« Effata ! »

     VINGTIEME-TROISIEME DIMANCHE ORDINAIRE (B)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc  7, 31-37

En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; 
passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. 
Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. 
Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. 
Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » 
Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. 
Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. 
Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »

oOo

Un signe

Je ne sais pas quelles sont vos réactions en entendant le récit de ce miracle de Jésus ! Alors qu'à certaines époques les gens ont cru à cause des miracles qu'on lit dans les Evangiles, nous, à notre époque, nous croyons plutôt malgré les miracles, pour reprendre le mot d'un de nos contemporains. Quelle est donc notre réaction intime en entendant Marc nous raconter la guérison du sourd-muet ? D'autant plus qu'on sait aujourd'hui, grâce au travail de la critique biblique, que le récit de Marc est semblable à des récits qu'on trouve chez des auteurs profanes de l'époque, auteurs grecs, auteurs païens. Chaque fois, c'est la même chose : le guérisseur prend le malade à l'écart, fait sur lui des gestes bizarres, prononce des paroles que personne ne comprend... On retrouve tout cela dans l'évangile d'aujourd'hui.
            Alors, qu'y a-t-il là-derrière ? Simplement un récit de guérison qui nous laisse plus ou moins sceptiques ? Je ne le crois pas. Je crois profondément à ce que Jean, dans son évangile, appelle des signes : tout geste miraculeux, c'est un signe que Jésus nous fait. Aussi, nous allons essayer de voir quel signe Jésus fait à ses disciples, à la population païenne qui avait amené jusqu'à lui le sourd-muet, et à nous aujourd'hui.

Communication

            Nous vivons dans une époque où chacun prend davantage conscience des difficultés qu'on éprouve pour communiquer avec autrui. Ne serait-ce que parce que nous avons du mal à fixer notre attention. On vient d'entendre deux lectures bibliques : peut-être, pendant ces deux lectures, votre esprit a-t-il vagabondé. Et sans doute, au bout de quelques minutes d'attention, vos pensées s'envoleront-elles ailleurs pendant cette homélie. Comment faire pour que la Parole de Dieu nous atteigne ? Mais il y a bien d'autres difficultés. C'est difficile de s'entendre, même si on a de bonnes oreilles. La sagesse populaire le dit bien : «Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre». D'autre part, on sait bien qu'il faut un peu de chaleur humaine pour communiquer. De deux personnes qui ne s'aiment pas, on dit qu'elles «ne s'entendent pas». Par ailleurs, il y a des mots piégés : des mots qui n'ont pas la même signification dans ma bouche et dans l'esprit de celui qui m'écoute. Enfin, il est si difficile d'écouter l'autre ! Vous en avez tous fait l'expérience, peut-être ces derniers jours, à votre retour de vacances. Quelqu'un vous a demandé si vous aviez passé de bonnes vacances, et vous aviez à peine commencé de raconter qu'il vous a coupé la parole pour vous raconter ses propres vacances. Combien de gens, ainsi, posent une question, non pour écouter, mais pour placer ce qu'ils ont à dire. Il y a plus grave : ce peut être dans une famille, dans un couple qu'on se situe «sur des longueurs d'ondes» différentes. Alors, c'est la rupture !

            Tous les instituts de Formation Permanente, conscients de l'importance du problème, vous proposent des stages pour vous initier aux techniques appropriées : conduite de groupe, d'entretiens, apprentissage de la prise de parole, etc. Mais, par-delà les techniques utiles, voire nécessaires, pour restaurer la communication, tous les formateurs insistent sur l'importance de la cordialité, de la chaleur humaine, du respect de l'autre, absolument nécessaires. Voilà donc notre problème : comment faire pour entrer vraiment en communication ? Il y faut une certaine aptitude à entrer dans la perspective de l'autre. Il y faut un certain amour d'autrui.

 

  Restauration

 

            Oui, mais.. ! Quand je dis tout cela, aujourd'hui, je ne fais que vous adresser un petit cours de psychologie, ou une petite leçon de morale. Jésus, lui, nous dit quelque chose d'autre, bien plus important. Et c'est en référence au texte d'Isaïe que nous entendions tout-à-l'heure. Isaïe disait : «Voici le jour de la vengeance de Dieu qui arrive». Pour nous, et pour beaucoup de chrétiens, le jour de la vengeance de Dieu, assimilé au jour du jugement, ce sera un jour terrible. Or, ce n'est pas de cela qu'il parle. Il ne s'agit pas d'une vengeance contre les hommes, mais d'une vengeance contre le mal, pour l'homme, pour restaurer l'homme. Le texte d'Isaïe est explicite : les boiteux bondiront, les sourds entendront et les muets crieront de joie.

            Et voilà que Jésus vient. Il a fait des guérisons en territoire juif ; il va en faire en territoire païen, car il s'agit d'une restauration de toute l'humanité, et il dit : «Le jour de Dieu est arrivé». Il inaugure ainsi les temps nouveaux, le grand bouleversement. Et ce pauvre type, incapable de communiquer avec les autres, incapable de louer Dieu, est désormais l'image de tous ceux qui, en Jésus-Christ, ont la possibilité de s'entendre, de se parler, de communiquer. C'est cela, l’œuvre du Christ, de mettre l'homme debout, pour qu'il ait la possibilité d'être «en relation», donc de vivre en homme.

            Seulement, voilà ! Il y a 2000 ans que Jésus-Christ a inauguré les temps nouveaux, et ça n'avance pas vite. Aussi, je crois que le message que Jésus nous adresse aujourd'hui est celui-ci : est-ce que nous sommes vraiment «du Christ», c'est-à-dire : ce que nous proclamons à l'église, est-ce que nous le vivons vraiment dans notre vie de tous les jours ? Est-ce que nous travaillons à cette œuvre de restauration de l'homme commencée par Jésus ? Est-ce que nous vivons vraiment ces temps nouveaux où tout homme, quel qu'il soit, a la possibilité de se dire, de s'exprimer. Est-ce que dans notre monde - et dans notre Eglise - il n'y a pas des catégories entières d'hommes qui n'ont pas le droit de s'exprimer : étrangers, pauvres, malades, gens du Tiers-Monde. Et est-ce que nous avons les oreilles - et le cœur - bien débouchés ? Est-ce que nous faisons quelque chose pour que les hommes d'aujourd'hui puissent se parler, s'entendre, tenir debout ? Et d'autres termes, le combat inauguré par le Christ, est-ce que nous le continuons ? Un combat pour l'homme.

En cette semaine de rentrée, je crois qu'il nous faut laisser pénétrer cette question en nous, que ça nous dérange. Que ça ne nous laisse pas dans notre quiétude. Je crois qu'en face de l'interpellation du Christ, personne de nous ne peut faire le malin, où qu'il soit : dans sa famille, dans son entreprise, dans son quartier, dans sa paroisse, dans le vaste monde...Qu'est-ce que nous faisons pour travailler avec le Christ, pour être «du Christ » ?

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