Une "Théologie pour les nuls"

L'EUCHARISTIE

4e SEQUENCE : LE SAINT SACRIFICE DE LA MESSE

Nos réticences.

Il y a, dans nos mentalités modernes, une certaine répugnance face à l'idée de sacrifice. Cela me rappelle d'abord certains aspects de l'éducation que nous avons reçue, nous, les plus anciens. On nous invitait à faire des sacrifices : privation de friandises, voire de nourriture ; gestes plus ou moins "masochistes", telle cette petite fille qu'on nous citait en exemple, qui mettait des petits cailloux dans ses souliers pour souffrir un peu ; bref, toute une éducation de l'effort gratuit pour une plus grande maîtrise de soi. Cette idée de privation gratuite hérisse nos contemporains, en une époque où toutes les "valeurs" préconisées sont positives et destinées à valoriser l'individu, à lui faire chercher sa réussite humaine.

Par ailleurs, quand on évoque l'idée de sacrifice, on pense immédiatement marchandage. Celui qui offre un sacrifice aux dieux espère bien en retirer son propre bénéfice : " Je te donne quelque chose qui m'appartient, mais c'est pour qu'à ton tour, tu m'accordes certains bienfaits ". Cela peut aller jusqu'au chantage, voire à la menace. On a retrouvé, par exemple, un texte égyptien s'adressant aux dieux, qui dit : "Si vous ne mettez pas notre défunt avec sa famille, nous vous retirerons de l'autel les plus beaux morceaux de viande".

Une lente évolution.

On peut suivre, depuis l'Ancien Testament jusqu'aux Pères de l'Église, l'évolution positive de ces formes de sacrifice. Rappelez-vous tous les textes des prophètes. Je n'en cite qu'un. : "Que me fait la multitude de vos sacrifices, dit le Seigneur ? Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j'en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n'en veux plus ". (Isaïe 1, 11) Cette évolution aboutira, dès le début de l'ère chrétienne, à une tout autre conception du sacrifice. "Dieu n'a pas besoin de ce que nous lui donnons, dit saint Irénée, puisque tout lui appartient, sauf une chose, notre liberté. Ce que nous devons lui offrir, c'est essentiellement notre vie. "

Donner sa vie.

Nous en arrivons ainsi à une autre conception du sacrifice, qui a une valeur très positive : le sacrifice comme don de soi, comme don de sa vie par amour. Ce qui provoque en toute âme bien née un sentiment d'admiration. Je prends des exemples. Pensez à Vercingétorix, le héros de la résistance gauloise à l'occupation romaine. Il est très jeune quand il commence la " Guerre des Gaules ", et il manœuvre en fin tacticien, avant d'être victime, d'une part, de la division des tribus gauloises, d'autre part d'une erreur : il s'enferme dans Alésia. A partir de là, c'est la catastrophe. Eh bien, Vercingétorix va se sacrifier pour son peuple. Il s'offre comme victime, sort du camp, jette ses armes aux pieds de Jules César, demandant simplement à être sacrifié, lui seul, pour sauver tout son peuple. Il mourra à 26 ans. Pensez également à toutes celles et à tous ceux qui, dans la résistance, ont offert leur vie par amour de la liberté. Mais les exemples sont innombrables, depuis les martyrs chrétiens de tous les siècles jusqu'à Héloïse qui, dans des lettres admirables à son amant Abélard, lui explique comment elle donne tout ce qui lui reste à vivre par amour pour lui. Je n'en finirais pas de citer des exemples. Tous suscitent notre admiration. On admire, mais ça ne va guère plus loin.

Le bouc émissaire


Dans tous les cas, il s'agit donc d'une victime qu'on offre ou qui s'offre pour le salut d'une collectivité. Un des exemples les plus universels est le sacrifice du " bouc émissaire ", qu'on retrouve, sous une forme ou l'autre, dans presque toutes les civilisations. En Israël, c'était devenu un rite. Chaque année, à la fête de Yom Kippour, le grand prêtre imposait les mains sur la tête d'un bouc, en le chargeant de tous les péchés du peuple, puis on le chassait dans le désert. Grâce à ce sacrifice, le peuple se retrouvait réconcilié. A la suite de Freud, beaucoup de penseurs ont analysé cette coutume du bouc émissaire, en nous expliquant que la violence, les conflits qui surgissent dans n'importe quel groupe humain risquent de faire éclater ce groupe et donc de ruiner toute forme de vie en société. On va donc se réconcilier sur le dos d'un " bouc émissaire " et refaire ainsi l'unité du corps social. Il suffit de regarder notre époque pour constater que toutes les sociétés se fabriquent régulièrement des "boucs émissaires". Pour l'Allemagne nazie, c'étaient les Juifs ; pour les sociétés communistes, c'étaient les capitalistes ; pour d'autres, ce sont les Noirs, ou les Arabes...Regardez autour de vous.

