Une "Théologie pour les nuls"
L'EUCHARISTIE
Mosaïque de Tabgha (IVe siècle)
12e séquence : Viens, Seigneur Jésus !
Une invocation rituelle.
Et voilà ! Nous en arrivons à la fin de nos recherches sur l'Eucharistie. En ces premiers jours de l'Avent, il est tout à fait normal que nous terminions cette série de 12 séquences par l'invocation que nous chantons (de différentes manières) à chaque messe : "Viens, Seigneur Jésus".
De différentes manières. Ouvrez votre missel, et vous y trouverez les formules officielles :
1 - "Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus.
Nous célébrons ta résurrection,
nous attendons ta venue dans la gloire."2 - "Nous rappelons ta mort, Seigneur ressuscité, et nous attendons que tu viennes."
3 - "Gloire à toi qui étais mort, gloire à toi qui es vivant, notre Sauveur et notre Dieu : Viens, Seigneur Jésus."
4 - Christ est mort pour nous. Christ est ressuscité. Nous t'attendons, Seigneur Jésus.
Chacune de ces invocations est annoncée par une invitation du prêtre. Par exemple : "Proclamons le mystère de la Foi".
Christ hier ! Christ aujourd'hui ! Christ demain !
Qu'est-ce que cela veut dire ? Quel est ce "mystère de la foi" que nous avons à proclamer ? Il est condensé dans une autre invocation (non officielle celle-là), qui dit tout :
"Christ est venu. Christ est né.
Christ a souffert. Christ est mort.
Christ est ressuscité.
Christ est vivant.
Christ reviendra.
Christ est là."Cette formule dit tout, car elle est l'expression condensée de notre foi de chrétiens.
En cette année de Jubilé, beaucoup de paroisses l'ont chantée, en une formule encore plus condensée :
"Christ hier - Christ aujourd'hui - Christ demain pour tous et toujours..." 1
Autrement dit : en chaque Eucharistie, en même temps qu'on fait mémoire du Jésus historique, de sa mort et de sa résurrection, on le reconnaît présent dans le pain et le vin qui sont là sur l'autel, et nous exprimons un désir, le désir de sa seconde venue, à la fin des temps : "Viens, Seigneur Jésus".
Question de temps.
Mais alors, me direz-vous, qu'est-ce que cela signifie ? Est-il venu ou est-il encore là ? Est-il présent avec nous ou devons-nous encore l'attendre ? Ah si nous pouvions avoir la même conception du temps que celle de nos ancêtres Israélites ! Pour eux, passé, présent et avenir sont comme contractés dans une même perception actuelle. Pour nous, Occidentaux, la vie est "comme un long fleuve tranquille" où le présent succède simplement au passé, et le futur au présent. Alors que pour les Israélites, le temps est perçu dans un même et unique mouvement, qui ne sépare pas passé, présent et avenir. L'instant présent est chargé de tout un passé et est tendu vers un avenir.
Quel avenir ? Le retour du Seigneur. Il ne faudrait jamais occulter l'aboutissement de notre foi chrétienne, exprimée dans le Credo : "(Le Christ ressuscité) est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d'où il viendra pour juger les vivants et les morts". Il reviendra. Ne pas faire l'impasse sur cette certitude, car elle conditionne toute notre foi. Elle oriente (c'est-à-dire donne un sens à) tous nos comportements chrétiens. Je crois, nous croyons, qu'à la fin des temps, le Seigneur reviendra. Certes, la fin des temps, je ne sais pas quand ce sera, mais j'en ai la certitude : ce monde passera. Et quand le Seigneur reviendra, ce sera pour inaugurer "une terre nouvelle, des cieux nouveaux", Pour restaurer la création dans sa beauté première, "où il n'y aura plus ni pleurs, ni larmes, ni douleurs, mais la joie et la paix".
Le Seder.
