Homélie pour le 14 juin

(11e dimanche ordinaire B)


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 4, 26-34)

En ce temps-là, parlant à la foule, Jésus disait :
« Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence :
nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment.
D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi.
Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »
Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ?
Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ?
Il est comme une graine de moutarde :
quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences.
Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ;
et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel
peuvent faire leur nid à son ombre. »

Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole,

dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre.
Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.

 

Homélie

Silence ça pousse ! Tel est le titre qui m’est venu naturellement en méditant les textes de ce jour. Ce titre emprunté à une célèbre émission de jardinage sur France 5, me semble être en effet l’essentiel à retenir de cette homélie. Par conséquent, vous serez en mesure de répondre facilement à tous ceux qui vous demanderont de quoi a parlé le curé aujourd’hui dans son homélie : « silence, ça pousse » pourrez-vous dire tout simplement.

Dans la 1er lecture, le prophète Ezéchiel, en déportation avec son peuple, va trouver des mots magnifiques pour soutenir le moral de ses frères d’exil en exprimant de façon poétique le grand vœu de Dieu-le-Jardinier : « À la cime du grand cèdre, je prendrai une tige ; sur la haute montagne d’Israël je la planterai. Elle portera des rameaux et produira du fruit, elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches, ils habiteront ». Superbes paroles pour décrire la vocation d’Israël au milieu des nations : à la fois porter du fruit et en même temps, permettre aux nations païennes (symbolisées par les oiseaux) de s’abriter sous son ombre et cela, sans distinction de race ou de religion puisqu’Ezéchiel parle de « toutes sortes d’oiseaux ». Cela nous parle aussi de la mission de l’Eglise aujourd’hui : être un grand arbre sous lequel tous « les drôles d’oiseaux » que nous sommes, peuvent trouver refuge, se reposer, se ressourcer, se nourrir, discuter, se rafraichir,  etc…

Belle mission, qui pour se réaliser, doit passer par le développement personnel de chaque branche de l’arbre pour que celui-ci soit suffisamment grand pour tous ceux qui veulent y faire leur nid. A une époque où tant de gens sont attirés par ce qu’on appelle « le développement personnel », je trouve cette idée intéressante. Je vois dans ce désir grandissant de devenir soi-même un vrai signe des temps, un réel fruit du travail de l’Esprit Saint dans notre monde. En effet, nous diminuer ne rend pas service aux autres, au contraire, en laissant notre lumière briller, nous donnons automatiquement aux autres la permission d’en faire autant. Mais ce que j’entends dans cet Evangile, c’est que ce développement personnel n’est pas le fruit de nos efforts, cela se fait tout seul, nous dit Jésus dans la première parabole : « nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment ».

Oui ! Je crois vraiment qu’il y a en nous une puissance de Vie qui nous fait croître vers notre stature finale, et que cette croissance ne nous appartient pas totalement. En effet, l’Esprit Saint nous meut de l’intérieur, « que nous dormions ou que nous soyons debout », nous dit le texte, c’est-à-dire, que nous en soyons conscient ou non l’Esprit travaille, ou encore, que nous soyons morts ou vivants (autre façon d’entendre ces mots si on s’appuie sur le grec), l’Esprit de Dieu est toujours à l’œuvre en nous, en tout Homme et tout le temps. Je trouve cela très reposant : à une époque où l’on pense qu’il faut se construire soi-même et être toujours performant, savoir que Dieu œuvre en moi quoi qu’il arrive et quoi que je fasse, m’apparait comme une bonne nouvelle. Cela me fait penser aux carottes de nos jardins : nous savons bien que ce n’est pas en tirant dessus que nous les ferons pousser plus vite ! Il y a une nécessaire confiance à avoir en cette force de vie qui agit secrètement en nous pour que nous puissions nous développer et donner du fruit, un fruit utile pour nous, pour les autres et aussi (cela on l’oublie souvent) pour notre vie céleste.

En effet, quand Jésus dit : « dès que le blé est mûr, on y met la faucille, parce que le temps de la moisson est arrivé », je comprends que le temps de la moisson se fera aussi après notre mort (le temps de la faucille), et que nous nous nourrirons du pain fabriqué à partir de tous les grain de blé que nous aurons récolté sur terre grâce au travail secret de l’Esprit Saint en nous. Et nous nous dirons : « Regarde mon ami(e), ce morceau de pain a été fabriqué avec ces grains d’amour que nous nous sommes donnés tout au long de notre vie, tu te souviens ? Hum comme c’est bon !!! ». C’est au théologien suisse Hans Urs von Balthazar que j’emprunte cette superbe intuition : il compare l’homme à un grain de raisin et dit : « Lorsqu’un jour, dans les berceaux verdoyants du ciel on offrira ce vin aux noces de l’agneau, (le vin qui provient des grains de raisins que nous sommes), c’est le monde entier qui sera contenu en lui. Alors on pourra goûter en quelle année du salut et sur quel coteau il a muri et l’on pourra se délecter de la saveur de toute la contrée d’où il provient, et aucun bonheur même le plus petit ne sera perdu pour vous ! »