 

Pourquoi le "Sacrifice de la croix" ?

En quoi la mort violente de Jésus peut-elle être appelée le " sacrifice de la croix " ? Vue d'un œil sceptique, la crucifixion du dénommé Jésus, condamné par l'autorité romaine en l'année 30 de notre ère, n'est qu'une des innombrables crucifixions de l'époque : brigands, résistants, droits communs, esclaves, tous ont subi le même atroce supplice. Si les chrétiens parlent, à propos de la mort de Jésus, de " sacrifice de la croix ", c'est parce que Jésus, à de nombreuses reprises, a annoncé que c'était ainsi qu'il voulait donner sa vie " pour la multitude ". "Ma vie, nul ne la prend, mais c'est moi qui la donne", précise-t-il. Et quand le grand-prêtre Caïphe déclare, quelques jours avant l'arrestation, qu' " il vaut mieux qu'un seul meure pour la multitude ", il fait de Jésus le bouc émissaire dont la mort, hors des murs de la cité, permettra le retour à l'unité de tout le peuple. Jésus donne sa vie et par son sacrifice, il témoigne de l'amour total que Dieu porte à toute l'humanité. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime." Désormais, plus besoin de sacrifices de quelque forme que ce soit. Jésus réalise en sa personne la parole du psaume : "Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, alors j'ai dit : voici, je viens pour faire ta volonté." Voir la démonstration de l'épître aux Hébreux (chapitre 10, notamment) qui explique que désormais, c'en est fini des sacrifices : il n'y aura plus d'offrande pour le péché. Le sacrifice de la croix est l'ultime et unique sacrifice.

 

 

 

 

 

 

 

 

La messe, un sacrifice ?

Alors, pourquoi parler du " saint sacrifice de la messe ", si désormais tous les sacrifices sont abolis ? Eh bien, parce que Jésus lui-même, dans un dernier repas-anticipation de la pâque, nous a prescrit de revivre sans cesse ce qu'il allait faire le lendemain : le don de sa vie, corps livré et sang versé, par amour pour l'humanité. Il s'agit donc, dans l'eucharistie, d'une re-présentation, d'une manière concrète de rendre présent l'unique sacrifice de la croix. Pour expliquer cela aux enfants, je prenais une comparaison très parlante : la télé. Il y a un émetteur, unique, situé en un point donné du territoire… et il y a des centaines de milliers de récepteurs qui, à l'instant même, re-présentent, rendent présente l'image unique émise à tel endroit de la planète. Ce qui est décrit en termes de distance, traduisez-le en termes de temps, dans la durée. Chaque fois que nous célébrons l'eucharistie, c'est Jésus lui-même qui s'offre en victime par amour pour le monde.

Sacrifice spirituel.

Et nous ? Eh bien, nous ne sommes pas de simples spectateurs. Parce que nous sommes un " peuple de prêtres ", nous avons à joindre, à l'offrande que Jésus fait de sa vie, l'offrande de nous-mêmes, de notre vie. C'est ce que l’Écriture appelle un " sacrifice spirituel ", le don de notre propre vie, par amour, inséré dans l'éternelle offrande du Christ. Au titre de notre propre baptême, nous sommes donc tous actifs dans cette célébration de l'eucharistie, et cela engage tous les gestes de notre vie personnelle. "Ayez en vous, nous dit saint Paul, les sentiments qui furent ceux du Christ Jésus".

A méditer, cette parole de saint Augustin :

" Cette cité rachetée tout entière, c'est-à-dire l'assemblée et la société des saints, est offerte à Dieu comme un sacrifice universel par le grand prêtre qui, sous la forme d'esclave, est allé jusqu'à s'offrir pour faire de nous le corps d'une tête si admirable (…) Voilà pourquoi, après nous avoir exhortés à offrir nos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, comme un hommage spirituel, parce que le sacrifice en sa totalité c'est nous-mêmes, l'apôtre Paul poursuit : " Tel est le sacrifice des chrétiens : à plusieurs, n'être qu'un seul corps dans le Christ ". Et ce sacrifice, l’Église ne cesse de le reproduire dans le sacrement de l'autel bien connu des fidèles, où il lui est montré que dans ce qu'elle offre, elle est elle-même offerte. " (La Cité de Dieu 10, 6)

 

(a suivre)

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