Envoyés en mission deux par deux

     QUINZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (B)

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 6,7-13)

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. »  Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.


Homélie

Il y a plusieurs « envois en mission » dans les Evangiles, 2 dans St Luc et 2 en Mt, 1 seul dans l’Evangile de Marc : c’est celui-ci que nous entendons aujourd’hui et qui comporte quelques spécificités importantes à regarder de près.

Il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route

Je vois dans cette invitation au dénuement, l’importance que Jésus accorde à la pauvreté : oser être vulnérable, c’est ainsi que l’Esprit-Saint peut passer par nous et à travers nous. Ne pas avoir peur d’être pauvre ! Cela nous oblige à compter sur le Christ et sur les autres. Je crois que nous ne serons de bons témoins que lorsque nous accepterons d’être fragiles et humbles. En effet, c’est de nos fêlures guéries et non de nos performances acquises que nous devons témoigner. Les Douze que Jésus envoie en mission ne sont pas des cracs, mais des personnes fragiles qui apprennent à compter sur Dieu. Nous ne sommes pas meilleurs ni moins bien qu’eux ! Nous sommes des serviteurs quelconques, des vases d’argiles portant un trésor. Et c’est seulement si nous acceptons de reconnaitre nos fêlures et nos brisures que le trésor que nous portons pourra être visible pour les gens de l’extérieur.

Mais la pauvreté du disciple possède un autre avantage : elle permet non pas donner, mais de donner à l’autre de donner et par conséquent de recevoir ! L’idée est de penser l’autre non pas comme un réceptacle de ma générosité, mais comme une personne dont j’ai à apprendre quelque chose. Ça change tout dans les relations. Jésus est dans la même attitude quand il demande à boire à la Samaritaine : il lui donne de donner ce qu’elle est et cela va la remettre en route. Aimer ce n’est pas dire à l’autre « regarde comme je suis bien », mais c’est lui dire : « j’ai besoin de toi » Je pense au 1er compagnon de l’abbé Pierre. L’aventure des compagnons d’Emmaüs a commencé ainsi et ça continue…

Mais il y a quand même des choses à emporter 

À commencer par le bâton : C’est un objet très utile pour éloigner les serpents = le mal ! Car il leur a donné pouvoir sur les esprits mauvais, c’est donc la force contre le mal et le nez pour le débusquer. « Avoir pouvoir sur le mal », c’est savoir que le mal n’aura pas le dernier mot et que le pardon peut apporter un surcroit de vie, bref, c’est faire gagner l’amour contre la haine.

Les sandales : c’est pour pouvoir aller loin, pour ne pas s’ébrécher les pieds, ni se fatiguer trop vite : la mission est rude et le chemin est long, il faut pouvoir tenir le coup. Je vois ici l’importance de prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin des autres.

La tunique unique : pour moi, c’est la dignité des fils et filles de Dieu, c’est le fait de se savoir aimé du Père, envoyé par lui ! Ça ne se change pas, car c’est unique une telle tunique ! Il est important d’aller à la rencontre des autres, vêtus de notre tunique de baptisé, de fils de Dieu que nous sommes fiers de porter. 

Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie deux par deux 

Que signifie ce deux par deux ? A l'époque il était nécessaire d'être deux pour qu'un témoignage soit crédible et recevable. Mais être deux est bien sûr un moyen capital pour se sentir soutenu dans notre mission qui est exigeante, dure et parfois fatigante. Mais je crois que c’est surtout pour une 3ème raison que Jésus les envoie deux par deux : car à deux, il faut s’entendre, tenir le même discours : c’est plus exigent que tout seul,. C’est donc notre unité, notre fraternité qui va témoigner du Christ : « c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on reconnaitra que vous êtes mes disciples » dit Jésus : la communion entre nous n’est pas une option : elle dit Dieu. Du coup, chacun ne peut plus agir pour son propre compte uniquement : c’est ensemble, en équipe que nous dirons le mieux qui est Dieu : un Être de relation. Je vous le redis, ceci n’est pas une option, il en va de l’authenticité de notre témoignage !

Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. »

Ce geste a fait beaucoup parler. Pour moi il ne s’agit en aucun cas d’un geste de dédain, mais d’une liberté laissée à l’accueillant de me recevoir ou non : ne pas vouloir envoyer le tonnerre ou la foudre comme le proposaient les disciples de Jésus en saint Luc 9, 54 quand ils n’étaient pas accueillis par les samaritains, mais « secouer la poussière » veut dire : « je ne viens rien vous prendre, ou « nous ne prenons que ce que vous voulez bien nous donner » ! A ce propos, la version de Luc me semble plus parlante encore : « la poussière nous la secouons pour vous la rendre » (Lc 10,11)

C’est toute l’importance de la gratuité qui est en jeu ici : en saint Luc, Jésus ajoute à ceux qui ne les accueillent pas qu’il faut leur dire quand même : « pourtant sachez-le, le royaume de Dieu est arrivé aussi pour vous » ! Cet infini respect de l’autre est l’attitude de Dieu envers chacun de nous : il n’entre pas chez nous par effraction, il se tient à la porte et il frappe, doucement, nous dit st Jean dans l’apocalypse : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi ». (Apocalypse 3, 20) et quand Jésus guérit quelqu’un, ce n’est pas pour en faire un disciple et le ramener dans son giron, au contraire, il lui dit « va ! ta foi t’a sauvé ». Jésus ne s’approprie jamais personne et nous invite à faire de même.  

Enfin, que dire dans la mission ?

Proclamer qu'il faut se convertir. Chasser beaucoup de démons, faire des onctions d'huile et les guérir. Proclamer et faire ! Bref, lier les paroles et les actes. Capital pour qu’un témoignage soit crédible !

Faire des onctions d’huile = oindre, pour adoucir, apaiser ! Soyez vous-même des baumes de douceur pour ceux que vous rencontrez

Chasser les démons, c’est-à-dire faites reculer le mal, en proposant la bienveillance comme antidote au mal qui ronge l’homme ! Il s’agit de bénir les personnes, c’est-à-dire de dire le bien de l’autre, de souligner le beau dans la vie de celui que nous rencontrons : c’est cela qui viendra chasser les vieux démons du dénigrement et de la culpabilité. C’est ainsi que Luc a du comprendre cette invitation de Jésus car dans son 2ème envoi en mission au chp 10, 2 il dit : « Priez le maitre de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson » ! Remarquez que le Christ n'envoie pas les apôtres pour faire les semailles mais pour faire la moisson, c’est donc pour nous demander de recueillir ce qui a germé, grandi et poussé dans le cœur des hommes. Voilà la mission : récolter ce que Dieu à fait grandir dans le cœur des hommes et des femmes de notre temps ! Voilà conversion à faire, passer du semeur au moissonneur ! Ça change tout.  

Notre monde a besoin de moissonneurs qui ont des yeux pour voir les blés qui sont mûrs, notre monde a besoin de de contemplatifs. Serez-vous de ceux-là ?

Gilles Brocard

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