Je suis venu apporter un feu sur la terre
Homélie
pour le 14 aout 2016
Lecture du livre du prophète Jérémie (Jr 38, 4-6.8-10)
En ces jours-là,
pendant le
siège de Jérusalem,
les princes qui tenaient Jérémie en
prison
dirent au roi Sédécias :
« Que
cet homme soit mis à mort :
en parlant comme il le fait,
il
démoralise tout ce qui reste de combattant dans la ville,
et
toute la population.
Ce n’est pas le bonheur du peuple qu’il
cherche,
mais son malheur. »
Le roi
Sédécias répondit :
« Il est entre vos mains, et le
roi ne peut rien contre vous ! »
Alors
ils se saisirent de Jérémie
et le jetèrent dans la citerne de
Melkias, fils du roi,
dans la cour de garde.
On le descendit
avec des cordes.
Dans cette citerne il n’y avait pas d’eau,
mais de la boue,
et Jérémie enfonça dans la boue.
Ébed-Mélek sortit de la maison du roi et vint lui dire :
« Monseigneur le roi,
ce que ces gens-là ont fait au
prophète Jérémie, c’est mal !
Ils l’ont jeté dans la
citerne, il va y mourir de faim
car on n’a plus de pain dans la
ville ! »
Alors le roi donna cet
ordre à Ébed-Mélek l’Éthiopien :
« Prends trente
hommes avec toi,
et fais remonter de la citerne le prophète
Jérémie
avant qu’il ne meure. »
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 12, 49-53)
Commentaire :
Pas facile la mission du prophète Jérémie, qui consiste à dénoncer les exactions des princes d’Israël, à leur dire la vérité, même si celle-ci doit déranger leur projet d’alliance avec le roi de Babylone. Cela lui vaudra d’être persécuté, on cherchera même à l’éliminer, comme le montre la première lecture de ce jour. Je vois dans ces prophètes de l’Ancien Testament, les lanceurs d’alerte d’aujourd’hui ! Eux aussi, comme Jérémie, sont souvent écartés et persécutés parce qu’ils osent dire une vérité qui dérange ! Jérémie lui, doit son salut à un étranger, un éthiopien, haut dignitaire de la cour royale. C’est lui qui va montrer au roi que ce qu’il autorise (la mort de Jérémie) est un mal, comme si le roi ne voyait plus le mal autour de lui, peut-être parce qu’il était courant de tuer les personnes qui dérangeaient à cette époque. On peut dire que cet étranger joue un rôle d’éclaireur auprès du roi : il lui ouvre les yeux et du coup, permet à Jérémie d’avoir la vie sauve et de sauver la vie du roi par la suite (voir les chapitres suivants).
On peut donc dire que la vie l’a emporté grâce à une parole de vérité et au courage de la prononcer ! Car il ne devait pas être évident pour un étranger de s’opposer au roi d’Israël. Voilà un enseignement très intéressant pour nous aujourd’hui : une parole de vérité quand elle est prononcée, permet de sortir de la vase de l’ambiguïté, du gouffre de la nuit où tous les chats sont gris, et de la boue que sont nos aveuglement dans lesquels on risque de s’enfoncer. Voilà comment j’entends cette première lecture, une interprétation qui nous donne les lunettes pour lire l’Evangile du jour, car il faut bien avouer que Jésus nous surprend par ses paroles aujourd’hui.
« Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. » Bien sûr que Jésus donne la paix. Il le dit explicitement à ses disciples lors de son dernier repas et lors de ses apparitions après la résurrection : " Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. " et à bien d’autres endroits dans le nouveau Testament, Jésus est présenté comme le prince de la Paix. Et là aujourd’hui bizarrement, Il semble affirmer le contraire : « Je viens apporter la division, et en plus, au sein des familles ». Bigre ! Cela mérite une explication.
Nous pouvons envisager une première explication à ces paroles en nous disant que Jésus fait le constat de sa propre expérience : lui-même divise, malgré son message d’amour universel, il divise, c’est un constat amer qu’il fait, auquel il ne devait peut être pas s’attendre. Alors fidèle à sa façon d’être, il dit la vérité, même si celle-ci peut faire mal, Il dit ce qu’il a au fond du cœur, tout simplement, peut-être pour bousculer, faire réagir ses auditeurs….
Nous pouvons penser aussi que Jésus exprime ici sa volonté de bousculer nos fausses paix acquises au prix de nos compromis, et cela grâce à sa parole de vérité, qui comme un glaive (selon le passage parallèle de l’Evangile de Matthieu), vient trancher, diviser afin de distinguer le vrai du faux, le bien du mal, comme Dieu le fait aussi dans le récit de la Genèse (Gn 1) où Il créer en séparant la lumière des ténèbres afin de faire jaillir la vie. Pour le dire autrement, Jésus est celui qui, par sa parole, vient nous aider à ne pas confondre « avoir la paix » et « être en paix ». Et cette confusion est particulièrement fréquente dans nos relations familiales : voilà pourquoi Jésus dit qu’il est venu « séparer » les pères avec les fils, les mères avec filles et les belles-mères avec les belles filles, pour permettre à chacun de vivre sa vie, sans fusion ni confusion, car nous savons tous combien il est important de « couper le cordon » afin de permettre à chacun de vivre sa vie personnellement.
