Les enfants de ce monde se marient
TRENTE-DEUXIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 20, 27-38
Des sadducéens, - ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de résurrection - vinrent trouver Jésus, et ils l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a donné cette loi : si un homme a un frère marié, qui meurt sans enfant, qu’il épouse la veuve pour donner une descendance à son frère. Or, il y avait sept frères ; le premier se maria et mourut sans enfant ; le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement, la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour femme ? » Jésus répond : « Les enfants de ce monde se marient. Mais ceux qui seront jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts, ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont fils de Dieu, en étant héritiers de la résurrection. Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson, quand il appelle le Seigneur ‘le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob’. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous ont par lui la vie. »
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Avertissement au lecteur : que le lecteur ne s’étonne pas : il s’agit bien d’une homélie. En effet, friand des images et de genres littéraires différents, je m’aventure parfois sur de nouvelles formes d’homélies afin de garder l’attention de l’auditeur éveillée et nous permettre de ne pas tomber dans la routine ! Merci pour vos réactions à cette homélie. (gilbrocard@orange.fr)
Lettre aux sadducéens du XXIème siècle
Mon cher Théophile[1],
Je réponds à ton mail de la semaine dernière où tu me demandais comment ça allait se passer au ciel pour ton amie Véro qui, après avoir eu deux maris sur terre (remariée après un veuvage) est décédée dernièrement. Te connaissant bien, j’ai perçu le ton ironique de ton mail, sachant très bien que tu fais partie des 85% de Français qui pensent qu’il n’y a rien après la mort. Mais tu sais, ta question n’est pas nouvelle : déjà au temps de Jésus, il y avait des juifs qui, comme toi, ne croyaient pas à la résurrection (ils se nomment « les sadducéens »). Un jour, ils viennent trouver Jésus pour lui soumettre une question à propos d’une femme qui, – tiens-toi bien – fut sept fois veuve et qui meurt à son tour. Et comme toi, ils demandent à Jésus de qui cette femme sera l’épouse au ciel puisqu’elle a eu 7 maris sur terre. Le but de ces saducéens était clairement de chercher à piéger Jésus, ce qui, je le sais, n’est pas ton intention.
Et sais-tu ce que Jésus leur répond ? « Les ressuscités ne se marient plus » : sous-entendu, « votre question ne tient pas ! ». En effet, ce qui se passe au ciel n’a rien à voir avec ce que nous connaissons ici : c’est comme si un enfant dans le ventre de sa mère essayait de s’imaginer le monde dans lequel il va arriver à partir de ce qu’il connaît de sa vie intra-utérine : c’est impossible ! Il en va de même pour nous les hommes quand nous essayons d’imaginer le ciel ! On se trompera toujours ! Il ne faut donc pas trop chercher à imaginer ce que sera le ciel, car c’est tout simplement impossible à partir de notre vie terrestre. Si sur terre, nous avons besoin de nous marier, au ciel nous n’aurons plus besoin de ces signes-là pour dire le type de lien qui nous unira, car il ne restera que nos liens d’amour ! « Ils ne se marient plus » ne veut pas dire qu’ils ne s’aiment plus, mais que l’institution du mariage ne sera plus utile, car au ciel, il ne restera que les liens d’amour purifiés, magnifiés !
C’est pour cela que Jésus dit aux saducéens que « les ressuscités seront comme des anges », histoire de dire : « nous serons en Dieu, totalement accomplis, ressemblant à Dieu ». Les anges étant en quelque sorte nos grands frères, nos ainés dans la foi, qui nous montrent ce que signifie avoir atteint sa stature finale. Mais Jésus va préciser sa pensée : « les ressuscités sont fils de Dieu et héritiers de la résurrection ». Voilà ce que fait la résurrection : elle achève en nous le processus commencé sur terre, qui fait de nous des fils de Dieu : je pense à ce que dit St Jean dans sa 1ere épitre : « Voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu et nous le sommes. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est ». (1 Jn 3, 1-2).
En fait, il faut que tu saches, Théophile, que pour les chrétiens, la mort et la résurrection sont comme une dilatation intérieure pour devenir pleinement ce que nous sommes : enfants de Dieu ! Cela nous invite donc à vivre ici sur terre à fond, non pas à 100 à l’heure mais à 100% ! Car, j’en suis certain Théophile, la qualité de ce que nous vivons ici sur terre a quelque chose à voir avec ce que nous vivrons au ciel. Croire en la résurrection ne nous déresponsabilise pas, bien au contraire, cela nous invite à ne pas attendre le ciel pour commencer à aimer.
Voilà pourquoi Jésus termine son entretien avec les sadducéens en disant que « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants », un Dieu qui ne veut perdre aucun de ses enfants, qui veut partager sa vie éternelle dès maintenant, à tous quels qu’ils soient, à ceux qui y croient comme à ceux qui n’y croient pas ! Voilà la promesse de Dieu pour chacun de nous ! Mais « cela est promis seulement à ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection d'entre les morts ». En effet, Dieu a besoin de notre consentement pour nous sauver, il souhaite sentir notre désir de la relation avec Lui pour nous donner d’être en sa présence, éternellement, car il nous respecte trop pour vouloir s’imposer. Ce n’est pas Dieu qui trie et choisit qui il veut pour lui donner de ressusciter, mais on ne peut entrer en résurrection par surprise, le ciel n’est pas automatique, il faut le désirer. Cela suppose le « oui » intense et renouvelé de chacun de nous !
Je veux être clair avec toi Théophile : je ne cherche pas à te convaincre, je te dis simplement ce qui fait le centre de la foi des chrétiens, je tente de te dire le visage du Dieu auquel je crois, afin de répondre à ton mail concernant l’avenir céleste de ton amie Véro ! A toi maintenant de te positionner le plus librement possible, en utilisant ta foi et ta raison. Car au fond Théophile, le vrai problème ce n'est pas de savoir si nous serons vivants après la mort, mais si nous sommes vivants avant la mort. En effet, comme le dit Maurice Zundel : « Il s’agit de vaincre la mort aujourd’hui même. Le ciel n’est pas là-bas : il est ici ; l’au-delà n’est pas derrière les nuages, il est au-dedans. L’au-delà est au-dedans, comme le ciel est ici maintenant. C’est aujourd’hui que la vie doit s’éterniser, c’est aujourd’hui que nous sommes appelés à vaincre la mort, à devenir source et origine, à recueillir l’histoire, pour qu’elle fasse, à travers nous, un nouveau départ. Aujourd’hui, nous avons à donner à toute réalité une dimension humaine pour que le monde soit habitable, digne de nous et digne de Dieu. ».
Voilà qui sont ceux qui seront jugés dignes de pouvoir participer à la vie divine et à la résurrection, parce qu’ils auront déjà appris à ressusciter sur terre en aimant gratuitement, en vivant leur vie à 100%, en faisant gagner la vie, en donnant à toute réalité une dimension humaine, etc… et sur ce plan-là Théophile, je trouve que le saducéen du XXIème siècle que tu es, ne se débrouille pas mal du tout …!
Cordialement !
Signé : ton ami Théodule[2]