Une "Théologie pour les nuls"

L'EUCHARISTIE

2e Séquence : Écoute, Écoute (Février 2000)

SHEHERAZADE.

Connaissez-vous Shéhérazade ? Non ? Alors, avez-vous entendu parler des " Contes des mille et une nuits " ? Sans doute ! Eh bien, Shéhérazade est l'une des héroïnes de ce livre fameux. Voici l'histoire. L'empereur de Chine, déçu de l'infidélité des femmes, commanda qu'on lui présente chaque soir une jeune vierge, avec laquelle il passerait la nuit, avant de la faire tuer le matin venu. Ainsi fut fait, jusqu'au jour où Shéhérazade demanda à son père, le grand vizir, la permission d'être présentée, elle aussi, à son tour, à l'empereur. Le grand vizir eut beau multiplier les objections, Shéhérazade insista tellement qu'un soir, elle entra à son tour dans la chambre impériale. Après les ébats de la nuit, sa jeune sœur, au petit matin, entra elle aussi dans la chambre pour demander à Shéhérazade de lui raconter une histoire. Et la jeune femme se mit à raconter. L'empereur, captivé par le récit, ne vit pas le jour arriver : le soleil était déjà levé, et l'histoire n'était pas terminée, si bien qu'il décida que Shéhérazade, non seulement ne serait pas tuée, mais qu'elle reviendrait la nuit suivante pour continuer l'histoire. Et il en fut ainsi mille et une nuit !

Puissance de la parole ! Le conte nous dit une chose essentielle : la parole fait vivre, la parole sauve.

TA PAROLE ME CONSTRUIT

Je vous le rappelais il y a quelque temps : un petit bébé ne peut grandir et se développer que s'il entend les petits mots d'amour de ses parents. Et chacun de nous est le fruit d'une parole d'amour. C'est un poète contemporain (Aragon ou Éluard, je ne sais plus) qui écrit : " Ta parole me construit. " Effectivement, nous le savons bien, à côté de la parole " informative ", qui n'a pour but que de nous donner des instructions, existe une parole efficace qui produit des effets (en bien ou en mal) chez celui qui l'entend. Un mot, une phrase, une réflexion peut me détruire, un mot d'amour peut me faire vivre.

" Au commencement…Dieu dit… " Ainsi commence la Bible. C'est par sa Parole que Dieu a tout créé. La lettre aux Hébreux écrit : " Le monde a été formé par la Parole de Dieu. " Ainsi, dès le premier matin du monde, il a suffit d'un mot, d'une toute petite parole pour qu'ait lieu le " Big Bang " initial. Puissance de la Parole ! " Au commencement était la Parole, et la Parole était Dieu. Tout a été fait par lui, et rien de ce qui existe n'a été fait sans lui. " Vraiment, " ta Parole me construit ! " Et moi qui, souvent, me désole parce que Dieu se tait ! Dieu est Parole.

DE MULTIPLES MANIERES…

Mais comment Dieu parle-t-il ? Relisons encore le début de la Lettre aux Hébreux : " Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères à bien des reprises et de bien des manières par les prophètes, mais en ces temps qui sont les derniers, il nous a parlé par son Fils. " A bien des reprises, de bien des manières ? Lesquelles ? Même s'il y a eu, dans l'histoire, des hommes, des femmes, qui ont eu le privilège d'entrer en communication plus ou moins directe avec Dieu, ce n'est pas le cas général. Mais si je fais appel à mon expérience personnelle, je me souviens qu'à certaines occasions, j'ai eu le sentiment que Dieu me parlait, par des intermédiaires. Je pense à telle réflexion d'un copain, un soir, en sortant de l'école : ce jour-là, j'ai pris cette réflexion (à laquelle lui-même n'attachait sans doute pas beaucoup d'importance), comme une parole que Dieu m'adressait. Faites appel à votre expérience. Plus simplement encore, les éléments de la nature peuvent être pour nous parole de Dieu. Relire saint Paul, dans l'épître aux Romains : " Depuis la création du monde, les perfections invisibles (de Dieu) sont visibles dans ses œuvres par l'intelligence humaine. " Et ce matin, je trouvais dans une revue la belle prière d'une petite Élodie : " Cher Dieu, je ne savais pas que l'orange et le violet pouvaient aller si bien ensemble avant de voir le coucher de soleil que tu as fait mardi. C'était super. " On ne peut mieux dire !

