Il fit un fouet avec des cordes

 

   Troisième dimanche de Carême B

 


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 2,13-25. 
Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. 
Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » 
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment. 
Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » 
Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » 
Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. 
Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. 

Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme. 

 

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Homélie

Précision : Ce texte d’évangile que j’ai déjà commenté au mois de novembre dernier revient cette fois-ci pendant le carême. Je ne vais bien sûr pas vous redire la même chose, tout d’abord parce que le contexte liturgique a changé, (nous sommes dans le temps du carême) mais aussi parce que la compréhension de l’Ecriture évolue avec ceux qui la lisent. Car le sens de l’Ecriture est pluriel ! C’est ce que le diacre st Ephrem avait bien compris au IV° siècle de notre ère quand il disait : « Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d'une seule de tes Paroles, Seigneur ? Tu as coloré ta Parole de multiples beautés pour que chacun de ceux qui la scrutent puisse contempler ce qu'il aime. Tu y as caché tous les trésors pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu'il médite. Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu'il y a seulement dans la Parole de Dieu ce qu'il y trouve ; il doit comprendre au contraire qu'il a été capable d'y découvrir une seule chose parmi bien d'autres. Enrichi par la Parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie. Incapable de l'épuiser, qu'il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t'attriste pas de ne pouvoir épuiser la source. Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source. Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau chaque fois que tu auras soif. Si au contraire en te rassasiant tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur. Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part. Mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n'as pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois à cause de ta persévérance. N'aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d'un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois". (Saint Ephrem, Diacre syrien du IV° siècle).

 

Superbe non ? Je dois encore vous livrer un petit secret sur ma façon de préparer ces homélies que je publie le site de Murmure et qui explique pourquoi je ne peux vous dire la même chose à propos du même texte : 15 jours avant la date de publication, je prends le temps de partager ces lectures avec une amie qui anime un groupe de partage biblique dans sa paroisse : cela l’aide à préparer sa séance et moi à préparer mon homélie. C’est donc le fruit d’un partage que je vous propose et le résultat est encore moins prévisible que lorsque je suis seul à penser par moi-même ; moins prévisible et tellement plus riche. Voici donc le résultat de notre partage sans oublier le discret travail de l’Esprit-Saint qui œuvre pour nous rendre réceptif à la Parole au moment de notre partage, au moment où je rédige ces mots pour vous, ainsi qu’au moment où vous lisez ces lignes.

Homélie :

 « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ». Cette phrase est très proche de celle de Jérémie : « Vous faites du temple de Dieu une caverne de voleurs » (Jr 7, 11) qui se tient exactement là où se tient Jésus dans l’Evangile de Jean pour apostropher son peuple : dans le temple, sur le parvis des païens, dans la cour extérieure. C’est là que Jérémie leur rappelle que les sacrifices ne servent à rien si la conduite de ceux qui offrent ces sacrifices n’est pas juste et conforme au décalogue. « Quand les actes contredisent la foi, ça ne peut pas marcher » dit Jérémie au peuple juif.  

Il me parait donc évident que lorsque, 650 ans plus tard, Jésus prononce cette parole (Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce) à l’endroit même où Jérémie se tenait, les juifs présents ne pouvaient pas ne pas reconnaitre les paroles du prophète Jérémie, le prophète persécuté, qui n’a eu de cesse de pointer du doigt l’incohérence du peuple et des religieux de l’époque qui offraient  des sacrifices à Dieu mais qui n’œuvraient pas pour plus de justice. Le nouveau Jérémie qu’est Jésus qualifie le comportement des pharisiens de « commerce » car ils font croire aux petites gens que les sacrifices au temple posséderaient un pouvoir magique surtout en payant pour que Dieu leur accorde son pardon face à leur conduite répréhensible. Ça ne vous fait pas penser à quelque chose du même ordre que l’Eglise a utilisé aussi du moyen âge à la renaissance ? Les indulgences ! Oui, cet horrible commerce qui laissait croire qu’on pouvait acheter sa place au paradis. C’est contre cet attachement fétichique au temple que Jésus réagit : « Mon Père attends beaucoup mieux que cela de votre part » !

