C'est toi mon Fils : Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré."
LE BAPTEME DU SEIGNEUR (C)
Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 3, 15...22
Le peuple venu auprès de Jean Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n'était pas le Messie. Jean s'adressa alors à tous : " Moi, je vous baptise avec de l'eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu. "
Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait, après avoir été baptisé lui aussi, alors le ciel s'ouvrit. L'Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. Du ciel, une voix se fit entendre : "C'est toi mon Fils : Moi, aujourd'hui, je t'ai engendré."
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Un épisode fondateur
L’épisode du baptême de Jésus est un des rares épisodes de sa vie qui soit relaté dans les quatre évangiles. C’est dire si c’est, dans l’esprit des évangélistes, un épisode fondateur. A tel point que lorsqu’il s’est agi de choisir un remplaçant à Judas pour compléter la liste des Douze, l’apôtre Pierre a mis comme première condition, pour être candidat à cette succession, le fait d’avoir suivi Jésus depuis son baptême par Jean.
Les quatre évangiles rapportent l’événement en des termes presque identiques. Cette année, nous lisons le récit de Luc. Il va nous révéler des choses importantes. Deux parties dans ce récit, entrecoupées par un passage qui ne figure pas dans notre lecture d’aujourd’hui, celui qui relate l’arrestation de Jean Baptiste. Donc, il y a le début de notre texte, qui parle de l’annonce par Jean Baptiste qu’il n’est pas le Messie, mais que celui-ci va bientôt venir ; puis, la fin du récit qui raconte l’investiture de Jésus après son baptême par Jean. Et d’abord, dans la première partie, cette expression qui ouvre le récit : « Le peuple était dans l’attente. » Qu’est-ce qu’ils attendaient ? C’est le propre de l’homme que d’être en attente de quelque chose, ou de quelqu’un. L’évangile ne précise pas de quelle attente il s’agit, mais on le devine facilement : dans la situation socio-économique de l’époque, ils désiraient tous ardemment que cela change, que du nouveau se produise pour une vie meilleure. Attentes locales, bien précises dans l’esprit des gens, mais attentes qui disent l’attente fondamentale de tout être humain : l’espérance de vivre enfin !
Jean passe le relais
A ces gens qui ont fait le déplacement pour venir à Jean Baptiste, pensant trouver en lui la réponse à leurs attentes, le Précurseur annonce quelqu’un qui est « plus fort » que lui : le Messie qu’ils attendent et qu’ils désirent, c’est celui qui plonge (qui baptise) dans l’Esprit et dans le feu tous ceux qui attendent un salut, une solution à toutes leurs difficultés, une réponse à toutes leurs questions, le vrai Messie. Nous sommes donc ici témoins d’une véritable passation de pouvoirs. Comme si Jean passait le relais à Jésus ! Pour lui, selon l’évangile de Luc, c’est fini. Il va vers son destin. La page est tournée. Désormais il nous invite à regarder vers Jésus. Etrange et tragique destin que celui du Précurseur. Destin pronostiqué par cette parole : « Il faut qu’il croisse et que, moi, je diminue. »
Théophanie
La page est tournée, et voilà Jésus, que Luc nous présente dans une double relation : relation au peuple (« Tout le peuple était baptisé. »), et relation au Père (« Jésus, baptisé lui aussi, priait. ») C’est ce que nous allons retrouver tout au long de notre lecture de cet évangile : Jésus se situe avec et pour les hommes, et en même temps Jésus vit sa vie publique avec et pour le Père. Mais Luc n’insiste pas sur le fait même du baptême. Ce qui l’intéresse particulièrement, c’est, après le baptême, la « théophanie » qu’il rapporte. Une théophanie : le mot savant désigne simplement la « manifestation de Dieu ». Une manifestation de la Trinité. Pendant que Jésus prie, l’Esprit Saint descend sur lui et le Père lui parle, pour lui dire : « Tu es mon Fils : je t’ai engendré. » C’est la première manifestation dans toute l’Ecriture de ce que nous appelons le « mystère de la sainte Trinité. »
