Une "Théologie pour les nuls"
L'EUCHARISTIE
3e séquence : Pécheurs ?
Une préparation.
Après avoir salué l'assemblée, le prêtre enchaîne :
"Préparons-nous à la célébration de l'Eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs."C'est la première mention du péché dans le déroulement de la messe. Il va y en avoir encore beaucoup. J'ai eu la curiosité de compter, dans ce qu'on appelle " l'Ordinaire de la messe ", c'est-à-dire ce qui est la partie fixe de la célébration : 16 fois, on retrouve les mots " péché " et " pécheur ". De plus, on trouve 6 fois l'expression : " le péché du monde. " C'est dire que l'idée de péché, la prise de conscience de notre condition de pécheurs, et de pécheurs participant au " péché du monde " est importante chaque fois que nous célébrons l'eucharistie. Mais commençons par le commencement.
Une célébration pénitentielle.
Chaque fois que nous célébrons l'eucharistie, nous commençons par une authentique célébration pénitentielle. Le savez-vous ? Et en mesurez-vous l'importance ?
A l'invitation du prêtre, nous commençons par confesser nos péchés. " Confesser ", qu'est-ce que cela veut dire ? Étymologiquement, " déclarer ". Donc, nous déclarons à Dieu, et "nous reconnaissons devant nos frères" que nous avons péché. Plusieurs formules sont préconisées, mais toutes indiquent que, premièrement, nous nous reconnaissons pécheurs, et que, deuxièmement, nous demandons à Dieu de nous "prendre en pitié", de nous "montrer sa miséricorde", de nous pardonner.
La conclusion du prêtre, lui aussi pécheur comme tous ses frères et se mettant donc avec tous ses frères sous le regard miséricordieux de Dieu, est essentielle :
" Que Dieu tout-puissant nous fasse miséricorde, qu'il nous pardonne nos péchés et nous conduise à la vie éternelle ".
C'est une véritable absolution des péchés. Nous sommes donc inconditionnellement pardonnés, dès le début de la célébration eucharistique.
Inconditionnellement ? C'est à vérifier.
" Moi, je ne fais pas de péchés ! "
C'est une réflexion que, sans doute, chacun de nous a entendue, un jour ou l'autre. C'est peut-être une réflexion que nous nous faisons à nous-mêmes.
Et effectivement, de nos jours, la conscience d'être un pécheur tend à s'effacer de nos mentalités. A cela, il y a plusieurs raisons.
Nous sommes, d'abord, marqués par les recherches de Freud et des psychanalystes contemporains en ce qui concerne le sentiment de culpabilité. Ils expliquent notamment que ce sentiment est en rapport à la vie des pulsions, sexualité, agressivité, désir d'être soi-même en s'emparant de l'objet qui accomplirait la totalité du désir, toutes réalités qui existent fondamentalement en tout être humain et qui donc altèrent la liberté et la responsabilité personnelles. Freud voit dans les croyances chrétiennes en matière de péché une projection illusoire du contenu de fantasmes. Cela nous pose, à nous chrétiens, de vraies questions.
Ensuite, il y a toutes les sciences humaines, histoire, économie, ethnologie, sociologie. Pour une part, je suis " déterminé " par mon hérédité. Les gènes que j'ai reçus conditionnent profondément mes comportements et donc atténuent ma propre liberté. Pour beaucoup aujourd'hui, les conduites religieuses en matière de péché ne sont que des transpositions des impératifs socio-économiques, politiques, culturels ou même d'un groupe ou d'une classe déterminée. Et effectivement, l'histoire de la culture occidentale montre que ce fut souvent le cas. A toutes les époques, des chefs d’État ou des dirigeants, des groupes politiques, des idéologies économiques ont été très heureux de trouver dans le christianisme un instrument d'appoint pour le service de leurs propres intérêts et un garant de l'ordre social qu'ils imposaient. Ici encore, c'est à nous, croyants, de montrer que la morale chrétienne, dans notre propre vie, n'est pas une pure et simple transposition des exigences qu'une culture, un groupe ou une classe sont amenés à imposer.
Enfin, il y a la philosophie qui, surtout depuis Hegel, a marqué une disjonction entre la morale et l'éthique. Pour faire simple, disons que pour la morale chrétienne, il y a un appel que Dieu adresse à l'homme pour qu'il se réalise dans la vérité de son existence, alors que pour Hegel et ses successeurs, c'est l'homme lui-même qui découvre ce qu'il est en prenant corps dans la réalité qu'il instaure, celle du travail, de la politique, du langage de la sexualité, etc. La loi n'est pas un principe selon lequel l'homme doit se construire, mais un principe qu'il construit lui-même selon sa propre conscience. C'est pourquoi toutes les éthiques modernes ont fait de l'élimination de la " morale " chrétienne une tâche fondamentale pour que l'homme puisse être lui-même.