C’est le même cri que celui du prophète Amos qui, cent ans avant Jérémie, mettait dans la bouche de Dieu ces reproches cinglants : « Je déteste, je méprise vos fêtes, je n’ai aucun goût pour vos assemblées. Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je ne les accueille pas ; vos sacrifices de bêtes grasses, je ne les regarde même pas. Éloignez de moi le tapage de vos cantiques ; que je n’entende pas la musique de vos harpes. Mais que le droit jaillisse comme une source et la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais ! » (Amos 5, 21-24). Voilà ce qui me semble animer Jésus dans cet épisode et expliquer la violence de ses gestes et de ces paroles. En effet, contrairement aux pharisiens qui disent et ne font pas, Jésus va appuyer sa parole par des actes et renverser les comptoirs des vendeurs car il ne peut supporter que la relation à son Père soit à ce point détournée et instrumentalisée. Et nous aujourd’hui quel sens donnons-nous à nos sacrifices ? En ce temps de carême, je trouve que c’est une bonne question à nous poser.

Mais il y a plus grave encore : le temple a toujours été un lieu ouvert à tous ceux qui voulaient se tourner vers Dieu. C’était précisément la fonction du parvis des païens, que d’offrir une place à ceux qui voulaient s’approcher de Dieu sans pour autant être juif. Or c’est justement ce parvis des païens qu’occupaient les vendeurs du temple et qui, par ce fait, reléguaient les païens en dehors de cet espace qui leur était normalement réservé. C’est cela qui met Jésus dans une telle colère : quand on refuse l’accès à Dieu à certains et qui plus est, en monnayant cet accès. Il est fort à parier que les juifs de l’époque ont entendu en Jésus, le cri d’Isaïe qui parle de l'incorporation des étrangers dans le peuple de Dieu : « Les étrangers qui s'attacheront à Dieu pour le servir (...) et qui demeureront fermes dans mon alliance, je les amènerai sur ma montagne sainte et je les réjouirai dans ma Maison de prière, leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel, car ma Maison sera appelée une Maison de prière pour tous les peuples ». (Is 56, 7).

Si Jésus a expulsé les marchands du temple, précisément à l'endroit appelé « le parvis des païens », c’est bien pour faire comprendre que ces vendeurs n’étaient pas à leur place et pour protester contre un usage illégitime de la cour extérieure, un lieu de prière pour les étrangers transformé en marché au bétail et en bureau de change. Il accuse ainsi les pharisiens d’oublier la véritable vocation du temple : être un lieu d'accueil et d'adoration pour tous, y compris pour les étrangers qui s'attacheraient à Dieu.

Ce sont tous ces murs que Jésus est venu abattre, ces murs entre religions, mais aussi ces murs au sein même de nos religions, entre ceux qui ont droit et ceux qui n’auraient pas droit, ceux qui sont dans les clous et ceux qui ne le sont pas, bref, Jésus vient renverser tous ces murs en nous rappelant que la Maison de Dieu (l’Eglise) doit être un lieu d'accueil pour tous, un lieu de rassemblement pour un peuple consacré à la pratique de la justice, un lieu où les adorateurs quels qu’ils soient, seraient tous accueillis sans condition.

L’attitude du Christ éclaire la manière dont nous-mêmes devons occuper encore aujourd'hui la Maison de Dieu qui est l'Eglise : pas de commerce et pas d’exclus ! Deux interdits fondamentaux qui peuvent facilement se décliner dans les 3 dimensions de notre baptême, comme prêtre, prophète et roi.

-        prêtre en bénissant toutes les personnes qui viennent à nous sans distinction ;

-        prophète en leur annonçant qu’ils sont aimé de Dieu inconditionnellement, quoi qu’ils aient fait et quelle que soit leur situation ;

-        et comme roi en faisant d’eux des partenaires à part entière pour bâtir ensemble un monde plus juste et plus humain.

Le Christ présent au cœur du temple qu’est l’Eglise est aussi présent secrètement au cœur du temple que nous sommes. Un temple qui a peut-être aussi besoin d’un petit coup de ménage en ce temps de carême, pour qu’en nous aussi, il y ait de la place pour Lui, le Christ mais aussi pour les autres, les étrangers, les croyants autrement, les non-croyants, les différents de nous, etc… afin de recréer en nous, un « parvis des païens ». N’est-ce pas là un beau programme pour le reste de notre carême ?

Amen  

 

Gilles Brocard

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