VENEZ ET MANGEZ.

Mais enfin, sans chercher midi à quatorze heures, la manière la plus directe et la plus universelle d'entendre Dieu qui nous parle est d'ouvrir la Bible. " C'est tout de même une chose énorme que Dieu ait parlé distinctement aux hommes et que cette parole ait été consignée pour tous les temps dans un document écrit : " (Paul Claudel) Mais… avez-vous une Bible ? Et si vous en avez une, l'ouvrez-vous ? Dieu parle. Qui écoute ? " Voici venir des jours, oracle du Seigneur Yahweh, où j'enverrai la faim dans le pays, non pas une faim de pain ni une soif d'eau, mais d'entendre la Parole de Yahweh " (Amos). Viennent ces jours, Seigneur ! Alors, nous dirons comme Jérémie : " Quand tes paroles se présentaient, je les dévorais. Ta parole était mon ravissement et l'allégresse de mon cœur ". A cette femme enthousiasmée par les propos de Jésus et qui s'était écriée : " Qu'elle est heureuse, celle qui t'a porté et t'a nourri de son sein ", il répond : " Bien plus heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ".

A TABLE !

L'Église a toujours donné une place privilégiée à la lecture de la Bible au cours de l'Assemblée du dimanche. Et particulièrement depuis le Concile Vatican II, qui a officialisé ce qui fut une redécouverte (relativement récente) de la pratique originelle, qui mettait sur le même pied " les deux tables " : la table de la Parole et la table de l'Eucharistie. Deux manières complémentaires et tout aussi nécessaires de se nourrir. Un seul repas, si l'on peut dire, avec deux plats principaux : la Parole de Dieu et le Corps du Christ.

Réunis chaque dimanche, d'abord pour " manger " la Parole et nous en nourrir. Ce n'est pas qu'une belle image. C'est la réalité. Jésus rappelle les mots du Deutéronome : " L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ". Il y a aussi dans le livre du prophète Ézéchiel cette invitation que Dieu lui fait : " Fils d'homme, mange ce que je te présente, mange-le, puis va parler à la maison d'Israël. J'ouvris la bouche et il me fit manger le rouleau (d'un livre)…et dans ma bouche, il était doux comme du miel. ". Cela suppose d'abord que nous ayons faim, ou que nous nous mettions en appétit. Si, pour nous, aller à la messe est une obligation plus ou moins subie, si elle est la corvée dominicale, cela va vous couper l'appétit. Cela suppose ensuite que le plat soit présentable. Si le lecteur n'a pas préparé sa lecture, s'il bafouille, ou simplement, si la sono est défectueuse, le repas ne sera pas très agréable, et la digestion - si digestion il y a - sera difficile. Ne négligeons pas la présentation. Tout compte : il y a des techniques audio-visuelles qui ont été mises en pratique dans la liturgie bien avant qu'on ne parle d'audio-visuel. Place du Livre, procession avec l’Évangéliaire, cierges, encens… tout concourt à manifester le respect que nous portons à Jésus Christ, Parole de Dieu. J'ai vu un jour, à la télé, un prêtre qui exprimait avec tout son corps (sa bouche, naturellement, mais également ses yeux, ses mains, son allure générale) l’Évangile qu'il proclamait. C'était remarquable. Il y avait là l'utilisation de techniques utilisées pour l'art dramatique, et pourtant, ce n'était pas du théâtre. L’Écriture n'est pas faite pour être lue en public, mais pour être annoncée, pro-clamée, c'est-à-dire clamée, mise en avant, lancée aux auditeurs. Quant aux auditeurs, il est nécessaire, s'ils veulent accueillir, recevoir, manger cette Parole, que leur attitude soit une attitude d'accueil : confortablement assis ou debout bien droit, notre corps doit exprimer ce désir de recevoir le Christ, Parole de Dieu.

POUR BIEN DIGERER.

