"Arrière, Satan !"

               PREMIER DIMANCHE DE CAREME (A)

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4, 1-11 

 

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour y être tenté par le diable. Après qu'il eût jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s'approcha de lui et lui dit : "Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains." Mais Jésus répondit : "Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu."

Alors, le diable l'emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : "Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre." Jésus lui déclara : "Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu."

Le diable l'emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire. Il lui dit : "Tout cela, je te le donnerai si tu te prosternes pour m'adorer." Alors Jésus lui dit : "Arrière, Satan ! Car il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu dois adorer."

Alors le diable le quitta. Voici que des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient.

oOo

Un vrai problème
 

Eh bien, ça y est, notre Carême est commencé. Et pour entrer dans l'esprit d'un vrai Carême, l'Eglise nous invite immédiatement à réfléchir sur un problème, le plus important certainement pour chacun de nous, si nous voulons bien gérer notre vie : le problème du mal et de la mort.

Je regarde autour de moi, le monde dans lequel je vis : partout règnent le mal, le malheur, la souffrance. La guerre, les déplacements de populations, les viols, la prison, la torture, la faim : c'est ce que tous les médias nous révèlent chaque jour, dans toutes les parties du monde. Pas besoin de faire une description détaillée de ce fait : cela nous saute aux yeux. C'est un fait, hélas, universel. Et non pas seulement autour de nous, mais également dans notre propre vie. Dans notre propre famille aujourd'hui peut-être, il y a telle ou telle souffrance, sourde ou violente, telle inquiétude, tels soucis, telles peurs, tel ou tel malheur. Cela c'est le grand drame de notre humanité. Sans aller jusqu'à comparer notre monde à une "vallée de larmes", il faut reconnaître que le mal et le malheur règnent en maîtres sur notre monde.

Or, si j'ouvre la Bible à la première page, au premier récit de la création, on nous répète comme un refrain, je ne sais pas combien de fois, que Dieu, lorsqu'il créa le monde, a vu que tout ce qu'il faisait était bon : "Et Dieu vit que tout cela était bon." Mais alors, qu'est-ce qui se passe, puisque nous faisons tous les jours la constatation inverse ? Et beaucoup d'entre nous, un jour ou l'autre, se sont pris à dire : "Mais s'il y avait un Bon Dieu, est-ce que tout cela pourrait exister ainsi ?" D'où vient le mal ?

Une légende orientale

A cette interrogation, un homme, quelques siècles avant Jésus-Christ, a répondu par une histoire, une espèce de légende, un conte oriental. Cette histoire, qu'on trouve à la troisième page de la Bible, au livre de la Genèse, c'est le récit du premier péché. A travers cette histoire, il y a une Parole révélée de Dieu. Il veut nous dire, à travers la fable de la femme, de l'homme, du serpent qui parle, de l'arbre au milieu du jardin, dont il ne faut pas manger les fruits sous peine de mort, il nous dit quelque chose de très important. D'abord, que l'homme a été créé libre, capable de choix, capable de faire usage de sa responsabilité : tout homme, jusqu'au plus petit des enfants, est responsable de ses actes. Et la rançon de la liberté, c'est que, puisque nous avons le choix entre le bien et le mal, il y a toujours en nous la tentation de faire le mal, de répondre non à l'appel de Dieu. Et qu'est-ce que le péché, qui est raconté dans la Genèse ? C'est le péché de tout homme, c'est notre péché à nous aussi : il consiste à refuser notre condition humaine, notre existence d'homme avec ses limites ; il consiste à vouloir nous faire Dieu. Vous avez entendu tout-à-l'heure le serpent dire à la femme et à l'homme : "Si vous mangez de ce fruit, vous serez comme des dieux." C'est notre tentation à tous. Chacun de nous se dit souvent : "Cela, je sais que c'est mal, mais puisque j'estime que c'est bon pour moi, que c'est bien, je le fais. Je suis assez grand pour déterminer le bien et le mal. Et je dis non à la loi objective de Dieu, sachant bien que Dieu me dit : "Si tu fais cela, tu mourras."