Enfin, nous pouvons encore entendre ces paroles étonnantes de Jésus d’une troisième façon : si nous considérons que le conflit est un excellent moyen pour renouveler la qualité du lien dans nos relations, ne peut-on pas voir dans cette volonté de Jésus d’apporter la division, une invitation à oser confronter nos points de vue, à oser nos différences entre père et fils, fille et mère, belles filles et belles mères ? C’est comme si Jésus disait : « Je suis venu apporter de la confrontation entre vous pour que la vie advienne, car là où il y a confrontation, il y a de la vie ». C’est très subversif cette parole, surtout dans l’Eglise où l’on apprend plutôt à ne pas faire de vagues, à cacher un peu la vérité pour éviter les conflits, mais voilà que Jésus dit : « allez-y confrontez-vous, parler de vos différences », comme le Pape François l’a dit aux jeunes des JMJ : « allez-y mettez la pagaille », débattez, confrontez vos idées, vos paroles, vos valeurs, refusez les faux consensus faits de compromis.
Voilà comment nous pouvons entendre ces paroles étonnantes de Jésus qui, je l’espère, seront moins énigmatiques pour vous maintenant.
(Cette homélie peut s’arrêter là si vous ne disposez pas de plus de temps. Mais si vous avez le temps, vous pouvez développer encore un peu cette homélie en ajoutant la partie ci-dessous)
Mais il y a une autre parole de Jésus qui est aussi un peu énigmatique : « Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ». De quel feu parle-t-il ?
Si l’on va voir les références vétérotestamentaires auxquelles ce feu nous renvoie, (Isaïe, 66, 15-16 ; Ezéchiel 21, 3 ou Malachie 3, 19), nous tombons à chaque fois sur le feu de la colère de Dieu, un feu souvent destructeur, non pas des humains mais du mal qu’ils commettent. Bref, c’est un feu qui purifie en détruisant le mal là où il règne. Et Dieu sait que nous aurions bien besoin en ce moment d’être enflammés de ce feu qui brûle le mal autour de nous afin que celui-ci ne l’emporte plus. Nous avons entendu ces derniers temps la colère véhémente du pape François et de nombreux croyants face à la barbarie de quelques extrémistes : cette colère-là vient d’un feu intérieur qui nous fait dire « plus jamais ça » et qui nous pousse à agir résolument pour plus de fraternité, d’amour et de justice.
L’incendie que Jésus veut voir se répandre dans le monde, peut aussi être entendu comme le feu de son Esprit, un feu qui purifie, embrase et illumine tous les hommes. Ce feu couve en nous, mais il coure le risque de s’assoupir, si on ne l’entretient pas, comme tous les feux que l’on abandonne. Je dis « assoupir » car je ne crois pas qu’il puisse s’éteindre totalement, et je sais aussi qu’il ne faut pas grand-chose pour le rallumer, pour qu’il brûle à nouveau, nous enflamme et enflamme nos proches. Alors pour ceux qui, parmi vous, pourraient peut-être se reconnaître parmi les gens dont le feu s’est assoupi, Jésus vous dit : « ce feu, comme je voudrais qu’il ait pris en toi. Je te voudrais ardent(e), fervent(e) comme la braise ; je te voudrais actif(-ve) comme la flamme, toujours impatiente de se communiquer. Ne laisse pas mourir le feu en toi ! » Oui, l’expérience de Dieu est un feu qui brûle, qui enflamme le cœur, qui éclaire l’esprit et qui ne permet d’être ni tièdes, ni froids. Comme Moïse, les Apôtres et les saints de tous les temps, nous sommes appelés nous aussi, à être des hommes et des femmes « de feu ».
Mais comment ce feu pourrait-il prendre, s’il n’y avait en chacun de nous de quoi le nourrir ? Pour qu’un feu brûle, il lui faut de la matière à brûler et de l’oxygène pour ne pas étouffer. La matière à brûler, ce sont nos scories, tout ce qui n’est pas encore pleinement aimant en nous, donc je crois qu’on a tous un peu de matière pour alimenter notre feu intérieur. L’oxygène pour ne pas qu’il s’étouffe, c’est cet espace intérieur que l’on découvre en nous, un espace créé par un manque reconnu et accepté, où Dieu peut se manifester, où Sa parole peut être entendue, où Sa présence peut être accueillie. En effet, le feu ne peut jaillir que s’il a de la place, de l’espace pour prendre et se répandre. D’où l’importance de prendre soin de notre intériorité, en sachant faire silence, en apprenant à écouter là, à l’intérieur de soi, Celui qui est discrètement présent en chacun de nous.
Ce feu que Jésus veut voir allumer sur toute la terre et dans tous les cœurs, saura à coup sûr brûler en nous ce qui lui fait obstacle, éclairer ce qui semble obscur, il brûlera le reste d’ambiguïté présent dans nos « oui » et nos « non » et consumera les fausses images de Dieu que l’on se fait encore. Ce feu intérieur éclairera aussi nos visages et notre chemin, et cela, partout où nous irons puisque nous l’avons tous en nous. Alors nous pourrons partager le désir de Jésus et dire à notre tour à tous ceux que nous rencontrerons : « Jésus est suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais, moi aussi, qu’il soit déjà allumé dans TON cœur ».
Amen
Gilles Brocard
oOo
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Dernière mise à jour : 8 août 2016