Marie a choisi la meilleure part
SEIZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10, 38-42
Alors qu'il était en route avec ses disciples, Jésus entra dans un village. Une femme appelée Marthe le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur, nommée Marie, qui, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : «Seigneur, cela ne te fait rien ? Ma sœur me laisse seule à faire le service. Dis-lui donc de m'aider. » Le Seigneur lui répondit : «Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part : elle ne lui sera pas enlevée. »
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Etonnant
Plusieurs choses m'étonnent dans ce récit. La première, c'est que Jésus va manger dans une famille où il n'est pas fait mention d'un maître de maison. Tout se passe entre Jésus et deux sœurs, Marthe, la maîtresse de maison, et Marie, sa sœur. Deuxième étonnement : alors qu'on nous dit que Jésus est en route « avec ses disciples », lui seul est reçu par Marthe. Il n'est aucunement question d'autres invités.
Si l'on replace le récit de Luc dans son contexte historique, il y a lieu également de s'étonner. Il semble bien en effet qu'à l'époque, seuls les hommes étaient à table avec leur invité, alors que les femmes se tenaient debout, uniquement occupées à la cuisine et au service. J'ai connu personnellement cette manière de faire, lors d'un voyage au Portugal. Ayant été invité dans une famille, j'étais seul à table avec mon hôte et son petit-fils, alors que sa femme était assise, elle, à côté de l'âtre, sauf lorsqu'il s'agissait de nous servir. Une telle coutume existe encore un peu partout dans des civilisations de type patriarcal. Et l'attitude de Marthe, dans notre récit évangélique, n'a rien d'étonnant. Pour elle, accueillir l'hôte, c'est se mettre à son service. C'est l'attitude de Marie qui est anormale, dans la coutume de l'époque. Une attitude moderne, si vous voulez. Elle avait de quoi choquer aussi bien sa sœur Marthe que les témoins de la scène. Seul Jésus ne s'en étonne pas.
Hospitalité
L'hospitalité est l'une des plus grandes valeurs de toute l'histoire des civilisations. Depuis les temps les plus reculés, l'accueil de l'étranger de passage est une tradition sacrée. Aujourd'hui encore, en bien des pays. On peut regretter à juste titre qu'une telle valeur soit en train de se perdre aujourd'hui dans nos nations d'une tout autre culture, où prédomine le « chacun pour soi » et où l'hôte de passage, bien souvent, est considéré comme un intrus et un gêneur. Abraham est capable d'interrompre sa sieste pour courir au-devant des mystérieux voyageurs qui passent près de son campement. Ce serait pour lui le comble du déshonneur que de les laisser passer sans les inviter. Combien de familles se sont fait un honneur d’accueillir un jour ce jeune prophète, Jésus, de passage dans leur village ! On en a de nombreux exemples dans les évangiles. Mais par delà le geste de politesse, il y a la manière. Jésus en viendra même à critiquer le pharisien qui l'a invité à sa table, mais qui a manqué à tous les usages, en ne lui offrant même pas un peu d'eau pour se laver avant le repas. Il y a la manière. Elle n'est pas la même de la part de Marthe et de celle de sa sœur. Deux manières différentes, l'une des deux privilégiée par Jésus : celle de Marie.
La manière
Accueillir, recevoir ? C'est essentiellement s'ouvrir à l'autre. S'ouvrir à celui qui entre chez vous, avant de lui offrir quelque chose. C'est justement ce que fait Marie. Et c'est là que Marthe a tout faux. Pour elle, être une bonne hôtesse, c'est faire quelque chose, préparer un repas, trouver ce qu'on va pouvoir offrir, tout de suite, à celui qui entre. Ce qui est premier, ce n'est pas l'invité, mais le travail que l'on va faire pour l'invité. Le service impeccable. Toutes deux, Marthe et Marie, aiment beaucoup Jésus. On s'en rend compte si l'on remarque la familiarité avec laquelle Marthe s'adresse à lui. Mais chacune d'elle l'aime à sa manière. Et Jésus préfère la manière de Marie qui lui manifeste tendresse, admiration, écoute.
Promotion de la femme
Car pour recevoir quelqu'un il y a des obstacles à éviter. Et en premier l'agitation. Jésus le fait remarquer à Marthe : « Tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses » Elle en fait trop, Marthe, dans son désir de bien recevoir. Avant de penser à recevoir, elle veut offrir. Les petits plats dans les grands ! Quelle agitation qui n'a rien d'indispensable. Par contre, ce qui est indispensable quand on reçoit, c'est l'accueil de la personne qui vient chez vous. Il a tant de choses à vous apporter. Marie l'a bien compris. Elle choisit la bonne part, la bonne place. Elle s'assied. « Se tenant assise aux pieds du Seigneur, elle écoutait sa parole. » L'attitude qui était celle des étudiants dans les écoles rabbiniques. Assis aux pieds du rabbin. Or, à l'époque, seuls les garçons pouvaient recevoir l'enseignement des maîtres. Et voilà que Jésus bouleverse les traditions. Je vous disais tout à l'heure que l'attitude de Marie est moderne, alors que celle de Marthe est traditionnelle. Voilà le début d'une promotion de la femme : apte aux études, apte à recevoir la parole du maître, pour, en suite, la transmettre.
Action et écoute
N'allez pas croire que je veuille en cela marquer une opposition entre deux attitudes, comme si celle de Marie était exemplaire et celle de Marthe était critiquée. Il n'y a pas opposition, mais seulement une distinction, une distinction utile. « Distinguer pour unir », selon le titre d'un livre de Jacques Maritain. Deux attitudes que chacun de nous exprime régulièrement. Le chrétien est un actif : nous le disions la semaine dernière; Au pharisien qui lui demande ce qu'il doit faire pour avoir la vie éternelle, Jésus répond en racontant l'histoire du Samaritain qui se fait le prochain de l'homme blessé, et il ajoute : « Toi aussi, fais de même. » L'essentiel, c'est d'être un chrétien actif sans être un agité ou un inquiet. Quant à l'écoute de la Parole, caractéristique de l'attitude de Marie assise aux pieds de Jésus, nous savons bien quelle est son importance, pour tout homme d'action. A nous de savoir, dans ce monde inquiet et agité qui est le nôtre, nous asseoir et prendre le temps de l'accueil et de l'écoute de la Parole. Elle est le Christ en personne.