Tiens ta lampe allumée...
COMMEMORATION DE TOUS
LES FIDELES DEFUNTS
Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 25, 1-13
Jésus parlait à ses disciples de sa venue ; il disait cette parabole : "Le Royaume des cieux est comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe et s'en allèrent à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient insensées et cinq étaient prévoyantes : les insensées avaient pris leurs lampes sans emporter d'huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, de l'huile en réserve. Comme l'époux tardait, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent.
Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre : "Voici l'époux ! Sortez à se rencontre." Alors, toutes ces jeunes filles se réveillèrent et préparèrent leur lampe. Les insensées dirent aux prévoyantes : "Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent." Les prévoyantes leur répondirent : "Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous ; allez plutôt vous en procurer chez les marchands."
Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et l'on ferma la porte. Plus tard, les autres jeunes filles arrivent à leur tour et disent : "Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !" Il leur répondit : "Vraiment je vous le dis, je ne vous connais pas." Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure."
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La mémoire des morts
Vous le savez sans doute : lorsque les spécialistes de la préhistoire découvrent des sépultures, ils sont certains qu’il y a eu là des humains qui, la plupart du temps, vivaient en collectivités. Les animaux, eux, ne s’occupent pas des restes d’animaux de la même espèce, de la même famille qu’eux. Donc, aux temps les plus reculés de la conscience humaine, il y a des milliers d’années, on entourait déjà les cadavres humains de certaines formes de respect : les restes d’un humain, ce n’est pas n’importe quoi. Les sentiments qui motivent ces attitudes peuvent être très divers : peur des morts, respect des ancêtres, sentiment diffus d’une survie quelconque, je ne sais. Certaines civilisations ont gardé jusqu’à ce jour des formes de ces cultes rendus aux ancêtres. Le culte des morts, c’est déjà un type de relations qui a un rapport avec des formes religieuses. Le christianisme, dès le début, s’est insurgé contre certaines formes de culte des morts, qui ressemblaient à des pratiques idolâtres. Les morts ne sont pas des fantômes qui rôdent autour des vivants, qui peuvent vous faire du mal ou vous octroyer certains bienfaits. Il n’y a rien à négocier avec eux. En christianisme, il ne s’agit pas de célébrer des morts, et si on garde un respect des cadavres, on sait bien qu’ils ne sont que des cadavres. Par contre, la mémoire que nous gardons de leur personne est liée, non à leur cadavre, destiné à retourner en poussière, mais à ce qu’ils sont aujourd’hui en Dieu. C’est tout le sens de cette célébration du 2 novembre : chaque année, nous faisons mémoire des morts qui nous ont précédés dans une célébration qui est célébration de la vie. C’est d’ailleurs ce qu’affirment les textes bibliques que nous lisons en ce dimanche. Nous célébrons la fête de la vie en dépit de la mort, autre manière de célébrer cette résurrection qui demeure pour nous une énigme. Non pas la résurrection « en général » mais tels ou tels humains que nous croyons vivants dans la vie même de Dieu. A partir de ces hommes et de ces femmes que nous avons connus, ce sont tous ceux qui nous ont précédés que nous assumons.
Résurrection ?
Pour les Israélites, pendant des siècles, la seule réponse à la question : « comment surmonter la mort » a consisté à faire des enfants. Réponse inconsciente à notre volonté instinctive de nous survivre. Pour eux, la mort était la mort totale, et le « shéol » qu’ils évoquaient était le séjour des morts qui ressemblait à un dépotoir. Ce n’est que peu de temps avant le Christ que commence à se faire jour, dans le peuple de Dieu, la foi en la résurrection. Plus question de survie de l’âme une fois séparée du corps par la mort ; c’est tout ce qui fait que je suis « moi », corps et esprit, qui ressuscitera. C’est cela, la mort : un passage de la vie transitoire et limitée à la vie éternelle. C’est ce que prêchera Jésus, c’est ce qu’il annonce lui-même, à de multiples reprises, avant de « plonger » lui-même dans la mort-résurrection, comme « premier-né d’entre les morts »
Voilà notre foi, énoncée clairement dans l’Ecriture. Ce qui n’empêche pas de nous poser des questions. Car depuis qu’il y a des hommes, à la pensée de la mort, ils se sont demandés : « Et après ? » Et quand je dis « résurrection », je ne dis rien du « comment ? » La question reste ouverte. Je lisais récemment le fait suivant : en Union soviétique, le gendre de Kroutchev avait été nommé rédacteur en chef du journal Les Izvestia, organe du parti. Pour moderniser la rédaction, il avait ouvert une rubrique « Courrier des lecteurs ». Il raconte lui-même à un ami : « Rubrique inutilisable : 80% des correspondants demandent : « Qu’y a-t-il après la mort ? » C’est dire que la question est universelle et profonde.
Aimés d'un amour éternel
Si l’Ecriture ne dit rien sur le « comment », si elle se contente d’affirmer la « résurrection de la chair », et donc si je suis bien obligé d’avouer mon ignorance, il n’en reste pas moins que ma foi en la résurrection découle directement de ma foi en l’amour éternel de Dieu. J’ai cité souvent le philosophe qui écrit : « Aimer quelqu’un, c’est lui dire : ‘toi, tu ne mourras pas’ ». Effectivement. Si Dieu est Dieu, s’il nous aime, ce ne peut pas être seulement pour la durée limitée d’une vie humaine. La Bible lui fait dire à notre adresse : « Je t’aime d’un amour éternel. » C’est sans doute ce qu’ont pressenti confusément les vivants dès le début de leur hominisation, entourant les corps des morts de tout un cérémonial exprimant à la fois le respect dont ils les entouraient et leur espérance d’une survie.
Même dans la foi la plus totale, tout ce que nous pouvons dire n’arrivera pas à conjurer l’énigme de la mort. Dans le Christ, Dieu ne vient pas nous l’expliquer, encore moins nous l’épargner. Il vient la partager. Les évangélistes ont tenu à nous raconter l’agonie de Jésus et ils ont mis dans la bouche du crucifié les paroles du psaume 22 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Pourtant Jésus savait l’issue de gloire. On lisait tout-à-l’heure cette parole extraordinaire : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » N’espérons donc pas faire mieux que lui. La mort de ceux qui nous sont chers nous parle aussi de la nôtre. Dur, dur passage ; inéluctable rendez-vous. Je souhaite personnellement que ma foi ne soit pas étouffée par les ténèbres épaisses, mais qu’au contraire, ce soit dans cette nuit-là qu’elle se fortifie et grandisse. Je ne vais pas me culpabiliser avec mes doutes et mes interrogations. Ils disent, à leur façon, mon espérance. « Je crois que mon Libérateur est vivant et qu’au dernier jour je surgirai de la tombe. Moi-même je le verrai. De mes propres yeux je le contemplerai. »