Silence ! Sors de cet homme
QUATRIEME DIMANCHE ORDINAIRE (B)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 21-28
Jésus, accompagné de ses disciples, arrive à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Or, il y avait dans leur synagogue un homme, tourmenté par un esprit mauvais, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien que tu es le Saint, le Saint de Dieu ». Jésus l’interpella vivement : « Silence ! Sors de cet homme ». L’esprit mauvais le secoua avec violence et sortit de lui en poussant un grand cri. Saisis de frayeur, tous s’interrogeaient : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent ». Dès lors, sa renommée se répandit dans toute la région de la Galilée.
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Concentré
Dimanche dernier, lisant le récit que nous fait Marc du début du ministère de Jésus en Galilée, nous étions surpris et impressionnés de la rapidité avec laquelle il racontait le départ des quatre premiers disciples à la suite de Jésus. Il en est de même aujourd’hui. Marc ne s’encombre pas de détails superflus. On ne peut être plus concis pour évoquer sa première prédication à la synagogue de Capharnaüm et l’expulsion d’un démon qui l’interpelle. Il en est ainsi de l’ensemble du récit de Marc dans tout son évangile, qu’il écrivait vers l’an 66, donc une quarantaine d’années après les faits. Il veut nous dire qui est Jésus pour un chrétien et il va donc à l’essentiel. Un concentré d’évangile, pourrait-on dire.
Lecture continue
Nos diocèses de l’Est de la France avaient offert à tous, il y a quelques années, des exemplaires gratuits de l’évangile de Marc, accompagnés de commentaires très bien faits. Le but de l'opération était que les chrétiens puissent faire de cet évangile une lecture continue. Je vous conseille de le faire, si vous voulez que l’évangile soit pour vous une Parole de Dieu nourrissante. Vous ne pouvez pas vous contenter de la lecture discontinue de trop petits passages chaque dimanche. C'est comme l'ananas : les tranches d'ananas en boîte, c'est bon ; mais un ananas entier, que vous avez à découper par vous-même, c'est bien meilleur. Ainsi, les petits passages ne seront vraiment parlants que s’ils sont remis dans un contexte plus large. Il en est ainsi, particulièrement, des premiers chapitres de cet évangile de Marc, qui se présentent à nous comme une espèce de bande dessinée, avec toute une série de petits tableaux. Plus précisément huit saynètes, qui ont pour but de nous présenter Jésus essentiellement comme un prédicateur inspiré et comme un guérisseur. Marc résume le tout en une courte phrase : « Il parcourut donc toute la Galilée, proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues, et chassant les esprits mauvais. »
Dans la synagogue
Nous voici donc, pour commencer, dans la synagogue de Capharnaüm, un jour de sabbat. L’office se déroule normalement ; le chef de la synagogue a invité Jésus, l’hôte de passage, à faire le commentaire des textes bibliques qui viennent d’être lus en public. C’est normal. Mais d’un seul coup, tout prend une autre allure : « On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes ». Donc Jésus parle avec autorité. Mais son autorité ne se limite pas à son enseignement. A l’esprit mauvais qui l’interpelle, Jésus commande – avec autorité également – de sortir du possédé. D’où une seconde remarque des assistants, semblable à la première. Non seulement son autorité se manifeste dans ses paroles, mais également dans le pouvoir qu’il possède de chasser les esprits mauvais.
Autorité
Quelques remarques s’imposent à ce sujet. La première concerne l’autorité que Jésus manifeste d’emblée, aussi bien dans sa parole que par rapport aux esprits mauvais. Les évangiles synoptiques, en de nombreux passages, ont souligné ce fait. D’une part, la manière dont il parlait aux gens « avec autorité », et d’autre part la façon dont il chassait les démons avec une autorité souveraine. Ne croyez pas que les sermons habituels des scribes étaient particulièrement ennuyeux. Les spécialistes pensent au contraire que certains commentaires rabbiniques de la Torah étaient particulièrement inspirés, et donc capables d’intéresser leurs auditeurs. Mais, à la différence des commentaires habituels, la parole de Jésus est particulièrement nouvelle. Jésus ne se contente pas de commenter tel ou tel passage de la Loi ou des Prophètes ; ce qu’il dit vient de lui, directement, du plus profond de sa personnalité. Il SE dit, car la révélation en sera faite à la fin : il est la Parole de Dieu. Ses auditeurs de Capharnaüm ne peuvent pas le savoir. Ils ne peuvent que se poser la question : « Mais qui est-il ? » Cette question, on la retrouvera tout au long des deux parties de l’évangile de Marc. Et ce n’est que progressivement que les gens pourront y apporter une bonne réponse.