La " Table de la Parole ", première partie de la messe, comporte des phases d'une grande variété : on vient de s'asseoir après les rites préliminaires (nous en reparlerons), et voici une première lecture, souvent extraite de l'Ancien Testament, et la plupart du temps en relation avec l'Évangile du jour. Je regrette parfois de n'avoir à entendre que quelques lignes, un tout petit passage, privé de son contexte et qui manque de valeur en soi. On dirait qu'il n'est lu que comme un " faire-valoir " de l’Évangile qui suivra. Je sais bien qu'il ne faut pas " faire trop long ", dans notre monde pressé. Je rêve parfois de ces assemblées, en d'autres régions du monde, où l'on prend le temps, tout le temps qu'il faut pour se nourrir de la Parole. Combien de sectes, là-dessus, pourraient également nous en remontrer ! Bon, passons. Après cette première lecture, vient un temps de " digestion " : un psaume avec un refrain. Comment le mettre en valeur ? Quand je pense que ces psaumes ont été composés par les auteurs de la Bible pour être chantés ! Je n'insiste pas. Deuxième lecture : cette fois, un extrait d'une lettre d'un apôtre. Je pense aux témoignages les plus anciens de l’Église primitive. Au livre des Actes des Apôtres, on nous montre la première communauté " assidue à l'enseignement des apôtres ". Au IIe siècle, le philosophe Justin explique : " On lit les mémoires des apôtres et les écrits des prophètes, autant qu'il y a lieu. Quand le lecteur a fini, celui qui préside prend la parole pour avertir et exhorter à imiter ces beaux enseignements " C'est alors que tout le monde se lève pour acclamer le livre des Évangile, tenu à bout de bras par le prêtre (ou le diacre), en chantant " Alléluia ". Et le prêtre proclame la Bonne Nouvelle de Jésus. Ne pas oublier en effet qu'avant de désigner un livre, le mot " Évangile " désigne une bonne nouvelle. Sommes-nous dans l'attitude de celui ou de celle qui attend impatiemment l'arrivée du facteur, qui doit lui apporter des nouvelles de l'être aimé ? Quelquefois, j'en suis certain, dès les premières phrases, on se dit : " Ce passage-là, je le connais. Donc, rien de bien nouveau ". Alors, quelle Bonne Nouvelle ?

DEMANDEZ LE SERVEUR

Eh bien, figurez-vous que le prédicateur, lui aussi, parfois, se fait la même réflexion, quand il prépare l'homélie. Il l'a tant de fois lu, ce passage de l’Évangile qu'il a la charge de commenter ! Que va-t-il bien pouvoir en tirer de neuf ? Et voilà que, miracle, s'il prend le temps, s'il fait silence, s'il se met dans le dispositions nécessaires, désir, accueil, ouverture d'esprit et de cœur, la Parole redevient toute neuve, toute nouvelle, d'une clarté insoupçonnée. " Dieu sensible au cœur, non à la raison ", écrit Pascal. Malheureusement, souvent, les prêtres, surchargés de travail en raison de leur petit nombre, éprouvent de grandes difficultés à dégager assez de temps dans leurs horaires pour cette écoute primordiale. Heureux ceux qui prennent le temps de découvrir chaque semaine la nouveauté radicale de l'évangile ! Car le prêtre est le premier parmi les participants à avoir besoin de se nourrir de la Parole. S'il a de l'appétit, beaucoup retrouveront l'appétit.

Restent, évidemment, les moyens techniques nécessaires pour établir la communication entre le prédicateur et son auditoire. Heureux tous ceux qui s'adressent à une assistance connue, reconnue, pour lui parler simplement, sans lire un texte, sans le support de la moindre feuille de papier. Rappelez-vous que le mot " homélie " signifie " entretien familier ". Et rappelons-nous tous qu'à cette " Table de la Parole ", le plat principal n'est pas l'homélie, mais la Parole de Dieu, dont le prédicateur n'est que le serveur-serviteur.

Il nous reste une chose essentielle à faire : répondre à cette Parole que Dieu nous a adressée. C'est le rôle de la Profession de Foi. Dire " je crois ", dire " Amen ", c'est manifester notre accord avec la Parole entendue, c'est dire que nous l'accueillons pour qu'elle nourrisse notre vie. Il peut y avoir des manières moins formalistes que la récitation du Credo pour exprimer notre foi personnelle, au cœur de la foi de l’Église. On peut faire preuve d'esprit d'invention.

Sur ce, bon appétit.

" La parole de Dieu ! Rends-moi ma parole, dira le Juge au dernier jour. Quand on pense à ce que certains devront tirer à ce moment-là de leur petit bagage, on n'a pas envie de rire, non ! " (Georges Bernanos - Journal d'un curé de campagne.)

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