Il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait.

    QUATRIEME DIMANCHE ORDINAIRE (B)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint

 

 sus, accompagné de ses disciples, arrive à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes.

Or, il y avait dans leur synagogue un homme, tourmenté par un esprit mauvais, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien que tu es le Saint, le Saint de Dieu ». Jésus l’interpella vivement : « Silence ! Sors de cet homme ». L’esprit mauvais le secoua avec violence et sortit de lui en poussant un grand cri.

oOo

Carapace ?

« Cause toujours ! » C'est ce que, souvent, on a envie de dire, de nos jours, à ceux qui parlent... surtout s'ils parlent longtemps. On le dit d'ailleurs – ou tout au moins on le pense – : il n'y a rien de plus dévalué, à notre époque, que la parole. La parole publique en particulier. On dit que « c'est du baratin, du bla bla bla », aussi bien pour les discours des divers candidats aux élections que pour les sermons des curés. Vous savez comment ça passe... et comment ça glisse. Et comment nous nous sommes faits – ou on nous a fait – une espèce de carapace qui nous empêche bien souvent d'accueillir la parole d'autrui.

Il y a toutes sortes de causes à ce phénomène d'aujourd'hui. En particulier le bruit, ce bruit qui nous environne sans cesse. La radio, la musique, la télé ! Combien d'entre nous font, comme premier geste de la journée, celui d'ouvrir leur poste de radio. Et ça marche, souvent, du matin au soir. Un flot de paroles, de bruit, de musique, qui empêche toute attention. Quand j'étais jeune prêtre, les instituteurs me disaient que, normalement, au CM, un enfant était capable de maintenir son attention sur un même sujet pendant une demi-heure. Dix ans plus tard, les mêmes instituteurs reconnaissaient que lorsqu'on avait réussi à maintenir l'attention d'un élève pendant une vingtaine de minutes sur la même leçon, c'était un exploit. Aujourd'hui, demandez à n'importe quel enseignant : il n'y a pas un enfant, disent-ils, qui puisse être attentif plus de dix minutes sur le même sujet. C'est vous dire combien le métier de tous ceux qui parlent en public est un métier difficile.

Une parole qui dérange

Mais en même temps que je vous dis cela, je me console en me disant que cela ne date pas d'aujourd'hui. Au temps de Jésus, les gens qui se rendaient à la synagogue de Capharnaüm, un matin de sabbat, sont extrêmement surpris, étonnés, lorsque Jésus prend la parole. Voilà enfin quelqu'un qu'on écoute avec plaisir, sans effort. Tandis qu'avec les scribes, des gens qui ont étudié qui connaissent parfaitement tous les mille recoins de la Bible, si au début du sermon on fait un petit effort pour écouter, bien vite l'attention s'envole. Puis on attend que cela soit terminé. Tandis qu'avec Jésus, voilà que la Parole prend vie. On écoute avec plaisir.

Et cette Parole, non seulement ils l'écoutent, étonnés et joyeux, mais elle va progressivement les atteindre au plus profond d'eux-mêmes. Ils se disent : « Mais qu'est-ce qui nous arrive ? Cette Parole qu'il prononce avec autorité, c'est vraiment très différent de ce que disent les scribes. Elle nous donne envie de changer quelque chose au plus profond de nous-mêmes. C'est une parole qui remue. C'est une parole qui dérange. Une parole qui libère. »

Elle dérange tellement, cette Parole, nous dit l’Évangile, qu'un homme atteint d'un esprit mauvais, un aliéné, se met à invectiver Jésus. Il lui crie : « Mais qu'est-ce que tu viens nous déranger ? » Nous, c'est-à-dire les démons, les puissances du mal. Mais aussi tous ceux que l'esprit mauvais cherche à mettre dans le coup, tout l'auditoire qui est là, bouche bée, à écouter la Parole de Jésus. « Je sais qui tu es : le Saint, le Saint de Dieu! » Et voilà que Jésus, par sa parole, une simple parole, va libérer le malade : « Tais-toi ! Sors de cet homme. »

Une parole qui libère

Je voudrais bien que la Parole redevienne, aujourd'hui, ce qu'elle était au temps de Jésus : une parole qui libère. Car nous sommes tous, que nous le voulions ou non, des « aliénés ». Même et surtout, peut-être, si nous ne nous en rendons pas compte. Je ne veux pas dire que nous sommes tous fous. Le mot « aliéné » a un double sens. Et je joue sur ce double sens. Il n'y a pas que les fous qui sont des aliénés. Il y a tous ceux qui ont perdu une part de leur liberté. Nous sommes tous, plus ou moins, des esclaves. Esclaves de l'argent ; ou de notre maison, de notre auto, de ce que nous possédons. Esclaves du sexe... ou de la bouteille ! Nous subissons tous des esclavages comme ceux-là. Est-ce que nous nous en rendons compte ? On se rend bien compte de toutes les atteintes à notre liberté qui viennent de l'extérieur. On sait très bien crier quand une injustice quelconque nous est faite. Mais il n'y a pas que ces atteintes extérieures à notre liberté. Il y a tout ce qui est au plus profond de nous-mêmes et nous empêche d'être des hommes libres. Eh bien je crois que la Parole de Dieu a la puissance de nous atteindre au plus profond de nous-mêmes pour nous libérer. Comme elle l'a fait avec ce « possédé » de la synagogue de Capharnaüm. Mais à quelle condition ?

A condition d'écouter la Parole, bien sûr. Nous le faisons chaque dimanche à la messe, et c'est bien. Mais ce n'est pas suffisant. On peut sortir de la messe en disant : « Oh, ce qu'il a bien parlé ! » Mais j'ai peur que les belles paroles n'empêchent la Parole de nous atteindre au fond de nous-mêmes, au fond de notre cœur. Ceux qui sont atteints par la Parole, au fond d'eux-mêmes, ce sont ceux qui prennent le temps de faire silence en eux, de prier, de méditer cette Parole. Un mot de Jésus, un seul, a pu les atteindre un jour. Il faut donc prendre la peine d'ouvrir son Évangile ; savoir arrêter la radio, la télé ; faire quelques minutes de silence dans sa journée ; se débarrasser, pour un moment, de tous les tracas journaliers ; prier.

Pour un démarrage

Cela, c'est pour nous, qui avons le plus facilement accès à la Parole. Mais il faut penser également à tous nos frères qui, comme nous, sont « aliénés », qui n'en prennent pas plus conscience que nous, et qui, sans nous, risquent de ne jamais être atteints par la Parole libératrice. Car ils ne pourront sans doute l'accueillir que grâce au témoignage et à l'action des chrétiens convaincus. Cela ne veut pas dire qu'il faut aller faire du porte-à-porte, distribuer des évangiles ou prêcher au Centre Commercial du coin. Cela veut dire qu'en nous voyant vivre, on se posera des questions. Si la Parole nous a préalablement dérangés, désinstallés. Si elle a fait de nous des hommes libres, c'est-à-dire des hommes qui ne cèdent pas à toutes les compromissions de la vie. Des hommes qui ne sont plus esclaves, ni de l'argent, ni de la puissance, ni de quoi que ce soit. Des hommes qui vivent de l'amour de Dieu et des frères.

Nous pouvons, dès aujourd'hui, être de ceux-là !

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