Refuser notre condition humaine et ses limites ! Regardez votre vie de cette semaine. Vous verrez que c'est toujours cela, le péché. Or, voici que Jésus vient et nous dit : Tout cela, le mal, le malheur qui règnent sur l'humanité, cela n'a rien d'irrémédiable. Ce n'est pas fatal. On peut se battre contre le mal. Et on peut gagner.

Un deuxième récit

Et voici un deuxième récit, imagé lui aussi, qui décrit la lutte entreprise par Jésus contre l'esprit du mal : c'est le récit de la tentation en Saint Matthieu. Je ne dis pas que ce récit est purement imaginaire, que c'est un conte. Le Christ a connu réellement ces tentations tout au long de son existence. Il aurait pu, comme le lui propose le tentateur, se faire Dieu, se présenter comme Dieu. Il l'est. Mais il a refusé tous les moyens de la séduction et de la puissance. Il aurait pu changer les pierres en pain, lui qui a changé l'eau en vin, lui qui, avec quelques pains, a nourri une grande foule. Il aurait pu se jeter du haut du Temple : c'était facile pour lui. Mais il a refusé, tout au long de son existence, les moyens de la publicité et de la séduction. Il était le roi du monde et il n'avait pas besoin de se prosterner devant Satan, qu'il qualifiait de "prince de ce monde". Mais lui, qui acceptait sa condition humaine avec toutes ses limites, a voulu n'être que "le fils de l'homme". A ceux qui lui disaient : "Tu es le Fils de Dieu", il répond : "Le Fils de l'homme". Comme pour dire : "Je suis un homme, et ma condition humaine, je dois l'accepter totalement, jusques et y compris dans la mort."

Rupture

Ainsi, avec Jésus, nous entrons dans une tout autre démarche : une démarche de rupture avec le mal, de lutte contre le mal, qui va nous pousser, comme elle a poussé Jésus, à être totalement hommes, à vivre toutes les solidarités humaines. Lors d'une rencontre de Formation Permanente, il était question de l'Eucharistie. Et paradoxalement, nous avons parlé très peu de l'Eucharistie. Par contre, nous avons parlé de ce qui est au centre de nos célébrations du dimanche : la vie, la mort et la résurrection de Jésus. C'est-à-dire du Christ qui accepte d'être un homme, qui ne fait pas semblant. Comme dit la lettre de Saint Paul aux Philippiens, il s'est fait "le dernier des hommes". Il a pris la condition d'esclave, pour être au ras de l'humanité souffrante, de l'humanité victime. Il accepte d'être un homme, jusques et y compris dans la mort pour ses frères. Et à ce "Oui" que Jésus dit à Dieu et à ses frères humains, Dieu répond par son "Oui", le oui du Père à son Fils, ce oui qui le rend à la vie.

            Le mystère de mort et de résurrection, c'est le mystère de l'amour d'un homme que Dieu "éternise" dans sa résurrection. Et c'est cela que nous célébrons chaque dimanche. Mais il ne suffit pas de le célébrer chaque dimanche. Il s'agit d'entrer dans cette démarche profonde du Christ. Et si nous voulons, nous aussi, être de ceux qui se battent contre le mal, il nous faudra, premièrement, accepter toutes les solidarités humaines, et donc ne pas chercher à "tirer notre épingle du jeu". Il nous faudra, deuxièmement, éliminer de nos vies les moyens de la puissance, les moyens de la séduction. Il nous faudra être pleinement humains, avec humilité, en esprit de service. Enfin il nous faudra accepter de vivre pour les autres, en étant prêts à aller jusqu'au bout de l'amour, jusqu'au passage de la mort.

Alors, je crois que la célébration de l'Eucharistie, chaque dimanche, prendra toute sa valeur. Ceux qui, parmi nous, ont vraiment connu la souffrance savent combien ils peuvent unir leur souffrance et leurs peines à la souffrance et à la mort du Christ. Chaque dimanche, ils ont quelque chose à apporter. Nous tous, nous vivons souvent dans une certaine euphorie. Mais nous savons bien aussi que tant qu'il y aura sur cette terre un homme qui souffre, nous ne pourrons pas être pleinement heureux.

En ce Carême qui commence, si chacun de nous commençait à apprendre à vivre les solidarités élémentaires ! Frères, je vous souhaite bon courage dans votre marche vers Pâques.

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