Je ne sais pas quelles sont vos réactions en
entendant le récit de ce miracle de Jésus ! Alors qu'à certaines époques les
gens ont cru à cause des miracles qu'on lit dans les Evangiles, nous, à notre
époque, nous croyons plutôt malgré les miracles, pour reprendre le mot d'un de
nos contemporains. Quelle est donc notre réaction intime en entendant Marc nous
raconter la guérison du sourd-muet ? D'autant plus qu'on sait aujourd'hui, grâce
au travail de la critique biblique, que le récit de Marc est semblable à des
récits qu'on trouve chez des auteurs profanes de l'époque, auteurs grecs,
auteurs païens. Chaque fois, c'est la même chose : le guérisseur prend le malade
à l'écart, fait sur lui des gestes bizarres, prononce des paroles que personne
ne comprend... On retrouve tout cela dans l'évangile d'aujourd'hui.
Alors, qu'y a-t-il là-derrière ?
Simplement un récit de guérison qui nous laisse plus ou moins sceptiques ? Je ne
le crois pas. Je crois profondément à ce que Jean, dans son évangile, appelle
des signes : tout geste miraculeux, c'est un signe que Jésus nous fait. Aussi,
nous allons essayer de voir quel signe Jésus fait à ses disciples, à la
population païenne qui avait amené jusqu'à lui le sourd-muet, et à nous
aujourd'hui.
Nous vivons dans une époque où
chacun prend davantage conscience des difficultés qu'on éprouve pour communiquer
avec autrui. Ne serait-ce que parce que nous avons du mal à fixer notre
attention. On vient d'entendre deux lectures bibliques : peut-être, pendant ces
deux lectures, votre esprit a-t-il vagabondé. Et sans doute, au bout de quelques
minutes d'attention, vos pensées s'envoleront-elles ailleurs pendant cette
homélie. Comment faire pour que la Parole de Dieu nous atteigne ? Mais il y a
bien d'autres difficultés. C'est difficile de s'entendre, même si on a de bonnes
oreilles. La sagesse populaire le dit bien : «Il n'est pire sourd que celui
qui ne veut pas entendre». D'autre part, on sait bien qu'il faut un peu de
chaleur humaine pour communiquer. De deux personnes qui ne s'aiment pas, on dit
qu'elles «ne s'entendent pas». Par ailleurs, il y a des mots piégés : des
mots qui n'ont pas la même signification dans ma bouche et dans l'esprit de
celui qui m'écoute. Enfin, il est si difficile d'écouter l'autre ! Vous en avez
tous fait l'expérience, peut-être ces derniers jours, à votre retour de
vacances. Quelqu'un vous a demandé si vous aviez passé de bonnes vacances, et
vous aviez à peine commencé de raconter qu'il vous a coupé la parole pour vous
raconter ses propres vacances. Combien de gens, ainsi, posent une question, non
pour écouter, mais pour placer ce qu'ils ont à dire. Il y a plus grave : ce peut
être dans une famille, dans un couple qu'on se situe «sur des longueurs
d'ondes» différentes. Alors, c'est la rupture !
Tous les instituts de Formation
Permanente, conscients de l'importance du problème, vous proposent des stages
pour vous initier aux techniques appropriées : conduite de groupe, d'entretiens,
apprentissage de la prise de parole, etc. Mais, par-delà les techniques utiles,
voire nécessaires, pour restaurer la communication, tous les formateurs
insistent sur l'importance de la cordialité, de la chaleur humaine, du respect
de l'autre, absolument nécessaires. Voilà donc notre problème : comment faire
pour entrer vraiment en communication ? Il y faut une certaine aptitude à entrer
dans la perspective de l'autre. Il y faut un certain amour d'autrui.
Restauration
Oui, mais.. ! Quand je dis tout
cela, aujourd'hui, je ne fais que vous adresser un petit cours de psychologie,
ou une petite leçon de morale. Jésus, lui, nous dit quelque chose d'autre, bien
plus important. Et c'est en référence au texte d'Isaïe que nous entendions
tout-à-l'heure. Isaïe disait : «Voici le jour de la vengeance de Dieu qui
arrive». Pour nous, et pour beaucoup de chrétiens, le jour de la vengeance
de Dieu, assimilé au jour du jugement, ce sera un jour terrible. Or, ce n'est
pas de cela qu'il parle. Il ne s'agit pas d'une vengeance contre les hommes,
mais d'une vengeance contre le mal, pour l'homme, pour restaurer l'homme. Le
texte d'Isaïe est explicite : les boiteux bondiront, les sourds entendront et
les muets crieront de joie.
Et voilà que Jésus vient. Il a fait
des guérisons en territoire juif ; il va en faire en territoire païen, car il
s'agit d'une restauration de toute l'humanité, et il dit : «Le jour de Dieu
est arrivé». Il inaugure ainsi les temps nouveaux, le grand bouleversement.
Et ce pauvre type, incapable de communiquer avec les autres, incapable de louer
Dieu, est désormais l'image de tous ceux qui, en Jésus-Christ, ont la
possibilité de s'entendre, de se parler, de communiquer. C'est cela, l’œuvre du
Christ, de mettre l'homme debout, pour qu'il ait la possibilité d'être «en
relation», donc de vivre en homme.
Seulement, voilà ! Il y a 2000 ans
que Jésus-Christ a inauguré les temps nouveaux, et ça n'avance pas vite. Aussi,
je crois que le message que Jésus nous adresse aujourd'hui est celui-ci : est-ce
que nous sommes vraiment «du Christ», c'est-à-dire : ce que nous
proclamons à l'église, est-ce que nous le vivons vraiment dans notre vie de tous
les jours ? Est-ce que nous travaillons à cette œuvre de restauration de l'homme
commencée par Jésus ? Est-ce que nous vivons vraiment ces temps nouveaux où tout
homme, quel qu'il soit, a la possibilité de se dire, de s'exprimer. Est-ce que
dans notre monde - et dans notre Eglise - il n'y a pas des catégories entières
d'hommes qui n'ont pas le droit de s'exprimer : étrangers, pauvres, malades,
gens du Tiers-Monde. Et est-ce que nous avons les oreilles - et le cœur - bien
débouchés ? Est-ce que nous faisons quelque chose pour que les hommes
d'aujourd'hui puissent se parler, s'entendre, tenir debout ? Et d'autres termes,
le combat inauguré par le Christ, est-ce que nous le continuons ? Un combat pour
l'homme.
En cette semaine de rentrée, je crois qu'il nous
faut laisser pénétrer cette question en nous, que ça nous dérange. Que ça ne
nous laisse pas dans notre quiétude. Je crois qu'en face de l'interpellation du
Christ, personne de nous ne peut faire le malin, où qu'il soit : dans sa
famille, dans son entreprise, dans son quartier, dans sa paroisse, dans le vaste
monde...Qu'est-ce que nous faisons pour travailler avec le Christ, pour être
«du Christ » ?