« Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. »

      DIXIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 7, 11-17 

Jésus se rendait dans une ville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui ainsi qu’une grande foule. Il arriva près de la porte de la ville, au moment où l’on transportait un mort pour l’enterrer ; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule considérable accompagnait cette femme. En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle, et lui dit : « Ne pleure pas. » Il s’avança et toucha la civière ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. » Alors le mort se releva, s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » Et cette parole se répandit dans toute la Judée et dans les pays voisins.

oOo 

C’est une bonne nouvelle que Dieu nous adresse aujourd’hui. Mais il faut entrer dans l’intelligence de cette bonne nouvelle. Je voudrais, pour cela, faire trois remarques. 

Quelques signes

La première, c’est que Jésus, durant les années de sa vie terrestre, n’a pas ressuscité tous les morts. il n’a fait que deux ou trois résurrections. Ce sont de simples signes, des gestes que Jésus a faits pour dire quelque chose à ceux qui en ont été témoins, et à nous aujourd’hui. De même, il n’a pas guéri tous les malades : il a fait quelques guérisons qui sont autant de signes qui doivent nous dire quelque chose. C’est ma première remarque. Elle est importante : il s’agit de bien comprendre ce que Jésus a voulu nous dire. 

La détresse la plus extrême

Deuxième remarque : pour entrer dans l’intelligence de la Bonne  Nouvelle, il faut essayer de nous mettre à la place de cette veuve qui vient de perdre son fils. L’Evangile nous y invite. La condition des veuves, à l’époque, était une condition de misère. C’était ce qu’il y avait de pire. La Bible, d’ailleurs, recommande souvent de s’occuper de la veuve et de l’orphelin, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus pauvre. Il n’y avait pas de protection sociale, bien sûr. La veuve n’avait souvent rien pour vivre. Jusque là, la veuve de Naïm avait une chance : son fils. Economiquement parlant, c’était important : elle avait de quoi vivre. Et sur le plan affectif, elle n’était pas seule : son fils était pour elle comme une présence continuée de son mari, comme le témoin d’un grand amour. Et son fils meurt ! Mettez-vous à la place de cette femme. Elle est maintenant dans la détresse la plus extrême. Son horizon est totalement bouché. il n’y a plus aucun avenir pour elle. C’est comme si elle était morte, elle aussi. 

Or Jésus - Dieu - s’arrête. Il ne passe pas à côté de cette détresse. Il est « saisi de pitié ». Dieu, c’est celui qui est saisi de pitié face à la détresse humaine. L’expression française « saisi de pitié » est faible pour traduire le mot original, qui évoque le sein maternel, l’amour maternel. Dieu éprouve des sentiments de tendresse maternelle et de compassion pour ceux qui sont dans la détresse. Le croyons-nous ? 

Deux cortèges

Jésus arrive donc dans ce village de Naïm, et ma troisième remarque est celle-ci : avez-vous remarqué que l’évangile nous présente deux groupes, deux foules, qui se rencontrent à la porte de la ville. La foule qui suit Jésus, joyeuse, nombreuse, se dirige vers la ville, c’est-à-dire vers le lieu de la vie. L’autre, au contraire, sort de la ville et va vers le lieu de la mort. Jésus les arrête à la porte de la ville, au lieu de la rencontre. Que veut-il nous dire ? Que veut-il dire à ces gens ? 

A la foule joyeuse qui va vers la vie, il dit : « Vous n’avez pas le droit de passer à côté de la souffrance, de la détresse, de la misère humaine, sans vous arrêter. Moi, Dieu, je m’arrête. Mes disciples, eux aussi, doivent s’arrêter. Mais en même temps qu’il oblige la foule de ses disciples à s’arrêter, il arrête l’autre foule, également considérable, qui accompagne le mort vers le cimetière, vers le lieu de la mort. Il barre le chemin à la mort. « Je suis ici pour que les gens aient la vie ». 

Sarepta

Vous avez sans doute remarqué les gestes du prophète Elie dans le récit de la résurrection du fils de la veuve de Sarepta. Il prend dans ses bras le cadavre de l’enfant, monte dans sa chambre et se recroqueville sur le corps, comme s’il voulait épouser la mort. Jésus, lui, ne fera pas que mimer cela. Il épousera vraiment notre mort. Pour vivre jusqu’au bout toutes les solidarités humaines, mais aussi dans une volonté de libération. Après avoir dit à la veuve : « Ne pleure plus », il dit au jeune homme : « Lève-toi ». Ce mot « lever » est l’un de ceux qu’emploieront les témoins de la résurrection de Jésus pour dire cet événement inouï. Comme Jésus, le mort est relevé. Il s’assied et il parle. 

Dieu est celui qui, non seulement compatit à toute souffrance humaine, mais encore veut nous en libérer. 

Revenons encore une fois au récit de la résurrection du fils de la veuve de Sarepta. Vous avez peut-être remarqué que cette femme, s’adressant à Elie, lui dit : « Homme de Dieu, tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils ». Elle est dans la mentalité qui est encore très souvent, hélas, la nôtre : Dieu est à l’origine du mal, du malheur, de la souffrance, de la mort. Combien d’entre nous, pour ne pas dire tous, n’ont-ils pas pensé, un jour ou l’autre : « C’est le Bon Dieu qui m’a puni ! Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive telle chose ? », ou encore : « C’est la volonté de Dieu ». C’est exactement ce qu’exprime la veuve de Sarepta. Mais c’est une païenne, et elle est encore dans la mentalité de l’Ancien Testament. Dans le récit de la résurrection du jeune homme de Naïm, il n’y a pas cela. Avec Jésus, nous sommes au temps de l’accomplissement : il y a simplement, clairement présentée, une évidence : Dieu est pour la vie, contre la mort.

Aujourd'hui

Mais nous, où en sommes-nous ? Dans l’Ancien ou dans le Nouveau Testament ? Croyons-nous vraiment en un Dieu vivant, ou en un Dieu qui punit et qui fait mourir ? Je pense que tous, qui que nous soyons, avons à faire un long cheminement pour passer du temps du soupçon, du temps de la peur, au temps de la confiance, au temps de la foi. En tout cas, c’est une question qu’il faut nous poser.

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