"Tu aimeras"

     TRENTIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 22, 34-40 

 

Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l'un d'eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve : «Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ?» Jésus lui répondit : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Tout ce qu'il y a dans l'Écriture, dans la Loi et les Prophètes, dépend de ces deux commandements.»

oOo

Banal ?

Elle n’a l’air de rien, la question du docteur de la Loi qui demande à Jésus quel est le grand commandement ? On nous dit que c’est pour mettre Jésus à l’épreuve, alors qu’il me semble que c’est une simple question de catéchisme. Quand je faisais le catéchisme aux enfants, bien souvent il m’arrivait de poser cette question, qui n’avait rien d’insidieux. Et tous les enfants, depuis leur plus jeune âge, étaient capables de répondre « Tu aimeras ». Pour eux, comme pour la plupart des chrétiens, cela paraît une évidence, de mettre en premier le commandement de l’amour. Et pas seulement pour les chrétiens. On trouve cette prescription, sous des formes équivalentes, dans la plupart des religions.

Traquenard ?

Alors, anodine, la question du docteur de la Loi ? Et anodine, la réponse de Jésus ? D’après les spécialistes de la Bible, si le savant pose la question à celui qu’il considère comme un provincial qui n’a pas fait d’études – Jésus, en effet, sort de Galilée, la province reculée, attardée ; et de Nazareth (de Nazareth que peut-il sortir de bon ?) – c’est parce qu’à l’époque la question faisait matière à discussion. En ce sens, il faut se souvenir que l’évangile de Marc, qui rapporte la même discussion, précise, comme Matthieu, que Jésus a répondu en citant les deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, mais il ajoute que son interlocuteur a poursuivi la discussion en déclarant que « cela vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices ». D’où la conclusion de Jésus : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Je crois que là était le traquenard que les pharisiens voulaient tendre à Jésus. A ces « lettrés » qui discutaient pour savoir ce qu’il fallait mettre en premier, le culte ou les actes de la vie courante, Jésus se pose nettement en dehors de leur problématique. Comme pour dire qu’on ne doit mettre en premier ni le culte ni les actes de la vie courante, mais que ces deux attitudes ne peuvent être vraies qu’étroitement liées. Aimer Dieu (culte) sans aimer son prochain (dans la vie de tous les jours), c’est faux et hypocrite ; aimer son prochain sans aimer Dieu, c’est impossible. Si on aime son prochain, on aime Dieu même sans le savoir. Rappelez-vous Matthieu 25, 31 : « Chaque fois que vous avez fait cela à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ! »

Prudence

C’est pourquoi à la question du docteur de la Loi, Jésus cite deux commandements en les liant étroitement. Tous deux sont dans la Loi – c’est-à-dire dans la Bible - mais en des livres différents. Ils ne font pas partie des dix commandements donnés à Moïse sur le Sinaï ; l’un est tiré du Deutéronome, l’autre, du Lévitique. Mais les deux, dit Jésus, sont semblables. Donc, aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute son intelligence, et aimer son prochain comme soi-même, c’est la même chose. L’un ne va pas sans l’autre.

On a assez critiqué les chrétiens parce qu’ils n’ont que ce mot « aimer » à la bouche, pour ne l’employer qu’avec prudence. Nous ne sommes pas tous des sœur Emmanuelle ou des abbé Pierre : eux pouvaient se le permettre parce que c’était l’essentiel de leur vie ; en eux, amour de Dieu et amour du prochain étaient parfaitement liés. Donc, nous, soyons prudents avant d’avoir toujours le mot  Amour à la bouche. Et regardons d’un peu près les termes mêmes du double commandement. Deux choses retiennent mon attention.

Qui est-il ?

Premièrement, il nous est recommandé de faire preuve d’intelligence. Ce ne sont pas seulement notre cœur, notre âme, nos sentiments qui sont mobilisés dans cet acte d’amour, mais aussi notre esprit, notre intelligence.  Donc il faut chercher à comprendre ; chercher à savoir qui est ce Dieu qu’il nous est commandé d’aimer. Comme me le disait un jour, il y a bien longtemps, un jeune avec qui j’en discutais : « Comment peut-on aimer quelqu’un qu’on ne connaît pas ? » J’en ai convenu avec lui. Alors nous en arrivons à la vraie question : « Qui est-il, celui qui nous commande de l’aimer, non seulement de tout notre cœur, mais aussi intelligemment ? » Nous allons y revenir.

Comme moi-même

La deuxième chose qui retient mon attention dans ces commandements, c’est le précepte d’aimer notre prochain « comme nous-mêmes » S’aimer soi-même, quoi de plus naturel ? Si on ne le fait pas, c’est qu’on vire à la dépression, voire aux tendances suicidaires. Seulement il y a diverses manières de s’aimer soi-même. On peut sombrer dans un pur narcissisme, c’est-à-dire un amour excessif de sa propre personne. On peut aussi n’envisager que l’amour de son corps. Mais s’aimer soi-même, c’est beaucoup plus. C’est s’aimer qu’en tant que personne humaine, donc essentiellement « être en relations ». Pour employer une expression populaire, c’est un peu comme se sentir « bien dans sa peau ». Mais à la racine de l’amour de soi, je crois qu’il y a le sentiment d’être aimé, d’être en relation d’amour, par-dessus tout, avec Dieu. Celui qui, pour moi, est l’Amour.

D’où ma réponse à la question de mon jeune ami : qui est-il, celui qui nous commande de l’aimer ? Il est l’Amour, personnifié en Jésus Christ. Je vais même plus loin. Il ne nous commande pas de l’aimer : il nous demande de l’aimer. Il est « mendiant d’amour. »

Vous ne le croyez pas ? Il est possible que vous doutiez de ma parole. Je ne suis ni l’abbé Pierre ni sœur Emmanuelle. Par contre, vous ne pouvez pas douter de la parole de Celui qui, par amour, a été jusqu’à donner sa vie. « Pas de plus grand amour, avait-il dit pour donner la signification de sa mort, que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »

Il faut le croire. Il faut le vivre.

Retour au sommaire