Nous avons hérité du judaïsme cette belle tradition de l'attente joyeuse. Déjà au temps de Jésus, le repas pascal juif (le Seder) se célébrait dans une pièce dont on laissait la porte entrouverte. On mettait un couvert de plus à la table de famille, parce que l'on attendait que le Messie vînt dans la nuit de la Pâque. Plus exactement, le couvert était mis pour Élie dont on pensait que le retour allait précéder immédiatement l'arrivée du Messie, pour que le prophète puisse l'annoncer (rappelez-vous la réponse des disciples quand Jésus leur demande ce que les gens pensent de lui : pour certains, il est Élie.) Les premiers chrétiens ont adopté cette coutume dans leur célébration de la fête de Pâques, mais en la transformant. Ils se réunissaient le samedi soir, veillaient et priaient toute la nuit dans l'attente du retour du Christ. Et c'est seulement le matin, au chant du coq, qu'ils célébraient l'eucharistie, puisque le Seigneur n'était pas revenu.
Pour le moment, nous sommes sur la route, vivant pleinement le présent, mais toujours dans une perspective d'avenir. Et cet avenir, nous en exprimons l'attente chargée de désir chaque fois que nous célébrons l'Eucharistie. Tant il est vrai que le propre de l'homme, par opposition à toutes les autres espèces animales, est de faire des projets et de se tourner sans cesse vers des lendemains. L'eucharistie est toujours une communauté de table des disciples qui attendent le retour du Christ et prennent le pain et le vin parce que le Seigneur n'est pas encore revenu. L'eucharistie vit autant de l'absence que de la présence du Seigneur. D'où l'importance de ce mot : "Viens" dans le chant qui suit immédiatement la réalisation de la présence sacramentelle du Christ par la consécration du pain et du vin.
La source du dynamisme.
Il reviendra. Ne l'a-t-il pas promis à ses amis, justement lors du dernier repas qu'il prenait avec eux, quelques heures avant son arrestation : "Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et puis encore un peu et vous me verrez." Aussi, saint Paul, rappelant aux Corinthiens la profonde signification du repas eucharistique, leur écrit : "Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne". Que le Seigneur ne soit pas encore revenu, que chacune de nos eucharisties soit une proclamation de notre attente de son retour pourrait n'être qu'un constat. En réalité, c'est la source du dynamisme le plus profond de l'existence chrétienne. Au cours des siècles derniers, on a peut-être exagéré exclusivement le culte de la Présence réelle du Seigneur dans l'Eucharistie : cela risquait de cacher cette dimension essentielle de notre histoire, personnelle et communautaire : l'attente active.
Debout, éveillés et vigilants.
"Prends ta faucille et moissonne..." (Apocalypse)Certes, le dernier mot de l'Évangile : "Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps" est à prendre à la lettre. Mais Jésus n'a-t-il pas dit également : "Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces". Le chrétien vit déjà la nouveauté de son alliance avec Dieu par le Christ, mais dans l'espérance pleine de dynamisme de l'Alliance totale. Nous sommes dans ce moment de l'histoire que nous vivons dans chaque eucharistie du Christ : chaque jour, nous prenons de nouveau la tenue de serviteur de Dieu et de nos frères, jusqu'au jour où le Seigneur reviendra. Nous travaillons dans l'attente. Cette parabole de Luc 12, 35-38 est extraordinaire. Les serviteurs sont restés en tenue de travail ; ils ont gardé leurs lampes allumées. Voici que le maître revient et alors se passe quelque chose d'extraordinaire, d'invraisemblable même, qu n'est possible qu'avec Jésus, ce Jésus renversant ! L'exacte réplique du lavement de pieds que rapporte l'évangile de Jean : c'est le maître qui, au lieu de se faire servir, se met au service de ses serviteurs.
Oui, "nous attendons ta venue", Seigneur Jésus.
"Heureux celui que le maître, en arrivant,
Trouvera debout, éveillé et vigilant".
27 novembre 2000.