Le texte fait allusion à la fois au « commencement » (la création) et à la fin (la nouvelle humanité) Il est question de l’eau du Jourdain, dans laquelle Jésus est plongé et de l’Esprit, sous une forme corporelle : un oiseau. Allusion aux premières lignes de la Genèse, quand l’esprit (le souffle) de Dieu plane (comme un oiseau) sur les eaux primordiales pour en faire jaillir les mondes. Tout cela, d’ailleurs, sera repris dans le récit du Déluge, quand le vent assèche les eaux pour faire apparaître le sec. La aussi, se retrouve la colombe symbolique, signe de l’Esprit. Même scénario dans le passage de la Mer rouge : le processus de création se poursuit à longueur d’histoire. L’histoire est genèse, mise au monde de l’homme accompli, le Christ lui-même, à qui le Père déclare au jour de son baptême : « Tu es mon Fils ; moi aujourd’hui je t’ai engendré. »
Un autre baptême
Mais voilà que, chose curieuse, chaque fois que Jésus parle de son « baptême », il fait allusion à un autre événement : sa mort et sa résurrection. Il le déclare à Jacques et à Jean quand il leur demande : « Pouvez-vous être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » A une autre occasion, il dira : « Je dois recevoir un baptême, et comme il m’en coûte d’être ainsi baptisé ! » Chaque fois, il s’agit d’un « plongeon » dans la mort, pour ressurgir dans la gloire ; Mais ce plongeon est coûteux, difficile. On le comprend ! Mais c’est essentiel. L’acte inaugural de la mission de Jésus n’est pas un acte solitaire. C’est la démarche d’un « premier de cordée » qui entraîne derrière lui tout le peuple des sauvés.
Car c’est à chacun de nous que s’adresse la voix du Père. A chacun de nous il répète : « Tu es mon fils. » Et chacun des baptisés est « plongé dans l’eau et dans l’Esprit ». Rappelez-vous la conversation de Jésus avec Nicodème. Ce vieux notable Juif est complètement désarçonné lorsqu’il entend Jésus lui déclarer : « Nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » Le baptême que nous avons reçu porte en lui toute cette signification. D’où une double conséquence pratique, si nous voulons nous comporter en Fils de Dieu : il s’agit de faire la volonté du Père et de manifester ainsi notre fierté chrétienne, la fierté d’avoir un tel Père.
Faire la volonté du Père, d’abord. Je sais : la vertu d’obéissance n’est pas très à la mode. Souvent, les gens pensent que c’est une manière d’infantiliser les autres. Alors que c’est se grandir. Obéir à Dieu, ce n’est pas enfantin, c’est noble. C’est reconnaître qu’il a un projet sur l’homme et qu’il nous demande de travailler avec lui à faire réussir ce projet : l’homme vivant, l’homme debout. La création réussie. N’est-ce pas grand, ce projet ? Si Jean-Baptiste dit de Jésus qu’il est « plus fort » que lui, c’est parce qu’il sait bien qu’en cela précisément réside sa force : l’obéissance parfaite à la volonté du Père.
Et deuxième conséquence : ce que j’appelle la « fierté chrétienne ». Il ne s’agit ni d’orgueil, ni de vanité, ni de sentiment de supériorité. Il s’agit plus simplement de n’avoir jamais honte de nous comporter en Fils de Dieu. Eh bien, je crois que cette attitude manque singulièrement à nos contemporains chrétiens. Je crois que bien souvent on a honte d’annoncer la couleur, de nous dire croyant, et disciples de Jésus Christ. A force de vouloir reconnaître chez les autres des « valeurs » qui, certes, sont réelles, on aurait tendance à dévaluer nos propres convictions. Il ne s’agit pas de chanter comme nos ancêtres « Je suis chrétien, voilà ma gloire », mais il s’agit de n’avoir jamais à rougir de notre appartenance. Fils de Dieu, c’est un titre de fierté bien légitime. En sommes-nous convaincus ?