en étaient rendu compte. Il a fallu qu'arrive le concile Vatican II. Alors nos liturgies eucharistiques se sont enrichies de ces deux appels à l'Esprit Saint, avant et après le récit de la Cène, comblant ainsi le vide qui existait dans l'unique Prière Eucharistique (qui datait du concile de Trente), que les traditionalistes appellent la "messe de saint Pie V". Il n'y a pas de consécration sans que l'Esprit saint ne soit invoqué.


Consacrés par l'Esprit.

Le rôle de l'Esprit Saint dans l'Eucharistie ne se limite pas à l'endroit où il est nommé. Rappelez-vous ce que je disais au début : dans la Bible, on voit l'Esprit à l'œuvre, aussi bien pour la création des choses que pour la consécration d'une personne ou pour la re-création d'un peuple. Aussi, dans chaque prière eucharistique, nous demandons que l'Esprit, qui rendit présente la Parole dans le sein de Marie au jour de l'Annonciation et dans le sein de l'Église le jour de la Pentecôte la rende présente dans le sein de chaque Assemblée eucharistique. Dans l'Eucharistie, c'est l'Esprit Saint qui permet au Christ ressuscité de se rendre présent par le pain et le vin ; et c'est l'Esprit Saint qui, comme à la Pentecôte, permet aux hommes et aux femmes qui communient de devenir "corps du Christ", peuple nouveau. Ces deux actions de l'Esprit créateur sont liées : le but de l'Eucharistie, c'est qu'en consommant le corps du Christ, des hommes et des femmes soient consacrés comme membres du corps du Christ. "Devenez ce que vous recevez", écrit saint Augustin. Collectivement, nous sommes le corps du Christ comme le pain consacré est le corps du Christ, mais sous une autre apparence. "Puisqu'il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps, car nous participons à cet unique pain" (Première lettre aux Corinthiens 10, 17). Conclusion : puisque le corps est ce qui sert à être vu, entendu, à communiquer, nous devons prendre conscience de notre responsabilité collective dans le monde où nous vivons.

 

Re-création. "Nous sommes tous un seul corps"

Dans la liturgie orthodoxe, l'appel au Saint Esprit sur l'Assemblée qui communie se termine par ces mots : "Que le Corps précieux de ton Christ, que le Sang précieux de ton Christ...deviennent pour ceux qui les reçoivent sobriété de l'âme, rémission des péchés, communion de ton Saint Esprit, plénitude du Royaume des cieux." La descente du Saint Esprit sur les dons est demandée en vue de la transformation des personnes. Et la liturgie de saint Basile précise en demandant que l'Esprit Saint "nous unisse les uns aux autres dans la communion à l'unique Saint Esprit". C'est alors que nous devenons Église, tout comme les disciples au jour de la Pentecôte. L'épiclèse, c'est vraiment la Pentecôte qui continue.


Baraka.

Suite logique de cet "appel à l'Esprit Saint", la Prière Eucharistique va se poursuivre et s'achever par plusieurs prières d'intercession, qui sont une reprise de la troisième partie de la prière de bénédiction (Berakah) que les juifs utilisent pour chaque repas familial. Dans cette troisième partie, après avoir loué, puis remercié Dieu, le père de famille demande à Dieu, le prie pour quantité d'intentions. De même, le prêtre prie en notre nom pour l'Église, le pape, les évêques, le peuple chrétien, les défunts et enfin pour la communauté qui célèbre. C'est donc l'Église tout entière, terrestre et céleste, qui se retrouve dans l'unité de la foi et la communion du Saint Esprit, grâce au mystère eucharistique. Comme dans le Credo, l'invocation au Saint Esprit débouche sur l'unité de l'Église.
Relisez les formules utilisées dans les prières eucharistiques (notamment II, III et IV). Vous verrez que derrière les généralités que ces mots expriment (charité, salut, paix, foi, offrande...), c'est bien de la vie très concrète des chrétiens dans le monde qu'il s'agit. Nous en reparlerons, je le pense. Pour aujourd'hui, terminons en accueillant la belle expression de saint Paul dans la lettre aux Romains : "Nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps dans le Christ, et nous sommes tous les membres les uns des autres". Oui, nous sommes tous responsables les uns des autres, c'est pourquoi nous pouvons survivre. Cette unité de tous, dans le corps du Christ, s'appelle
la Communion des saints.

 

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