Toutes ces recherches, toutes ces idéologies qui courent le monde actuel sont dans " l'air du temps ". Nous les respirons, que nous le voulions ou non. Alors, interrogeons-nous sincèrement. Est-ce que nous pouvons, aujourd'hui, dire vraiment : " Reconnaissons que nous sommes des pécheurs " ? Et, d'abord, qu'est-ce que c'est, le péché ?
Une rupture d'Alliance.
Le chrétien croit que le Dieu de l'Alliance veut rassembler tous les hommes, dans cette alliance, en communion avec lui et entre eux. Est péché tout ce qui est nuisible à cette vie dont Dieu veut nous faire vivre. Pour un chrétien, cette notion d'alliance est fondamentale : au cœur même de sa foi. C'est même la clé de l'histoire (voir l'homélie du 1er dimanche de Carême). Notre Dieu est celui qui veut se lier avec nous, et donc qui nous révèle, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, son appel pressant à entrer dans cette alliance.
De même que l'Alliance ne peut être connue de l'homme que si Dieu la lui révèle, de même, le péché ne peut être connu que si Dieu le révèle. Plus même, puisque c'est Dieu qui a l'initiative de l'Alliance et qui sait ce qu'elle représente pour lui et pour ce qu'il désire faire vivre à l'homme, c'est lui, et lui seul, qui peut juger qu'un acte est nuisible à la vie selon l'Alliance. Il n'y a jamais, dans la Bible, de révélation par Dieu de l'Alliance sans qu'il y ait également révélation par lui de ce qui permet à l'Alliance de porter ses fruits ou de ce qui peut au contraire l'entraver. Tout est donc affaire de foi. Par la foi, l'homme donne son assentiment à ce que Dieu lui révèle de l'Alliance, et, de même, c'est dans la foi que lui est révélé par Dieu ce qui est péché. La théologie orientale a beaucoup insisté sur le fait que le péché lui apparaît comme un avatar possible, et certes parfois mortel, du développement de la vie selon l'Alliance.
Cela dépasse donc largement les sentiments de honte, d'impureté, de culpabilité, les idées de transgression l'une loi ou d'un tort fait à quelqu'un. Le sentiment du péché est essentiellement d'ordre religieux.
Péché et salut.
Mais Dieu, qui nous révèle le péché comme une rupture d'alliance, ne veut pas enfermer l'homme dans le péché qu'il dénonce et le condamner à mourir à la vie de l'Alliance. Tout au contraire, il veut lui permettre de sortir du péché, d'une part en lui en révélant l'existence, dont il n'a pas forcément conscience, d'autre part en l'invitant à répondre de nouveau à son désir qui est que nous vivions : c'est pourquoi il parle toujours de pardon. Dans la Bible, il n'y a jamais de révélation sur le péché en dehors d'une révélation du salut. L'homme, certes, est invité à regretter son péché parce qu'il met à mal le dessein d'amour de Dieu ; mais il est surtout invité à confesser, à reconnaître que, par-dessus tout, Dieu veut le faire revivre en plénitude. Il n'est pas question de lui faire payer son péché par l'acquittement d'une peine. Dieu ne se présente pas comme un juge qui veut faire respecter une loi ; il est le Dieu vivant qui veut faire vivre l'homme de sa propre vie.
C'est pourquoi, dans le christianisme, c'est la mort et la résurrection de Jésus-Christ (dont nous célébrons le mémorial dans chaque eucharistie) qui sont la révélation majeure sur le péché, sur la façon dont il importe à Dieu et sur la façon dont Dieu veut en sauver l'homme. Dans cet acte fondateur, c'est Dieu lui-même qui incarne la mort résultant du péché et la vie résultant de la démarche par laquelle Dieu se rend présent à l'homme.
Pour conclure.
Je raconte souvent la boutade d'un vieux curé d'une importante paroisse, dans un milieu populaire, un peu avant la dernière guerre mondiale. Il disait : " Dans ma paroisse, je ne sais pas si quelqu'un est capable de commettre un péché mortel. Il y a peut-être mon premier vicaire, et encore, je n'en suis pas sûr : Il n'y a sans doute que moi qui en sois capable. "
Mon vieux catéchisme disait que pour qu'il y ait péché, il fallait " pleine connaissance et plein consentement ".
Mais, au fait, aujourd'hui, à l'invitation du prêtre " Reconnaissons que nous sommes pécheurs ", qu'allons-nous pouvoir répondre ? " Moi, je n'ai pas de péchés ", ou bien " Je reconnais que j'ai beaucoup péché ".