"Gardez vos lampes allumées"
DIX-NEUVIEME DIMANCHE ORDINAIRE (C)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 12, 32-48
Jésus disait à ses disciples : « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Vraiment je vous le dis : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. S’il revient vers minuit ou plus tard encore et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! Vous le savez bien : si le maître de maison connaissait l’heure où le voleur doit venir, il ne laisserait pas forcer sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
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Difficultés
Je ne suis pas particulièrement pessimiste, bien au contraire ! Et cependant, réfléchissant à partir des textes bibliques qui sont proposés à notre méditation en ce dimanche, je me demande si, pour nos contemporains, la démarche de la foi ne se heurte pas à des obstacles tels qu’elle est de plus en plus difficile. Et ceci pour deux raisons. D’abord parce que nous vivons dans un monde où règne une mentalité scientifique qui veut que rien n’existe qui ne puisse être démontré, vérifié, prouvé rationnellement. Et ensuite parce que, si, comme le déclare la Lettre aux Hébreux, « la foi est une manière de posséder déjà ce qu’on espère, de connaître ce qu’on ne voit pas », cette démarche est contraire à toutes nos pratiques habituelles.
Les anciens disaient déjà en proverbe : « Un ‘tiens’ vaut mieux que deux ‘tu l’auras’» Que diraient-ils aujourd’hui ! Nous vivons dans un univers clos, sans grandes perspectives d’avenir. Pire : l’avenir fait peur. On se replie sur le présent, en multipliant les sécurités, de façon à éliminer au maximum les risques qui peuvent survenir dans un avenir proche ou lointain. Faire preuve d’espérance, c’est prendre des risques plus ou moins inconsidérés. Le présent, le court terme, c’est bien suffisant. Pour le reste, « après tout on verra bien », comme disent les gens.
Alors, les promesses ? La Promesse ? Nos comportements actuels sont aux antipodes des attitudes des croyants dont nous parle la Bible, de celle d’Abraham comme de celle du peuple hébreu au moment de l’exode. Ils sont aux antipodes de l’attitude que nous recommande Jésus. En quoi consiste cette attitude ? « Posséder ce qu’on espère, connaître ce qu’on ne voit pas » N’est-ce pas irrationnel ?
Croire ?
En tout cas, c’est contraire à toute la démarche scientifique. Et même si nous ne sommes pas, professionnellement, des scientifiques, nous baignons tous dans une culture scientifique et technique. Un scientifique s’en tient aux faits, et toute hypothèse exige le contrôle, demande à être prouvée, vérifiée. Et même vérifiée, cette hypothèse n’a pas de portée universelle ni définitive. Par contre, la foi, elle, n’est pas hypothétique. Elle meurt si on veut la vérifier. Elle vaut pour tous les temps et pour tous les lieux. C’est que la foi ne porte pas sur des objets. Elle est essentiellement une relation entre des personnes. Une parole est dite, une promesse est faite : intervient alors, soit la confiance, soit la défiance. Si vous voulez contrôler, il n’y a plus de confiance. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est confiance aveugle. Je dirais plutôt qu’elle est recherche, interrogation dans un dialogue, et même tâtonnement et réajustement.
Elle est une démarche. Le contraire d’une installation confortable dans ses certitudes. Un cheminement. En cela, il nous faut toujours revenir à l’exemple d’Abraham. Voilà un sédentaire qui, sur l’invitation mystérieuse d’une divinité inconnue de lui, devient un nomade. Sans domicile fixe, d’un bout à l’autre de sa vie errante. Toujours en route sur la foi d’une promesse dont il ne verra pas la réalisation. Qu’est-ce qui le fait marcher ? La confiance en une parole entendue au point de départ, en une promesse réitérée ensuite. Dans sa tête, c’est comme si la promesse était déjà réalisée. De même, les Hébreux, nous dit le livre de la Sagesse, « assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie », avant même que leur libération ne soit effective.
Confiance en une Parole
Mais cette attente n’est pas « le nez en l’air ». Jésus insiste pour nous dissuader de rester « les bras croisés ». La vie du croyant, même si elle comporte une part d’attente et d’espérance, est essentiellement une vie active .Le serviteur devra être trouvé « à son travail ». Attente active, mais pas « la vue basse ». La perspective, c’est, non pas le court terme de notre existence terrestre, mais le long terme vécu dans l’attente du retour du « maître ». C’est la fin de la route qui donne son sens à la route. Attente, espérance : tout le contraire de l’attitude de celui « qui n’a plus rien à attendre ». Le croyant, au contraire, sait qu’à la fin, le maître se mettra devant lui dans la posture et la fonction du serviteur.
Quelle est donc notre propre perspective, lorsque nous prenons un peu de recul pour examiner le sens que nous donnons à notre existence ? Ou bien on travaille, notre travail n’est pas très gratifiant, il nous ennuie, et on rêve d’un « demain » où l’on pourra faire telle ou telle chose… Evasion, car demain n’est valable qu’en fonction de ce que je fais aujourd’hui. Ou alors, tu travailles, tu fais consciencieusement ce que tu as à faire, et pour le reste, « après tout on verra bien ». Dans les deux cas, on mesure la fragilité d’une foi, d’une attente qui ne repose sur rien de palpable. Telle est l’épreuve qui nous est proposée. Aucune relation vraie ne se construit en dehors de la confiance qu’on apporte en une Parole qui nous est adressée. On ignore l’heure ? Peu importe. Ce sera l’heure de vérité. Mais en fait, c’est toujours l’heure. Chaque fois que se produit la confrontation entre notre vie et la Parole de Vérité. Il n’en demeure pas moins que l’essentiel, c’est l’aujourd’hui, la « tenue de service », cette journée vécue dans l’attente active de l’heure de vérité. Pas demain : aujourd’hui ! Travailler, sans être immergés, submergés par le travail, mais en sachant que ce que nous vivons aujourd’hui prend pour nous saveur d’éternité.
Vivre l’Aujourd’hui ! Et donc ne pas penser sans cesse à la mort, au jugement, ne pas s’évader dans l’avenir. Mais au contraire se consacrer à nos tâches humaines comme à des tâches éternelles. Faire ce que nous avons à faire, et simplement ce que nous avons à faire, mais le faire en hommes déjà ressuscités, c’est-à-dire dans l’Amour.