J'ai vu l'Esprit descendre du ciel
comme une colombe et demeurer sur lui.

         DEUXIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 1, 29-34 

 

    Comme Jean Baptiste voyait Jésus venir vers lui, il dit : «Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ; c'est de lui que j'ai dit : Derrière moi vient un homme qui a sa place devant moi, car avant moi il était. Je ne le connaissais pas ; mais si je suis venu baptiser dans l'eau, c'est pour qu'il soit manifesté au peuple d'Israël ».

   Alors Jean rendit ce témoignage : «J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : 'L'homme sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit Saint'. Oui, j'ai vu, et je rends ce témoignage : c'est lui le Fils de Dieu ».

oOo

Etonnant !

Pour bien comprendre la signification de ce petit passage d'évangile, il faut commencer par le remettre dans son contexte. Et pour cela, nous étonner. En effet, le personnage et la mission de Jean, fils de Zacharie, ont de quoi nous étonner. Car normalement, puisqu'il était fils de prêtre, il aurait dû, comme son père avant lui, exercer des fonctions sacerdotales au Temple de Jérusalem. Or, on le trouve au bord du Jourdain, pour prêcher et appeler à une conversion, et pour baptiser les gens qui accourent vers lui. Ce qui fait de lui une sorte d'hérétique. Car, dans la religion juive de l'époque, il n'avait jamais été question de baptême. On était juif par la circoncision, un point c'est tout. D'où vient cette pratique d'un baptême, c'est-à-dire, d'un plongeon dans l'eau, pour un bain de purification. On en comprend bien la signification : il s'agit, pour celui qui plonge dans l'eau du Jourdain, de manifester ainsi le désir d'une purification totale, et donc d'une réelle conversion. Or, cette pratique était récente en Israël. Sans doute importée des anciennes religions d'Orient qui depuis toujours ont ces rituels de purification. Et peut-être Jean avait-il fréquenté les Esséniens de la région, à Qumran ? Toujours est-il que la pratique préconisée par Jean peut sembler divergente et même hérétique aux yeux des officiels de la religion juive de son temps. C'est d'ailleurs pourquoi, nous dit l'évangile de Jean, les autorités religieuses de Jérusalem « envoyèrent des prêtres et des lévites vers lui pour lui poser la question : « Qui es-tu ?  »

Haut-parleur

Jean commence par répondre « Je ne suis pas le Christ. » Rappelez-vous que le mot Christ est à l'époque un nom commun, traduction grecque du mot hébreu messie. Un messie que les gens attendaient, espéraient à l'époque particulièrement troublée où commence la prédication de Jean. Alors, s'il n'est pas le messie attendu, peut-être est-il Élie, dont on pensait qu'il reviendrait à la fin des temps ? Ou l'un quelconque des prophètes ? Non. Jean se présente comme un crieur public, une sorte de haut-parleur, chargé d'annoncer la venue imminente du messie. Une voix, simplement. Le baptême qu'il donne ? Un simple plongeon qui signifie une volonté de purification. Un autre vient, et celui-là vous plongera dans l'Esprit. C'est alors que Jésus paraît et que Jean le désigne comme « l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. »

Un agneau !

Voilà une expression que nous répétons plusieurs fois à chaque célébration, d'une façon machinale et sans y prêter particulièrement attention, sans remarquer sa signification profonde. Or, pour les auditeurs de Jean-Baptiste l'expression avait des résonances très riches. Pourquoi désigner un homme comme un « agneau » ? Bien sûr, aujourd'hui encore, on dit de quelqu'un qu'il est « doux comme un agneau » et toute une littérature nous revient en mémoire qui associe l'agneau à la douceur, la tendresse. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans la bouche du précurseur. Encore que, même aujourd'hui, dans les contes et la littérature, l'agneau garde souvent une valeur de victime innocente. Il y a plus dans l'expression « l'Agneau de Dieu » que nous avons gardée dans nos liturgies. Pour ne pas employer des formules qui ne signifient rien, il nous faut donc faire référence, au moins, à deux textes de la Bible, où l'agneau est associé à l'idée de sacrifice pour la libération de l'humanité.

Deux références bibliques

La première référence concerne la libération du peuple hébreu esclave en Égypte, au temps de Moïse. Avant de quitter la terre d'esclavage, Dieu ordonne à toutes les familles de sacrifier un agneau ; avec son sang, on badigeonnera le linteau des portes des maisons, de façon à ce que l'ange exterminateur passe au-dessus des maisons ainsi désignées et épargne ses habitants, puis on mangera l'agneau immolé avant de prendre la route de la liberté et de traverser la mer Rouge. Agneau pascal, agneau libérateur, première image de ce que sera la destinée de Jésus, le nouvel Agneau de Dieu.

Un autre texte, auquel Jean-Baptiste fait référence, c'est le chapitre 53 du livre d'Isaïe. Un texte qu'on intitule « Le Serviteur souffrant », dans lequel le prophète décrit, comme s 'il y était, la passion de Jésus : « homme de douleurs, familier de la souffrance...ce sont nos souffrances qu'il a portées... dans ses plaies se trouvait notre guérison... Brutalisé, il s'humilie ; il n'ouvre pas la bouche... comme un agneau traîné à l'abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent, lui n'ouvre pas la bouche... Il a été retranché de la terre des vivants. »

Le péché du monde

Mais que veut dire Jean-Baptiste, par l’expression « le péché du monde  » ?  Il ne dit pas « les péchés du monde », mais bien « le péché du monde ».  De quel péché s’agit-il ?  Traduire en inversant les mots, par exemple en disant : « qui enlève du monde le péché » serait un contresens.  « tèn hamartían tou kósmou » signifie vraiment « le péché du monde » et en quelque sorte, « le péché du monde par excellence ».  Et tout d’abord, de quel monde s’agit-il ?  Évidemment du monde dont vient tout juste de parler le Prologue de l’Évangile de Jean :  « Il était dans le monde et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu »

 Le péché du monde, ce n'est pas telle ou telle faute, ce n'est même pas la totalité des fautes commises dans l'humanité. C'est notre monde qui refuse de se comporter en fidélité avec le dessein de Dieu. Notre monde qui vit en contradiction avec les préceptes de l'évangile. Un monde, le nôtre, aujourd’hui comme hier, où les petits sont écrasés, les pauvres, exploités, où tant d'hommes souffrent de la faim, sont chassés de leurs maisons et de leur pays par la guerre ; un monde où les riches deviennent plus riches et les pauvres deviennent plus pauvres. Le péché du monde c’est aussi le silence et l’inaction coupables devant toutes ces injustices et ces crimes.

Aujourd'hui

Jésus est venu, Agneau de Dieu pour enlever le péché du monde. Et pourtant, après deux mille ans, le monde est toujours dans son péché. Nous est-il possible, à nous qui sommes dans ce monde, d'y vivre de manière différente ? De n'être pas « du monde » ? Je prends souvent, pour me faire comprendre, l'exemple de l'époque que nous avons vécue en France entre 1940 et 45 : l'occupation allemande. En face d'un tel état de fait, nous n'avions que trois solutions; Il y a eu ceux qui « attendant que ça se passe », ont vécu dans leur quant-à-soi, sans « se mouiller. » Il y a eu ceux qui ont collaboré avec l'occupant, soit par idéologie, soit par intérêt financier. Il y a eu enfin ceux qui ont été des résistants, au péril de leur vie. Parce qu'ils n'acceptaient pas l'esclavage et l'injustice qui nous étaient faite. Beaucoup y ont perdu la vie. Plus précisément : ont donné leur vie.

Et nous, comment allons-nous nous situer ?

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