Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 1, 18-24
Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, la mère de Jésus, était promise en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action du Saint Esprit. Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret. Il avait formé ce projet, lorsque l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : « Le Seigneur sauve »), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». Tout cela arriva pour que s’accomplit la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ». Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit, et prit chez lui son épouse.
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Qui est-il ?
Jésus, d'après les hypothèses les plus sérieuses concernant sa personne, a vécu trente trois ans. Or, sur ce court laps de temps, personne ne s'est posé la question de son identité. Pour tout le monde, il était Jésus fils de Joseph; Jeshoua ben Youssef, charpentier à Nazareth en Galilée. Tout au moins pendant trente ans, jusqu'à ce qu'il quitte son village et sa profession pour devenir un de ces prédicateurs ambulants qui étaient relativement nombreux à son époque. Ce n'est qu'à partir de ce moment-là que quelques uns commencèrent à se poser la question : qui est-il vraiment ? Pendant quelques années – au maximum trois ans – la question ne cessera pas de se poser avec de plus en plus d'intensité, par tous ceux qu'il rencontre. Ses gestes, ses comportements, ses paroles posent question, si bien que, progressivement, les réponses diverses se multiplient. Pour les gens de son village, il demeure le fils de Joseph, le charpentier, et rien d'autre. Pour beaucoup, il demeure un sujet d’interrogation. Un prophète, certes. Un grand prophète, successeur d’Élie ou même de Moïse ? Peut-être. Mais "de Nazareth que peut-il sortir de bon ?" demandera Nathanaël. Et voilà qu'un jour, au nom de ceux qui le suivent fidèlement, Simon-Pierre déclarera que Jésus est le messie que tout le monde attend. Mais sous cette appellation de « messie », chacun met des réalités différentes. Un messie nationaliste, un révolutionnaire, un restaurateur de la grandeur et de l'indépendance du pays ? Chacun met sous cette appellation ses propres désirs. En tout cas, l'incertitude demeure. Il est accepté par beaucoup, rejeté par d'autres, à commencer par les puissants. Cela finira mal : sur une croix. Et même lorsque ses propres disciples seront témoins de sa résurrection, ce n'est pas pour autant qu'ils auront percé le mystère de la personne de Jésus et donné une réponse valable à la question du début : « qui est-il ? » A tel point qu'au matin de l'Ascension, d'après le livre des Actes des Apôtres, ils lui demanderont quand il va « restaurer la royauté en Israël. »
Dieu fait homme !
Ce n'est qu'une cinquantaine d'années plus tard que paraîtront quatre petits livrets qui ont pour but de répondre à la question « Qui est Jésus ? » Quatre évangiles, rédigés, pour deux d'entre eux au moins, par des auteurs qui n'ont pas connu personnellement Jésus. Ces quatre évangiles, bien différents les uns des autres, ont ceci en commun qu'ils commencent par un prologue dans lequel ils annoncent au monde leur foi, la foi de la jeune Église, une bonne nouvelle concernant Jésus. Pour eux, il est Dieu fait homme. Marc, le plus simple, se contente d'une phrase : « Bonne nouvelle de Jésus, Christ (c'est à dire messie), Fils de Dieu. » Jean, lui, a un prologue plus développé pour nous présenter Jésus comme le Verbe de Dieu qui s'est fait chair et qui a habité parmi nous. Quant à Matthieu et Luc, ils utilisent dans un récit plus circonstancié, un genre littéraire habituel dans les milieux juifs de l'époque, comme une sorte de conte populaire, le midrash. Luc, pour nous dire l'annonce faite à Marie, Matthieu, pour raconter l'annonce faite à Joseph, et tous deux dans le même but : annoncer la bonne nouvelle de Jésus qui est tout à la fois fils de Dieu et, par Marie qui lui a donné un corps ainsi que par Joseph qui lui a donné un nom, pleinement homme.
Compagnon de route
Jésus est donc bien plus que le fils de Joseph et de Marie. Il est fils de Dieu. Voilà ce que les quatre évangélistes se chargent de nous annoncer. Il a fallu cinquante ans à la jeune Église née au jour de la Pentecôte avant qu'elle puisse publier par écrit la profonde réalité de son expérience primitive, commencée sur les routes de Palestine. Expérience qui s'est poursuivie au long des années qui ont suivi. Leur compagnon de route aussi humain qu'eux tous, est resté, même invisible, leur compagnon de route, réalisant ainsi l'appellation annoncée déjà par le prophète Isaïe : Jésus, c'est réellement « Dieu avec nous. » Comme le dira superbement saint Irénée : « En Jésus, Dieu est venu s’habituer à vivre avec les hommes pour que les hommes s’habituent à vivre avec Dieu. »
Joseph dérouté
Relisons le récit de Matthieu. Et mettons-nous à la place de Joseph lorsqu'il se rend compte que Marie, son épouse, qui ne vit pas encore avec lui, mais est toujours domiciliée chez ses parents, est enceinte. Tout son projet humain s'écroule. Il était en train de construire leur maison, un foyer qui accueillerait l'aimée et plus tard une progéniture. Rien ne subsiste de ce projet. Il va lui falloir répudier le plus discrètement possible celle qu'il aimait. Mais est-ce possible ? Que vont dire les gens ? Le discrédit ne va-t-il pas ternir à jamais sa famille. La honte ! Comment dormir en de telles circonstances !
Or c'est dans son sommeil – en songe – que Dieu lui parle. Pour lui révéler que son projet tout humain ne tient pas devant le projet divin, et qu'il va devoir couler son projet humain dans une tout autre perspective. Le foyer qu'il va fonder avec Marie sera le foyer destiné à accueillir le Fils de Dieu lui-même. Joseph est invité à adopter un enfant, et pas n’importe quel enfant, puisqu'il lui donnera un nom ; et pas n'importe quel nom : il l'appellera Jésus.
Rappelez-vous qu'à l'époque le nom n’indiquait pas seulement une identité, mais signifiait la mission qui était confiée à celui qui le portait. Matthieu prend soin de nous rappeler, à nous qui ne savons pas l'hébreu, que le mot Jésus veut dire « Le Seigneur sauve ». Tout est dit : Joseph est invité à collaborer directement et au même titre que Marie, à l’œuvre de salut divin. Ce qui n'est pas rien, vous l'imaginez !
Du fumier !
Il a fallu du temps aux premiers témoins pour accepter l'idée que l'homme Jésus qu'ils avaient suivi était bien plus qu'un homme, bien plus qu'un prophète : qu'il était « Dieu parmi les hommes », Emmanuel, chargé à l'identique de cette mission divine : le salut du monde. Il a fallu près de cinquante ans pour qu'ils puissent la formuler avec précision. Il a fallu des siècles pour communiquer à l'humanité entière cette Bonne Nouvelle de Jésus. Ce n'est d'ailleurs pas encore terminé, loin de là. Le rôle de Joseph dans cette histoire est une sorte d’expression symbolique de la déception du peuple juif lorsqu’il découvrit que le Messie n’était pas sa propriété exclusive. La naissance de Jésus met fin à la domination d’une race sur l’autre, d’une culture sur l’autre. Depuis Jésus, quelle que soit notre citoyenneté politique, que nous appartenions à un tout petit pays ou à un état puissant qui peut agir comme police internationale, nous n’avons qu’une seule citoyenneté qui compte vraiment : nous sommes tous fils et filles de Dieu. Voilà la Bonne Nouvelle. Tout le reste, comme disait Paul, dans une expression qu’on ne peut vraiment citer qu’en latin, est " stercora "