Une "Théologie pour les nuls"
L'EUCHARISTIE
11e séquence : Il vous envoie !
Selon saint Luc…
On lit souvent le récit des Pèlerins d'Emmaüs en omettant la fin, qui est peut-être le passage le plus important. Ce récit (Luc 24, 13-35) est comme un modèle de toute célébration eucharistique. On y retrouve tout ce que nous avons détaillé dans les précédentes séquences : le rassemblement autour du Seigneur, la liturgie de la Parole, la liturgie de la fraction du pain… Et même, ce qui me paraît plus important, ce récit est comme un symbole de ce qui se passe tout au long de notre vie : notre existence quotidienne est comme un chemin, parfois pénible, décevant, avec ses moments d'incertitude, de doute. Le Seigneur y est présent, il marche avec nous, même si "nos yeux sont empêchés de le reconnaître". Jusqu'à ce que nos yeux puissent le reconnaître "à la fraction du pain", quand nous pratiquons l'hospitalité, l'accueil de l'étranger. Alors nous nous apercevons que l'étranger qui n'a cessé de marcher avec nous est bien le Seigneur ressuscité. Voilà ce qu'est pour nous chaque messe du dimanche après une semaine de travail. Mais il ne faut pas en rester là. Si nous poursuivons le récit, nous verrons que les deux camarades, après avoir reconnu le Seigneur dans l'auberge d'Emmaüs, ne vont pas se coucher. Ils repartent dans la nuit à Jérusalem pour annoncer aux frères : "C'est vrai ! le Seigneur est vraiment ressuscité". Le départ en mission est la conclusion normale de toute participation à l'eucharistie.
Selon saint Matthieu.
L'évangile de la résurrection selon saint Matthieu dit autrement la même évidence. Aux femmes qui vont au tombeau le matin de Pâques, l'ange annonce : "Vous cherchez Jésus, le crucifié ? Il n'est pas ici. Il est ressuscité. Et voici qu'il vous précède en Galilée. C'est là que vous le verrez". Il n'est pas ici. Donc, le ressuscité n'est pas là où l'on est, là où on croirait qu'il est. Il n'est pas là où la communauté est rassemblée. Il est ailleurs. Où ? "Il vous précède en Galilée". Pour les premiers lecteurs de Matthieu, qui étaient d'origine juive, la " Galilée des nations ", c'était une région semi-païenne. Donc, le ressuscité est dans le monde païen avant même que les disciples y soient. C'est dans ce monde païen qu'ils le trouveront, et non pas là où ils sont rassemblés ! Que voilà une extraordinaire " délocalisation " ! Tout rassemblement pour célébrer le Seigneur ressuscité, et en premier lieu l'eucharistie, envoie les chrétiens en monde païen. C'est là qu'après l'assemblée le Seigneur se trouve et attend les siens pour se manifester à eux.
Selon saint Jean…
Toute célébration de l'eucharistie nous envoie donc " en mission ". Mais de quelle mission s'agit-il ? Eh bien, il ne s'agit pas d'abord de prêcher. Il n'est même pas question, de prime abord, d'annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus. La mission, si nous suivons saint Jean, c'est autre chose. Il ne parle pas d'aller "en Galilée" ni "dans le monde entier ". Et pourtant, ce qu'il demande aux disciples dans son évangile n'en est pas moins une mission. Non pas en paroles, mais en acte. Disant cela, je pense au récit du dernier repas, tel que nous le raconte saint Jean. Chose stupéfiante, il ne parle pas de l'institution de l'eucharistie. Pour quelle raison, nul ne le sait. Je me demande si ce n'est pas tout simplement parce que les trois autres évangiles, rédigés bien avant lui, en avaient parlé. Toujours est-il que son silence pose question. En revanche, Jean est le seul à nous rapporter un autre geste que Jésus a fait en ce repas : le lavement des pieds. On sait que cette tâche était réservée aux esclaves. La réaction de Pierre montre bien que le fait que Jésus, le Maître, l'accomplisse, a paru scandaleux, et à tout le moins déplacé. Or, ce geste, non seulement Jésus le fait, mais il demande à ses disciples de le faire aussi et il emploie à cet effet une formule proche du "Faites ceci en mémoire de moi". Il dit : "Ce que j'ai fait pour vous, faites-le vous aussi".
Ne croyez-vous pas qu'il y a là un message capital pour notre conception de l'eucharistie et pour notre façon de la vivre ? Nous ne pouvons pas prendre l'eucharistie telle que nous la présentent Matthieu, Marc, Luc et Paul, sans prendre aussi le lavement des pieds de Jean. Le service des autres, jusqu'à un abaissement comparable à celui du Maître lavant les pieds de ses disciples, devient une partie intégrante de toute pratique de l'eucharistie. La messe ne se termine pas avec la salutation du prêtre: "Allez dans la paix du Christ". La messe se continue dans la vie de tous les jours, où les chrétiens "pratiquants" ont à mettre en pratique, donc, à être missionnaires, non pas d'abord en paroles, mais en premier lieu par leur manière de "servir" leurs frères, et d'une façon plus globale, de servir le monde.
Allez dans la paix du Christ ?
Pourquoi avoir remplacé l'ancienne formule latine "Ite Missa est" par cette invitation : "Allez dans la paix du Christ" ? Je me le demande. Pourtant, les spécialistes liturgiques savaient bien toute la portée du mot "missa" en latin. On avait traduit par "messe", et c'est passé dans le langage courant, si bien qu'aujourd'hui encore on dit : "Je vais à la messe". Pourtant, le mot "Missa" est proche du mot "Mission". Donc, beaucoup plus dynamique que notre "Allez dans la paix du Christ", qui peut n'être qu'un souhait de bonheur confortable, et même individualiste. Tandis que "Allez en mission…c'est la mission qui commence…Vous devez être missionnaire", cela avait quand même plus d'allure, et cela renvoyait les chrétiens à leur responsabilité première. L'eucharistie continue dans la vie quotidienne. "Allez" : ce mot répond assez bien aux multiples "va" de l'évangile, ces remises en marche d'hommes stoppés. Dieu nous donne la force de la marche vers la vie, vers nos frères, vers les païens de notre temps. "Il nous précède en Galilée". Il nous y attend. En marche. "Allez" !