Voilà ce que sera notre vie au ciel et voilà la deuxième bonne nouvelle de ce jour : en aimant, nous préparons notre vie au ciel : c’est ce dont parle St Paul dans la 2ème lecture et qu’il convient de bien comprendre et de bien traduire : la traduction que nous avons entendue laisse croire que l’on sera rétribué selon nos actions, or il n’en est rien ! C’est beaucoup plus juste de dire comme dans la bible de Jérusalem : « nous serons mis à découvert devant le tribunal du Christ pour que chacun recouvre ce qu’il aura fait pendant sa vie terrestre ». Cela rejoint ce que disait Hans Urs von Baltazar : au ciel nous nous nourrirons des actions réalisées sur terre, pas besoin qu’elles soient gigantesques, il suffit qu’elles soient faites avec amour pour qu’elles deviennent nourriture pour tous les oiseaux du ciel.

C’est ben ainsi que Matthieu pense le jugement dernier au chp 25 de son Evangile : « tout ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, … (donner à boire, visiter un prisonnier, soigner un malade, vêtir celui qui est nu etc…) », suffira pour entrer au ciel : voilà quel est le tribunal du Christ : c’est ce qui mettra en lumière nos bonnes actions et aussi les mauvaises, pour que ces dernières soient réparées par les premières.

 

Mais ce royaume que Jésus s’emploie à décrire dans l’Evangile parle aussi de notre vie terrestre. En effet, ce royaume est bien en train d’advenir en ce moment, encore faut-il le voir. Car nous sommes souvent obnubilés par tout ce qui ne va pas, tout ce qui échoue, tombe, s’écroule au point de ne plus voir ce qui pousse en nous et dans notre monde. Or nous savons tous « qu’un arbre qui tombe fait beaucoup plus de bruit que toute une forêt qui pousse » ! D’où l’importance du silence, de l’écoute de soi et des autres pour percevoir non pas seulement ce qui tombe, mais aussi et surtout ce qui pousse, non pas ce qui va mal mais aussi ce qui va bien. Faire silence, prendre le temps de s’asseoir pour contempler, méditer, prier, et apprendre à voir tout ce qui pousse discrètement mais sûrement.  Voilà ce à quoi Jésus nous invite en ce jour.

Oui le royaume de Dieu est en croissance dans notre monde, c’est indéniable, mais j’ai parfois le sentiment, qu’il manque des hommes et des femmes qui ont des yeux pour le voir advenir. Aujourd’hui, l’Eglise manque de moissonneurs qui ont des yeux pour voir les blés mûrs, notre monde manque de contemplatifs qui sachent s’extasier devant tout le bien qui est fait à chaque seconde dans le monde. Cet aveuglement provient peut être aussi du fait que nous sommes souvent plus conscients de notre petitesse que de notre grandeur, de nos incapacités que de nos talents. Mais Dieu n’est pas gêné par cela, car il sait Lui, qu’une petite graine peut produire de grandes branches. C’est le sens de la deuxième parabole que Jésus nous offre aujourd’hui : la parabole de la petite graine qui donne un grand arbre. Par là, Jésus veut nous dire qu’il n’y a pas à se désoler de n’être qu’une petite graine, puisqu’il sait Lui, que cela n’empêche pas de faire de grandes choses avec, car c’est Lui qui démultiplie nos petits actes de tous les jours, nos petites graines de bonté quotidienne pour en faire de magnifiques arbres de vie et de la graine de royaume.

Vous voulez des exemples ? En voici quelques-uns empruntés à Michel Hubaut :

-        Petite graine de sénevé ! Petite graine du sourire, petite graine de rien du tout qui devient rayon de soleil pour le vieillard ou l’étudiant isolé.

-        Petite graine de solidarité, petite graine de rien du tout qui devient source d'avenir pour tout un peuple écrasé.

-        Petite graine de la poignée de main, petite graine de rien du tout, qui devient bouée de sauvetage pour le solitaire sur le point de se noyer.

-        Petite graine du geste gratuit, petite graine de rien du tout qui devient parole de vie pour l'homme stressé par sa vie.

-        Petite graine de l'oreille attentive, petite graine de rien du tout qui devient escale de tendresse pour l'adolescent désemparé.

-        Petite graine de la prière, petite graine de rien du tout qui devient respiration et accueil d'une Présence pour l'homme en quête d'éternité.

 

Voilà les bonnes nouvelles de ce jour. Voilà le royaume de Dieu en train d’advenir ! C’est ainsi que tous les Humains, quels qu’ils soient, riches ou pauvres, savants ou illettrés, aigles des cimes ou oisillons des bosquets, pourront faire leur nid dans nos branches et trouver ainsi auprès de nous, des raisons de vivre et d'espérer. 

 

Amen

 

Gilles Brocard

 

Retour au sommaire