« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme Roi. »

     TRENTE-QUATRIEME DIMANCHE ORDINAIRE(C)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 23, 35-43
 

On venait de crucifier Jésus, et le peuple restait là à regarder. Les chefs ricanaient : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Elu ! » Les soldats aussi se moquaient de lui. S’approchant pour lui donner de la boisson vinaigrée, ils lui disaient : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » Une inscription était placée au-dessus de sa tête : « Celui-ci est le roi des Juifs. » L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! » Mais l’autre lui fit des reproches : « Tu n’as donc aucune crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. » Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme Roi. » Jésus lui répondit : « Vraiment, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »

oOo

Credo

Nous avons pour habitude de réciter ou de chanter le Credo, chaque dimanche à la messe. Je me demande bien souvent si cette récitation à la va-vite répond à son objectif, qui est de proclamer notre foi commune de chrétiens. C'est déjà mieux si nous le chantons, bien sûr, à condition que nous comprenions les expressions latines de ce chant. Pour moi, la difficulté essentielle est que beaucoup de ces expressions, qui datent des premiers siècles de l'histoire de l’Église, sont plus ou moins incompréhensibles de nos jours. Qu'est-ce que nous comprenons, par exemple, lorsque nous affirmons que Jésus « est descendu aux enfers » et même qu'il est « monté aux cieux » et qu'il « est assis à la droite de Dieu » ?

Plongeon

Mon intention n'est certes pas de contester la pratique traditionnelle de nos Eglises. Et pourtant, vous l'avouerai-je, je préfère, dans ma piété personnelle, employer, pour exprimer ma foi, la plus ancienne formulation de la foi chrétienne, telle qu'elle est citée par Saint Paul dans sa lettre aux Philippiens (2, 5-11) Elle décrit sous la forme géométrique d'une parabole le contraste entre deux mouvements : l'abaissement volontaire du Christ et son élévation par Dieu. D'abord un plongeon : de condition divine, Jésus plonge dans la condition humaine, jusqu'au plus bas de cette condition, le statut d'esclave ; dans sa vie comme dans sa mort. « obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur une croix. » Et c'est à partir de ce « plus bas » que Dieu va le relever jusqu'à en faire Celui devant qui « tout genou fléchit, au ciel, sur terre et sous la terre » : Jésus est le Seigneur.

Un pouvoir ! Mais quel pouvoir ?

Nous fêtons aujourd'hui, en ce dernier dimanche de l'année liturgique, le « Christ, roi de l'univers ». Cette fête, instaurée par le pape Pie XI dans les années vingt du siècle dernier, se voulait être une réponse à ce que l'histoire appelle « la montée des totalitarismes » : fascisme, communisme stalinien, nazisme hitlérien entre autres. Personnellement; j'ai toujours craint l’ambiguïté que contient cette appellation de Christ-Roi. Dans l'esprit de beaucoup, c'était placer la souveraineté du Christ, peut-être pas au même niveau, mais tout de même, en rivalité avec les autres pouvoirs totalitaires. C'est toute l’ambiguïté que le Christ, durant sa vie terrestre, a voulu éviter à ses contemporains. Car, il suffit de relire les évangiles pour constater le nombre de fois où il nous est dit que les gens ont voulu faire de lui leur roi. Pas seulement au lendemain de la multiplication, où Jésus a dû s'enfuir, mais jusqu'à quelques jours de la passion. De Jéricho à l'entrée solennelle à Jérusalem, l'expression la plus couramment employée par les foules est celle-ci : « Hosanna au Fils de David ». Si les braves gens voient en Jésus le descendant de David, c'est qu'ils le voient comme son successeur, un éventuel roi. Je crois d'ailleurs que c'est le plus grand malentendu qu'il y ait eu entre Jésus et ses contemporains, à commencer par ses disciples : ils ont vu en lui un homme politique capable de restaurer en Israël, en même temps que la royauté, l'indépendance, la libération de l'occupant romain et une certaine prospérité économique ; bref, la restauration de la royauté telle qu'on l'avait connue au temps de David. Jésus s'est toujours défendu d'avoir un quelconque projet politique, même s'il parle, en de multiples occasions, du « Royaume de Dieu. » A Pilate qui l'interroge, il cherche à expliquer que son Royaume n'est pas comme les royaumes terrestres. Ce qui n'empêchera pas Pilate de faire inscrire, au-dessus de la tête du condamné, « Jésus de Nazareth, roi des Juifs. »

Immense solidarité

Même le brigand qui s'adresse à lui avec confiance envisage une royauté très humaine : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme Roi ». Lui non plus n’a rien à perdre ;  mais il a tout à gagner.  Il parle à Jésus avec la familiarité touchante de ceux qui ne connaissent pas de masques et devant qui personne ne peut en porter.  Il ne s’embarrasse pas de « Seigneur » ou de « Maître », de « Monseigneur » ou de « Révérend ».  Il appelle Jésus tout simplement par son « petit nom » comme le font tout naturellement des compagnons de prison ou de champs d’exécution.  « Jésus, dit-il, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton royaume. » Jésus cherche à lui indiquer une autre perspective que celle d'un pouvoir terrestre ; il lui répond en parlant du Paradis ! « Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le Paradis. »

Tous deux sont alors au plus bas de la condition humaine. Jésus va alors manifester combien est immense sa solidarité avec les pauvres malheureux. Il ne se sauve pas seul; S'il a plongé au plus bas, c'est pour re-surgir avec tous ceux qui sont dans la même condition de malheur et qui expriment leur confiance en lui. Dans le Paradis.

C’est à cet « aujourd’hui » que nous relie notre célébration eucharistique.  Nous faisons mémoire de lui, parce que nous savons qu’il se souvient de nous. Notre vie de prière consiste à vivre sans cesse en présence de Dieu, à conserver présent en nos cœurs le souvenir de Jésus.  Mais cela n’est possible que parce que Jésus se souvient lui-même de nous.  Avec le brigand de l’Évangile qui, « fidèle à son métier de voleur » selon une belle expression de saint Jean Chrysostome,  « vole par sa confession le royaume des cieux », nous aussi, bande de brigands que nous sommes, disons-lui : « Souviens-toi de nous quand tu viendras dans ton royaume »

Retour au sommaire