En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde,
vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes,
lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir,
le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ?
Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné,
dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
oOo
Je crois qu’à travers les deux lectures de la Bible que vous venez d’entendre, nous pouvons nous faire une idée plus précise de ce qu’est - de ce que devrait être - la foi de tout chrétien.
Habacuc
D’abord, le texte d’Habacuc. C’est pendant une période troublée de l’histoire d’Israël que ces paroles ont été prononcées. Le pays a été envahi, déjà une partie des habitants a été déportée ; rien ne va plus. Violence, pillage, meurtres, viols, bref, tout ce qu’un pauvre peuple subit pendant chaque période d’instabilité, c’est le lot quotidien d’Israël. Et voilà qu’Habacuc s’adresse à Dieu pour lui dire : « Mais enfin, qu’est-ce que tu fais ? Tu n’es pas sourd ! N’entends-tu pas tous ces gens qui crient vers toi ? » Et Dieu lui répond. Il lui dit : « Tu vas écrire d’une façon précise ce que je vais te dire. Il arrivera un jour où je viendrai pour vous sauver, pour vous donner le bonheur. » Bien ! C’est une réponse qui date, cette réponse de Dieu à Habacuc. Elle date, parce qu’elle est l’expression de la foi d’Israël à une époque donnée, environ cinq siècles avant notre ère. Ces gens qui ont eu toute une expérience spirituelle à travers les événements bien concrets de leur histoire, par exemple la libération de l’esclavage d’Egypte, ont toujours vu reculer l’accomplissement de la promesse. Ils sont libérés d’Egypte, ils passent la Mer Rouge, ils se disent alors : ça y est, on va être enfin dans la terre promise par Dieu...la Terre Promise, ils l’attendront quarante ans, c’est-à-dire plus qu’une génération d’hommes. Toute une génération a vécu dans l’espérance de la réalisation de la promesse, mais sans voir cette réalisation. Et progressivement, ils vont affiner leur réponse à notre question : Qu’est-ce que la foi ? Ils vont pouvoir répondre : La foi, c’est la confiance qu’on fait en une Parole. Tout simplement. Et cette confiance nous fait vivre. Confiance qu’à travers le mal, à travers la souffrance, à travers la mort, il y a un chemin, et que ce chemin va vers la liberté, vers le bonheur.
Demain, on rase gratis
Donc, la foi, à cette époque-là, c’est l’espérance. La confiance qu’on met en la Parole de Dieu qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Oui mais ! Je ne sais pas si cela vous satisfait. C’est un peu le « demain on rase gratis ». N’est-ce pas une illusion ? Et au fond, on est en droit de se demander pourquoi Dieu remet toujours, pourquoi il tarde tant. Si c’est vrai, il peut sauver l’humanité aujourd’hui. Il peut, d’un coup de baguette magique, faire en sorte qu’il n’y ait plus de menaces de guerre, plus de péril atomique, plus de misère, plus de souffrance, plus de violence, plus d’injustice. C’est possible, puisqu’il le promet...pour plus tard. Cette objection est valable. Je pense que vous l’avez tous formulée, un jour ou l’autre. Moi, je me la formule souvent. Mais voilà que Jésus va, si on le lit bien, nous expliquer que la foi, ce n’est pas seulement la confiance en une parole qui se réalisera plus tard, qu’elle ne se situe pas seulement au niveau des idées ou des sentiments, mais qu’il faut retrousser ses manches et se mettre à travailler. La foi, c’est quelque chose d’actif. Quelque chose qui fait qu’on comprend un jour que « Dieu a besoin des hommes », et qu’on se met à travailler à son oeuvre.
Comme la plus petite graine
Vous avez entendu les disciples demander à Jésus d’augmenter en eux la foi. Jésus répond : « Mais, la foi, si vous en aviez gros comme la plus petite graine qui existe, vous diriez à cet arbre d’aller se jeter dans la mer ». Que veut dire cette image ? Simplement ceci : avec un tout petit peu de foi, vous transformeriez le monde. Il n’y aurait plus rien d’impossible. Avec un tout petit peu de foi, il y a longtemps que vous vous seriez mis au travail, que vous auriez écouté la Parole, pas en vous croisant les bras, mais en retroussant vos manches et en vous mettant au travail. Je vous rapporte la réflexion d’un enfant, il y a quelques années : « Si on écoutait une seule parole de Jésus, on transformerait le monde ». J’ai dit alors : « Tu en connais une ? » Il m’a dit : « Aimez-vous les uns les autres ». Eh bien, ça y est. J’ai conclu en disant « Chiche ». C’est cela, la foi. Si nous en avions un tout petit peu, nous transformerions le monde !
Serviteurs inutiles
r de cette occasion, que les disciples lui ont fournie en lui demandant d’augmenter en eux la foi, pour nous adresser une remarque encore beaucoup plus importante. Il nous dit : Attention ! Très bien, vous avez compris, vous allez travailler avec moi. Mais rappelez-vous que vous êtes des serviteurs inutiles. Ne renversez pas les rôles. Parce que vous auriez tendance à vous dire, dès que ça marche un peu, que c’est grâce à vous. Non ! Ne croyez pas cela. Même si vous soulevez un peu le monde, dites-vous bien que vous êtes des serviteurs inutiles. Ne vous enorgueillissez pas. Et surtout, ne vous croyez pas indispensables. C’est tout juste si vous n’attendriez pas, alors, des félicitations de mon Père. Si Dieu nous aime, ce n’est pas parce que nous sommes aimables, c’est parce qu’il est aimant, parce qu’il est l’amour. J’aime citer la traduction d’un psaume de Claudel qui parle de « ce Dieu qui nous sert à le servir ».Cela veut dire que Dieu, qui est un Père très aimant, est aussi, comme tout père, un Père exigeant vis-à-vis de ses enfants, et que cette exigence devrait se traduire, dans nos manières de voir, par une volonté de travailler tous les jours à son oeuvre.
Jésus serviteur
J’ajouterai un dernier point. Celui qui nous dit que nous sommes des serviteurs est celui qui, le premier, s’est fait serviteur. Vous connaissez aussi l’autre histoire que raconte Jésus : celle d’un maître qui rentre au milieu de la nuit et qui trouve ses serviteurs en train de l’attendre. Il leur dit : « Asseyez-vous ; c’est moi qui vais vous servir ». C’est ce que Jésus a fait lui-même à la veille de sa mort. Il a fait asseoir ses amis, il leur a lavé les pieds en leur disant : Chez vous, mes disciples, sachez que celui qui veut être le premier doit être serviteur : pas pour s’enorgueillir, ni faire le malin, pas pour s’attribuer le mérite de ce qu’il fait, mais simplement comme quelque chose de naturel. Et cela soulève le monde.
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