L’Esprit du Seigneur est sur moi
TROISIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (1, 1...21)
Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,
d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole.
C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi,
après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début,
d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi,
afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.
En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée,
sa renommée se répandit dans toute la région.
Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude,
il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre »
oOo
La plus courte
Voilà un bon paroissien ! Il est de passage dans le village où il a vécu son enfance et sa jeunesse, et comme c’est le jour du sabbat, il se rend à la synagogue avec tous ses compatriotes. On lui propose de faire la lecture : il la fait. Bien plus, comme tout bon Juif en a le droit, il fait l’homélie. Et quelle homélie ! On dit souvent des histoires qu’on raconte que les meilleures sont les plus courtes : il en va de même de toute homélie, vous ne me contredirez pas. Eh bien, voici la meilleure de toutes les homélies de toute l’histoire de la prédication : elle tient en une phrase. Jésus, après avoir fermé le Livre, dit simplement : « Aujourd’hui, cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre est accomplie ».
Il s’agit donc, en ce message inaugural, d’une loi-programme. Ce programme se résume en un mot : libération. Et Jésus donne ce message le jour du sabbat. Ce qui est significatif. En effet, le jour du sabbat est rappel constant de l’œuvre du Dieu qui a libéré son peuple de l’esclavage d’Egypte. Avant de promulguer ses commandements, Dieu rappelle à son peuple qu’il est son libérateur. Il veut des hommes libres, qui, chaque sabbat, ont à remercier Dieu pour cette liberté. Ce rassemblement doit être significatif de cette volonté de Dieu : ainsi, on ne travaille pas ce jour-là, pour montrer qu’on est libérés des contraintes du quotidien. Ainsi on ne devra pas faire travailler ses serviteurs, ses esclaves, ni même ses animaux. Peuple d’hommes libres, chargés, dans le dessein de Dieu, de libérer les autres. Une institution qui permet à l’homme de « souffler », de prendre du recul par rapport au quotidien. Il ne faut jamais oublier que Dieu s’est présenté, dès le début de l’histoire, comme un Dieu qui intervient pour libérer l’homme, parce qu’il ne veut pas avoir à faire à des robots.
Libération
Il est symptomatique également de voir que Jésus va faire une bonne partie de ses miracles le jour du sabbat. Les scribes et les pharisiens penseront que c’est de la provocation. En fait, il n’en est rien. C’est un signe, comme pour dire : de même que Dieu a libéré son peuple, moi, son envoyé, je ne supporte pas qu’il y ait des gens enchaînés, enchaînés par le démon, dans le cas d’un possédé, ou aveugles, ou paralysés (incapables de se joindre à l’assemblée) ou lépreux, donc exclus de toute vie relationnelle. Vous voyez maintenant pourquoi c’est le jour du sabbat qu’il reprend à son compte, pour se l’appliquer, la prophétie d’Isaïe 61 (en l’amputant d’ailleurs d’un petit passage où il est question de la colère de Dieu).
« Aujourd’hui », dit-il après avoir refermé le Livre. Mais aujourd’hui, nous avons rouvert le Livre. Et toutes les communautés chrétiennes de la terre ont entendu de nouveau le même message, la même prophétie. Un message de libération, pour notre humanité d’aujourd’hui. Qu’est-ce que ça veut dire, aujourd’hui, une bonne nouvelle pour tous les pauvres de la terre ?
