« Venez derrière moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes ».
TROISIEME DIMANCHE
ORDINAIRE (A)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5, 12-23
Quand Jésus apprit l'arrestation de Jean-Baptiste, il se retira en Galilée. Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe : «Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée, toi le carrefour des païens : le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays de l'ombre et de la mort, une lumière s'est levée». A partir de ce moment, Jésus se mit à proclamer : «Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche».
Comme il marchait au bord du lac de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans le lac : c'étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : «Venez derrière moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes». Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. Plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée et son frère Jean, qui étaient dans leur barque avec leur père, en train de préparer leurs filets. Il les appela. Aussitôt, laissant leur barque et leur père, ils le suivirent.
Jésus, parcourant toute la Galilée, enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
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Une citation
Vous avez sans doute déjà remarqué que Matthieu, dont nous lisons presque chaque dimanche cette année un passage d'évangile, éprouve le besoin d'étayer les informations concernant les événements de la vie de Jésus par des citations de l'Ancien Testament. Parfois, ces citations nous paraissent un peu « tirées par les cheveux ». Aujourd'hui, par contre, la longue citation d'Isaïe est particulièrement bien venue. Matthieu nous présente le début de la mission de Jésus, et, pour en donner le sens, il cite le prophète Isaïe (le texte que nous avons d'ailleurs déjà entendu comme première lecture). Encore faut-il que nous sachions de quoi il s'agit.
Il s'agit d'une période particulièrement troublée de l'histoire d'Israël, environ sept siècles et demi avant Jésus. C'est la montée en puissance des grands empires du Moyen Orient ; à ce moment-là, l'Assyrie (en gros, l'Irak actuel). L’Assyrie vient donc d'envahir le Nord d'Israël (Zabulon, Nephtali, bref, la Galilée). Toute cette région est passée sous le pouvoir de l'Assyrie qui s'est conduite en puissance occupante, déportant une partie de la population, la remplaçant par des « colons » venus d’ailleurs. C'est à partir de cette époque-là que la Galilée va devenir la « Galilée des païens » dont parlent les textes bibliques : un pays où les races et les religions se côtoient, puis se mélangent. (C'est le pays où vivra Jésus et où il commencera sa mission.) Bref, alors que ce pays est « dans les ténèbres », le prophète Isaïe, vers -700, prophétise la fin de cette période trouble : il annonce une « lumière »; une espérance, donc, une libération.
Eh bien, dit Matthieu, ce qui s'est passé il y a sept siècles, ça recommence, mais infiniment mieux, avec Jésus. Non seulement pour la Galilée, mais pour toute l'humanité à partir de la Galilée. Et Matthieu dit l’œuvre de Jésus en termes de libération, libération de tout homme et de tout l'homme.
Vocations
Mais Jésus ne veut pas accomplir sa mission tout seul. Dès l'annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume, il va appeler des hommes à travailler avec lui : en premier lieu Pierre, Jacques, André, Jean. Et ici, il faut faire attention à deux choses : d'abord, on risque d'avoir une fausse idée de ce qu'on appelle la « vocation ». La vocation, ce n'est pas une sélection, par Dieu, de quelques-uns parmi les hommes. La vocation, c'est pour tout le monde. Chacun de nous est appelé. On le chante, d'ailleurs - "Dieu nous a tous appelés" - , mais sans le croire. Fausse idée également de croire que le Seigneur nous embauche comme un chef de chantier qui dit : « il me faut dix hommes ici »; ou comme l'adjudant qui crie : « untel, de corvée... » Ce n'est pas cela, la vocation. Il nous laisse entièrement libres. Et tout au long de l’Évangile il nous dit : « Si tu veux... » Mais tu es libre. La vocation, ce n'est pas de chercher à discerner quel serait le plan de Dieu sur notre vie comme une route toute tracée. La vocation nous laisse entièrement libres et responsables de nos actes, y compris la liberté de dire non, même après avoir dit oui. Mais si on le veut, nous dit Jésus, on peut marcher avec lui. Pour quoi faire ? Pour être « pêcheurs d'hommes ». Là encore, il faut s'expliquer.
Re-pêcher
De nos jours, et dans notre mentalité contemporaine, cette image employée par Jésus est une image qui ne passe pas. Cela semble vouloir dire : on va « piquer » des hommes pour les faire entrer dans l’Église comme dans une secte. Or, ce n'est absolument pas de cela qu'il s'agit dans le propos du Christ. Il ne s'agit pas de prendre, de posséder, d'avoir quelqu'un, il ne s'agit pas de « pêcher », mais de « repêcher ». Pour comprendre cela, il faut savoir quelle était l'idée que Jésus et ses contemporains se faisaient de la mer. Alors que les Phéniciens et les Grecs ont tout de suite été des peuples de marins, qui ont utilisé la mer pour faire du commerce et des conquêtes, le peuple juif n'a jamais été un peuple de marins : on avait peur de la mer. Eux, ils ne seront jamais « comme des poissons dans l'eau ». Pour eux, la mer, c'est le mal, le néant, le monde vide de sens, c'est la mort. L'homme ne fait pas de la mer son élément naturel. Quand Jésus dit à Pierre et à ses camarades : « Vous serez pêcheurs d'hommes, cela veut dire : « ces pauvres hommes, vous allez leur mettre la tête hors de l'eau pour qu'ils puissent respirer. » Autrement dit : Vous allez les sauver des ténèbres, du malheur, de la mort. Vous allez, avec moi, leur permettre d'exister. Vous allez les libérer, les sauver. » Les hommes, l'humanité tout entière est en risque de mort. Et vous allez les sauver.
Un Royaume de Lumière
Voilà l’œuvre entreprise : le Royaume de Dieu qu'il vient inaugurer. Il faut également bien s'entendre sur le mot « Royaume ». C'est vraiment Dieu qui reprend le pouvoir, mais pas pour dominer ; pour que les hommes enfin puissent vivre. Il y a eu des accrocs sérieux dans toute l’histoire de l'humanité. Il y a eu, il y a le péché. Dieu vient dire, en Jésus : si vous le voulez, le mal du monde, ce n'est pas irrémédiable. Vous y pouvez quelque chose. Avec son fils Jésus. Comprenez-le bien : nous sommes tous appelés, aujourd'hui. Les enfants, les jeunes, les adultes. Appelés à travailler, dès aujourd'hui, à ce Royaume. Pour refaire le tissu d'un monde déchiré. Par exemple, en faisant attention à quelqu'un qui souffre, ou à quelqu'un qui est malade, ou à quelqu'un qui est malheureux. Attention. Écoute. Jésus faisait des signes. Il n'a pas guéri tous les malades, il n'a pas chassé tous les esprits mauvais. Quelques signes, pour nous dire que la volonté de Dieu, c'est que l'homme, enfin, soit bien dans son corps, qu'il puisse vivre réconcilié avec lui-même et réconcilié avec les autres. Et là, nous avons un gros travail à faire : un ministère de réconciliation. Pour être de ceux qui apportent un peu de joie, un peu de bonheur, autour d'eux, tout près d'eux. C'est le début du Royaume de justice, de vérité, de paix et d'amour. Pas besoin de quitter son pays, sa famille, pour travailler au Royaume. Notre monde, comme la Galilée du temps de Jésus, est un monde de ténèbres. Si les chrétiens le veulent sincèrement, ils seront dans ce monde une grande lumière.