Je le dis à tous : veillez !  

                 PREMIER DIMANCHE DE L’AVENT (B)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 13, 33-37 

 

Jésus parlait à ses disciples de sa venue :  « Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment. Il en est comme d’un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et recommandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. Il peut arriver à l’improviste et vous trouver endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : veillez ! » 

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Dieu est mort

« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! » A plusieurs reprises, le philosophe Nietzsche répète la même annonce dans ses écrits. C’était au XIXe siècle. Et depuis, l’expression a été reprise je ne sais combien de fois. Et, à la réflexion, il nous faut reconnaître que, pour beaucoup de nos contemporains, « Dieu est mort », puisqu’ils vivent  sans référence aucune à Dieu.

En cela, d’ailleurs, ils ne sont que partie prenante de cet immense courant de sécularisation qui déferle sur nos civilisations depuis quelques siècles. Pour schématiser, on pourrait dire qu’à partir de la Renaissance, les points de référence se sont inversés. Alors que jusque là, tout partait d’en haut, d’une révélation divine, avec les philosophes et les chercheurs du XVIe siècle, tout doit commencer par « en bas ». Pour la pensée moderne, le commencement de la connaissance n’est pas dans une révélation divine, ne vient pas d’en-haut, mais est dans l’expérience de l’homme. Il y aura Copernic, Descartes, Galilée, Kant, puis Darwin, pour n’en citer que quelques-uns, qui illustreront cette « sécularisation » dans le domaine de la pensée. Nous laissant penser que tout peut être connu, expliqué, révélé, sans référence à Dieu. Dieu, pour quoi faire ? Terminée, l’idée d’une révélation divine. Voilà le réflexe universel dans l’univers de la connaissance. On peut très bien s’en passer. De là à penser qu’il en est de même dans tous les domaines de la vie humaine, aussi bien dans la morale que dans toute forme de communication entre les humains, il n’y a qu’un pas. Si bien qu’à la limite, on en vient à penser que les hommes seuls, sans référence divine quelconque, sont capables de définir toutes les lois de la vie en société. Ce qu’ils font, d’ailleurs, depuis la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » lors de la Révolution française. Dieu nous avait donné les dix commandements ; aujourd’hui on parle de « morale laïque »

Simplement absent

Dieu est mort ? Non. Jésus apporte immédiatement un rectificatif à cette brutale affirmation de Nietzsche. Dieu n’est pas mort, loin de là ! Il est simplement absent, « comme un homme parti en voyage », précise-t-il dans la parabole que nous venons de lire. Il est absent, mais avant de partir, il a précisé ses consignes à chacun. Plus que cela : « il a donné tout pouvoir » à ses serviteurs. A nous, les hommes de ce temps, comme à ceux des siècles qui nous ont précédés. Donc, concrètement, nous avons des pouvoirs illimités, aussi bien dans le domaine de la connaissance et de la recherche que dans tous les domaines de la gestion du cosmos, de cette terre, de l’humanité qui la peuple. Un pouvoir absolu ? Oui, à cette limite près qu’un jour, il reviendra pour nous demander des comptes de notre gestion. Quand ? Nul ne le sait, dit encore Jésus. Mais en tout cas ; c’est dans cette perspective qu’il nous faut vivre notre vie, et donc porter un regard avisé sur notre présent. Ce qui élargit considérablement la perspective.

Nous voilà donc investis d’une tâche extrêmement importante. Le travail humain, quel qu’il soit, depuis celui de l’écolier jusqu’à celui du chercheur, en reçoit sa grandeur et sa dignité. Que ce soit pour chercher à découvrir les mystères de l’univers ou de la vie, pour aménager cette terre pour qu’elle soit de plus en plus accueillante et habitable, ou que ce soit au service des hommes qui la peuplent, chaque mission, chaque travail a son importance. A chacun de nous d’y veiller.

Eveillés et vigilants

Donc, vous voyez bien la perspective. Elle implique que nous sortions d’une conception de l’immédiat et de l’instantané, pour regarder plus loin. Que nous arrêtions de penser « après tout, on verra bien », et « demain est un autre jour », pour redonner sens et valeur à ce que nous faisons. C’est d’abord cela, être vigilants. C’est n’être pas des endormis. Si Jésus attache une telle importance à cette recommandation – il la répète quatre fois dans notre petit passage d’évangile -  c’est qu’il sait bien comme nous sommes : bien souvent enclins à nous laisser endormir ou à nous répéter que « dans la vie, faut pas s’en faire ». Là est le danger : de préférer une vie qu’on subit, dans laquelle on est ballottés au gré des circonstances, à une vie qu’on prend à bras le corps et dans laquelle on est actifs et courageux.

Quand Jésus a prononcé ces quelques phrases de mise en garde, à l’adresse, non seulement de ses auditeurs de ce jour-là, mais, comme il le précise, « à tous », et donc à nous aujourd’hui, il était à la veille de son arrestation. La crise allait survenir, dans laquelle il serait arrêté, jugé et mis à mort ; dans laquelle ses disciples allaient être balayés comme fétu de paille : pas un n’en réchapperait. Une crise, symbole de toutes les crises qui surviennent dans notre humanité. Bien souvent sans prévenir. Cette année encore, crise monétaire, économique, révélatrice d’un tsunami, d’une lame de fond plus forte encore, crise de société et crise de toutes les institutions. Beaucoup risquent de perdre pied. C’est dans ce contexte que vous et moi nous avons à faire nôtre l’invitation du Christ à « veiller », et donc à ne pas perdre pied, et donc à rester lucides, éveillés, vigilants, et témoins de l’espérance, c’est-à-dire de l’ouverture à un surplus d’être qui nous est toujours offert.

Espérance sans cesse renouvelée : ce n’est pas un rêve. C’est une manière de vivre toutes nos activités dans cette perspective, dans cette attente du Jour où le Seigneur reviendra. Qu’il ne nous trouve pas endormis.

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