Des société à deux vitesses
Toutes les sociétés, quelles qu’elles soient, parce qu’elles sont des essais d’organisation de la vie économique et politique, fabriquent des exclus. Regardez, dans toute l’histoire, comme dans notre monde actuel. Une recherche, qui a pour but de faire parvenir le maximum de gens à un certain niveau de vie, met de côté, rejette, même, un certain nombre d’individus, quand ce ne sont pas des couches entières de la population, et, de nos jours, des nations entières. Il y a donc une responsabilité de la part des sociétés, quelles qu’elles soient. Mais les sociétés ne portent pas toute la responsabilité de cet état de fait. Il y a des « marginaux » qui ont leur propre part de responsabilité, des gens qui s’enfoncent plus ou moins délibérément. Il y a aussi, je pense, des fatalités. Celui qui naît avec un handicap génétique par exemple, ou la victime d’une maladie ou d’un accident, qu’est-ce qu’on y peut ? Cependant, nous ne sommes pas là pour examiner les causes. Nous regardons le fait brut : une société, des sociétés « à deux vitesses », comme on dit aujourd’hui, dans laquelle il y a des gens qui vivent (plus ou moins) bien, et dans laquelle il y a des exclus.
Souvent, notre attitude consiste à penser que c’est inévitable, que c’est la « rançon du progrès », et « qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs ». Et plutôt que de s’arrêter sur le cas de celui qui est mis de côté, on regardera l’aspect positif : le progrès qui est là, et dont beaucoup jouissent.
Or, l’Esprit du Seigneur, qui est sur nous comme il était sur Jésus lors de la prédication de Nazareth, nous dit aujourd’hui : « Vous faites fausse route. Et si vous regardez simplement du côté de la masse qui profite, si vous détournez votre regard de ceux qui sont exclus, vous n’êtes pas de mon Esprit. L’Esprit focalise notre regard sur le malade, le pauvre, le vieillard, l’exclu, le marginal. Comme Jésus, il nous invite à faire attention à la centième brebis qui s’est égarée en laissant de côté les quatre-vingt-dix-neuf autres. Comme Jésus souligne le geste de la pauvre veuve, comme c’est l’attitude constante de Dieu qui choisit les petits pour réaliser son œuvre (voir le Magnificat qui exprime parfaitement cela), et qui ne tolère pas que dans l’humanité, il y ait des malheureux, des pauvres, des aveugles, des prisonniers de toutes sortes de pauvretés, d’aveuglements, de prisons.
Quelques pistes
Il nous demande, à nous aujourd’hui, de travailler à cette libération. Comment ? Je voudrais signaler quelques pistes concrètes.
D’abord, en négatif : ne pas enfermer les gens. Un regard, une réflexion, une attitude à l’égard d’autrui peuvent l’enfermer et le replier sur lui-même. Tout éducateur sait cela. Et pourtant, que de bêtises faisons-nous ! Même les parents avec leurs enfants. Et entre nous, adultes ! Il faut savoir combien tout homme est fragile. Alors qu’il s’agit simplement de libérer quelque chose, de faire éclore quelque chose. Faisons attention à nos regards, à nos jugements sommaires sur autrui : est-ce qu’ils « enferment », ou est-ce qu’ils libèrent ?
Autre chose : Les chrétiens doivent être de ceux qui, aujourd’hui, se battent contre les précarités, les malheurs, le chômage qu’engendrent l’économie mondiale et les systèmes économiques de nations, dans une période difficile.
Enfin, comment faire « advenir » les hommes ? Nous en avons tous les moyens. Je cite simplement quelques exemples : ceux qui s’occupent d’enfants qui ont des retards scolaires, pour leur faire apprendre leurs leçons, leur faire faire leurs devoirs, humblement, quotidiennement ; ceux qui aident ces petits pour qu’ils aient une chance de réussir, c’est formidable ! C’est ça, la libération de l’homme. Ceux qui s’occupent d’adolescents, de jeunes, pour les aider à passer le moment difficile de l’adolescence, pour les aider à regarder leur présent et leur avenir, à porter un jugement sur leur vie, à agir ensemble pour que ce monde leur soit plus accueillant. Ceux qui s’occupent des malades...
Tout cela, ce sont de petites choses, on n’en parle pas dans les journaux. Mais c’est cela qui fait que, peut être, pour notre cité, pour notre monde, cette année que nous commençons sera « une année de bienfaits accordée par le Seigneur ».