Esprit mauvais
L’esprit mauvais, lui, n’attend pas la fin pour répondre. Il sait, lui, et il le crie : « Je sais fort bien qui tu es : le Saint, le Saint de Dieu ! » Mais qui est-il, cet esprit mauvais dont nous parle l’évangile de Marc pour la première fois ? D’autres traductions disent « un esprit impur » et Luc parle d’un homme « ayant un esprit de démon impur ». L’homme s’identifie avec l’esprit qui l’occupe. Soyons clairs. Pendant des siècles la maladie n’a pas été considérée comme un phénomène naturel. Il a fallu le travail inlassable des chercheurs pour en arriver aux immenses progrès de la médecine. Mais au temps de Jésus, tous les maux de l’humanité venaient de puissances invisibles et nuisibles. On les appelait d’un mot grec, daïmon, les démons, des êtres quasi-divins. Si bien qu’on attribuait à l’influence, ou à la possession des démons, tous les malheurs, toutes les maladies qui pouvaient survenir. On lit ainsi dans l’évangile, à propos d’une femme qui était courbée (sans doute sous le poids des ans) qu’elle était possédée par un démon qui la tenait courbée depuis 18 ans (Luc 13, 11). Donc tout malade est comme possédé par un esprit mauvais. Que ce soit une maladie du corps ou de l’esprit. On dit bien, aujourd’hui encore, de quelqu’un qu’il « a un grain dan la tête » Pas étonnant donc que les textes évangéliques utilisent un tel langage symbolique. Jésus lui-même qualifiera un jour Simon-Pierre de « Satan » !
Mais ici, c’est l’esprit mauvais qui fait crier : « Je sais qui tu es ! » Si Jésus impose le silence à cet homme qui crie dans la synagogue, s’il le délivre de l’esprit mauvais, c’est qu’il est nécessaire de ne pas brûler les étapes. La révélation de sa propre identité doit se faire progressivement. Le questionnement de ses auditeurs est indispensable. L’affaire est d’importance pour nous aujourd’hui, comme elle l’était pour les contemporains de Jésus.
Je sais
Ce qui est en question, c’est justement le « Je sais » crié par l’esprit mauvais. A la réflexion, je me demande si on peut dire en toute sincérité à quelqu’un « Je sais qui tu es » ! Il y a toujours en toute personne une part de mystère, une part cachée. A plus forte raison quand il s’agit de Jésus. La connaissance d’une personne ne se réduit pas à une connaissance intellectuelle. J’aurais beau avoir fait toutes les études les plus poussées en théologie, en critique biblique, en histoire du christianisme, cela ne veut pas dire que je connais Jésus. Pour mieux le connaître, il me faudra en plus un lent compagnonnage, une fréquentation assidue, et surtout il me faudra apprendre à l’aimer. Et c’est sans doute ce qui manque essentiellement à cet esprit mauvais qui dit à Jésus : « Je sais qui tu es ». Il lui manque l’amour. C’est pourquoi son témoignage n’est pas recevable, et Jésus lui cloue le bec.
Puis-je dire à Jésus, aujourd’hui même, « je sais qui tu es » ? Je me le demande. Je pense à cet homme qui disait à celle qu’il aimait profondément : « Tu m’étonneras toujours ». Il voulait dire justement la part de mystère qui lui demeurait cachée en celle qu’il aimait. Heureusement, d’ailleurs : ainsi il ne pouvait pas prétendre la posséder. Il en est de même de notre relation avec Jésus. Tout au long de notre existence, nous cheminerons avec lui, sans jamais le posséder, bien sûr, mais toujours en lui disant : « Mais qui es-tu, Jésus ? Fais-moi connaître tes chemins. »