.           DIX-NEUVIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 12, 32-48

 

Jésus disait à ses disciples : « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Vraiment je vous le dis : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. S’il revient vers minuit ou plus tard encore et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! Vous le savez bien : si le maître de maison connaissait l’heure où le voleur doit venir, il ne laisserait pas forcer sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »

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Ré-enchanter le monde

« Le grand défi posé à la science, ce n'est pas Dieu, mais le progrès. Pour beaucoup de gens, le progrès a pris une connotation négative, l'accroissement de la connaissance n'est plus considéré comme bon. Ce retournement de valeurs sans précédent depuis la Renaissance m'inquiète beaucoup. Mon devoir en tant que chercheur est de ré-enchanter le monde par la connaissance scientifique. » (Michel Morange, biologiste, dans Le Point du 5 août 2010)

Ce que le scientifique dit du progrès qui, assure-t-il, prend aujourd'hui une connotation négative, je le pense de l'avenir en général, et j'ai tendance à le rabâcher : l'avenir fait peur à nos contemporains. On assiste aujourd'hui à un incroyable retournement de valeurs. L'avenir fait peur. Et je me demande si ce phénomène n'est pas le plus caractéristique de notre époque. Les symptômes sont là, depuis le besoin de s'assurer contre tous les risques possibles et imaginables, jusqu'à la manière - pour le pas dire la manie – qu'on a de se préserver et de préserver ses enfants de tout ce qui, éventuellement, peut nous menacer. Peur du risque, peur de l'avenir !

Tourné vers l'avenir

Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant de constater que le message chrétien a du mal de se faire entendre. Car l'essentiel de ce message vise à faire du croyant un homme d'avenir. Plus exactement : un homme tourné vers l'avenir. Quel avenir ? Essentiellement, avec le Retour du Seigneur, une réussite de l'humanité. Ce que l’Écriture appelle le Royaume de Dieu.

L'évangile de Luc nous le rappelle dans une parabole bien utile, en précisant ce que doit être l'attente du chrétien dans son désir d'avenir. Car il faut bien préciser qu'il peut y avoir différentes sortes d'attentes. Pour faire simple, distinguer entre une attente passive et une attente active. Si Luc met particulièrement l’accent sur la nécessité d'une attente active, c'est parce qu'à l'époque où il écrivait son évangile, la question se posait. Les premières générations chrétiennes, en effet, vivaient toutes dans l'attente du retour plus ou moins imminent du Seigneur. Il l'avait promis, et cela ne devait pas tarder. Pour certains, cela s'était traduit par ce que j'appelle une attente passive. Ils avaient même vendu tous leurs biens et attendaient en se croisant les bras, « affairés sans rien faire », dira saint Paul. C'est contre cette attitude que réagit Luc, en citant les propos de Jésus. L'attente chrétienne doit être celle du travailleur, « en tenue de service. » Il ne se laissera pas surprendre. En pleine nuit, il ne dort pas. Une attente active, donc, qui sera récompensée : le Maître, en arrivant, se fera le serviteur de ses employés. A son tour, « il prendra la tenue de service. »

En tenue de service

Nous sommes bien loin, aujourd'hui, de cette perspective qui fut celle des chrétiens du premier siècle de notre ère. Nous croyons, certes, que le Seigneur « reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts. » Mais quand ? L'éventualité se fait bien lointaine. Regardons ce qui motive nos actes, ce qui oriente notre vie : n'est-ce pas, le plus souvent, le court terme ? Gagner de l'argent, s'assurer contre les aléas de l'existence, préparer sa retraite, se prémunir contre la maladie...Pouvons-nous dire sincèrement que notre vie est axée sur le jour de la Rencontre avec le Seigneur ? Nous faisons des projets, certes, mais pas à longue échéance. L'invitation du Seigneur à « veiller » ne nous intéresse pas directement. Et pourtant, à la réflexion, le jour de la Rencontre n'est pas si lointain que nous le croyons. Sans envisager le jour du jugement final, nous le savons bien, il y aura un jour, plus ou moins proche, qui sera le jour de notre mort. De notre « plongeon » dans la mort, comme disait Jésus lorsqu'il évoquait sa propre mort humaine. Un plongeon pour ressortir dans la Vie éternelle. « Alors, je le verrai face à face »; dit saint Paul. Me trouvera-t-il prêt pour cette rencontre ? Plus précisément, me trouvera-t-il « en tenue de service » ?

Désinstallé et nomade

Et pour cela, serai-je suffisamment « désinstallé » ? Car c'est la condition nécessaire que préconise Jésus. Si je reste attaché à mes biens, si c'est en eux que je mets ma confiance, il me sera difficile d'être « tourné vers l'avenir » Jésus me conseille donc de placer mon « trésor » dans les cieux, là où il n'y a pas de voleurs. Là, je suis certain qu'il me rapportera des intérêts garantis. La Lettre aux Hébreux prend une autre image pour dire la même chose : elle nous invite à passer de la sédentarité à la nomadisation, en prenant l'exemple des ancêtres dans la foi, notamment d'Abraham. « Quand Abraham fut appelé, écrit-elle, c’est la foi qui le fit obéir et partir vers le lieu qu’il devait recevoir en héritage, car il partit sans savoir où il allait. »

Perpétuel étranger

Pour lui, la foi fut vraiment « un moyen de posséder ce qu'on espère et de connaître ce qu'on ne voit pas. » Lui, qui était un homme installé, un citoyen d'une ville prospère du Moyen Orient, va devenir un nomade, un perpétuel étranger sur une terre qui ne lui appartient pas, simplement parce qu'un jour une Parole d'un Dieu inconnu l'a mis en route. Il accueille la promesse extravagante que ce Dieu inconnu lui a faite : lui, le vieillard sans enfant, il aura une descendance « aussi nombreuse que les grains de sable au bord de la mer » ; lui, le nomade, est assuré que ses héritiers posséderont cette Terre que Dieu lui promet. De son vivant, il n'a pas vu la réalisation de la promesse, et pourtant, il a « marché », dans la confiance la plus absolue.

Le beau risque de la Foi

Avec notre mentalité scientifique, nous trouvons cela absurde. Marcher sans pouvoir vérifier, c'est impossible. En science, si on avance une hypothèse, c'est avec l'intention de la vérifier, sinon, elle reste une hypothèse non valable. Comment pourrait-on risquer sa vie sur une promesse d'un inconnu que, par surcroît, on ne voit pas ? Et pourtant ! Le beau risque de la Foi, c'est le beau risque de l'amour, ni plus ni moins. Car tout amour est un risque qu'on prend, sur la foi d’un petit « je t'aime » qui bouleverse tout. Et vous engagez votre vie entière sur cette parole. Sur un « Oui » prononcé un jour.

Le beau risque de la foi, chacun de nous est invité à le courir. Il va modifier toute notre existence, parce qu'il lui donnera sens et valeur. Notre vie quotidienne, nos jours et nos années, notre marche, parfois si incertaine, dans la nuit de notre temps, tout cela sera illuminé par cette attente active, ce profond désir, la Rencontre avec Celui qui nous fera asseoir à table et nous servira lui-même.

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