Je le dis à tous : veillez !
PREMIER DIMANCHE DE L’AVENT (B)
Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 13, 33-37
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment. Il en est comme d’un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et recommandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. Il peut arriver à l’improviste et vous trouver endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : veillez ! »
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Insistance
Avec ce premier dimanche de l'Avent, nous quittons l'évangile de Matthieu et c'est Marc qui va nous communiquer, au long des dimanches de cette année, le Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Aujourd'hui, les propos de Jésus relatés par Marc rejoignent les avertissements des semaines précédentes : la fin du monde, le retour du Seigneur, la nécessité de tenir debout, d'être prêts, d'être éveillés, de veiller. Si l'Eglise met une telle insistance à nous rappeler sans cesse cette nécessité d'être des veilleurs, c'est que c’est important. Aussi, il faut, une fois de plus, y regarder de plus près.
Le contexte
Et d'abord, faisons-le comme nous le ferons très souvent : en remettant ce texte dans son contexte. Jésus et ses disciples arrivent à Jérusalem, au Mont des Oliviers : ils s'extasient devant la beauté de la ville, devant la splendeur du Temple. Les disciples disent à Jésus : Regarde comme c'est beau ! ». Jésus leur répond : « De cela, il ne restera pas pierre sur pierre ». Et voilà que dans un long discours, comme s'il survolait l'histoire, Jésus va dire en même temps son drame personnel, celui de l'année 30, où il a été arrêté et crucifié, le drame de la ville de Jérusalem en 70, tous les drames et toutes les crises de l'histoire de l'humanité jusqu'au jour de son Retour. C'est ce qu'on appelle un discours « apocalyptique ». C'est un style particulier à certains textes de la Bible, d'avant Jésus (vers le début du IIe siècle avant notre ère) jusqu'à la fin du premier siècle. Attention : quand on parle d'apocalypse, il ne faut pas employer le mot dans son sens actuel, par exemple quand on parle d’« apocalypse nucléaire », c'est-à-dire quelque chose de terrifiant. L'apocalypse, en ce sens, c'est la fin de tout, quelque chose qui fait peur. Jésus - et les auteurs de textes apocalyptiques - ne parle pas de quelque chose de terrifiant. Bien au contraire. Le mot « apocalypse » signifie simplement : « révélation ». C’est comme si on soulevait le voile qui cache le passé, le présent et l'avenir, comme si on regardait tout d'un seul regard. C'est ce que fait Jésus aujourd'hui en disant une continuité de l'histoire. Et en conclusion, il nous donne une consigne : « Veillez ».
Veillez !
Pourquoi veiller ? Pourquoi se tenir éveillés ? Parce que c'est indispensable. Sinon, dans toutes les crises de l'histoire, de notre histoire, on ne va pas pouvoir tenir debout, on va être balayés. Et on ne remplira plus notre mission, qui est d'être ceux qui veillent. Jésus le dit pour ses disciples qui sont là devant lui, au Mont des Oliviers, à regarder Jérusalem. Il est remarquable de voir comment cette recommandation : « Veillez », rejoint une autre recommandation, quelques jours plus tard, à Gethsémani : « Veillez et priez ». Pourquoi est-ce indispensable ? Parce que le drame, la crise peut survenir d'un moment à l'autre et nous surprendre, nous abattre. Elle peut survenir, dit-il, le soir. Il évoque Gethsémani, où ses disciples dormiront. Il évoque le soir, également, parce que c'est l'heure où Judas viendra pour le livrer. Il parle de minuit, l'heure où il va se trouver seul, abandonné de tous, devant le sanhédrin, le tribunal présidé par Caïphe, où il sera jugé et condamné. Il évoque ensuite le chant du coq, le moment où Pierre, à qui il avait confié les plus hautes responsabilités, déclarera : « Jésus, connais pas ». Il évoque enfin le matin où on le conduit à Pilate pour que la sentence de mort soit exécutée. A tous ces instants du drame, les disciples, parce qu'ils n'étaient pas prêts, seront balayés comme fétus de paille.
Périodes de crise
Marc, en 70, rappelle les mots d'ordre de Jésus, parce que ses lecteurs risquent de ne pas tenir le coup, face aux premières persécutions. Mais Jésus, par l'intermédiaire de Marc, s'adresse à nous aujourd'hui. Parce que nous vivons aussi une période de crise. C'est banal de parler de crise économique. Mais la réalité ! Cette manière de jouer avec les monnaies qu'ont les grandes nations d'aujourd'hui, qui amène des millions de gens à mourir de faim. Cette manière qu'ont les grandes puissances économiques de jouer avec les cours des matières premières, cela fait mourir des millions de pauvres dans le tiers-monde. Donc la crise est plus profonde qu'on ne le croit. Sans parler de toutes les autres crises de notre monde, de notre pays : crise de l'école, crise de la famille, crise, peut-être, dans notre couple, crise de l'Eglise !
Face à cette réalité, Jésus nous donne une seule consigne : « Veillez ». Essayons de comprendre. Veiller, cela veut dire, d'abord - et c'est une vérité de La Palisse, - ne pas dormir. Il n'y a pas que le sommeil physique. Il y a des quantités de manières de « dormir ». C'est-à-dire de ne pas vivre le moment présent. Se dire : « Ce qui se passe, cela ne me concerne pas directement. Moi, je me débrouille. Pourquoi vouloir toujours regarder ce qui va mal ? » Autre manière : se laisser endormir, par toutes les publicités, toutes les propagandes qui déferlent sur nous, sur notre société, et courir de gadget en gadget, en se satisfaisant de ce peu de chose, sans vouloir voir la réalité de ce monde dans lequel nous vivons, sans vouloir faire les analyses nécessaires.
Lucidité
Veiller, cela signifie être lucides. Regarder lucidement les situations dans lesquelles nous sommes plongés, auxquelles nous sommes affrontés aujourd'hui. Ne jamais dire « qu'est-ce que j'y peux », parce que nous y pouvons toujours quelque chose. Et regarder notre présent avec espoir, en prenant un certain recul. Dans l'ancien bréviaire en latin, à la première page, il y avait une antienne qui commençait par ces mots : « aspiciens a longe », ce qui veut dire: « Regardant de loin... » Prendre du recul, regarder « plus loin que le bout de son nez », pour se dire : « nous traversons une crise, mais ce n'est pas la fin de tout ». Si on avait demandé aux apôtres, le soir du vendredi saint, ce qu'il en était de Jésus, ils auraient répondu : « C'est fini. Il est mort. Point final ». Pourquoi ? Parce qu'ils étaient endormis. Pourtant, il les avait avertis!
Au travail !
Troisièmement : veiller, c'est travailler. Vous avez entendu comment le maître, avant de partir, confie à chacun un travail. Si on se croise les bras, si on vit la crise avec des réflexes de peur, çà ne va pas. Mais si on travaille, dans la crise elle-même, dans les circonstances difficiles que nous traversons parfois, avec une grande espérance, si nous travaillons pour faire advenir un monde meilleur, un monde plus fraternel, plus juste, alors, on est éveillés, lucides.
Ne pas dormir, regarder l'avenir avec lucidité et confiance, travailler au monde nouveau, voilà comment être veilleurs. Je vous souhaite à tous, en ce début d'année liturgique, de devenir les veilleurs de notre humanité.