La dormition de la Vierge Marie
L’ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 1, 39-56
En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au-dedans de moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur. Il s’est penché sur son humble servante : désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles : Saint est son nom ! Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. »
Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
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Aucune référence biblique
Au long de chaque année liturgique, nous célébrons quelques fêtes consacrées à Marie : sa nativité, l’annonciation, l’Immaculée Conception, et, aujourd’hui, son Assomption. Cette dernière est l’une des plus populaires, et, d’ailleurs, l’une des plus anciennes. Elle est d’ailleurs la seule qui, depuis plus de trois siècles, est demeurée jour férié, en France comme en d’autres pays de tradition chrétienne. En France, cette importance date du vœu que fit le roi Louis XIII en 1638 : une ordonnance par laquelle il consacrait la France à Notre-Dame.
Or il se trouve qu’à part le fait de l’annonciation qui est rapporté par saint Luc, aucune de ces fêtes mariales n’a la moindre référence biblique qui puisse lui donner crédit : on ne sait rien de la naissance de Marie, pas même le nom de ses parents ; on n’en sait pas plus de sa mort ; quant à sa conception immaculée et à son assomption dans la gloire de Dieu, qui sont des définitions théologiques avant d’être des fêtes liturgiques, elles sont le fruit de déductions, de réflexions des penseurs chrétiens au long de l’histoire du christianisme. Et ces déductions n’ont été proclamées comme dogmes par des déclarations solennelles de l’Eglise que très récemment : l’Immaculée Conception au XIXe siècle, par Pie IX et l’Assomption en 1950, par Pie XII. Dans les deux cas, la dévotion populaire a largement précédé les définitions théologiques solennelles.
Des précisions
Les définitions solennelles ont du bon, en ce qu’elles nous obligent à préciser l’objet de notre foi de chrétiens. Ainsi de l’Immaculée Conception. Tant de gens qui, aujourd’hui encore croient qu’il s’agissait, pour Marie, de concevoir son enfant sans faire de péché, alors qu’il s’agit de tout autre chose : Marie, dit le dogme, a été préservée, dès sa conception par ses parents, de la souillure du péché originel. De même, alors que beaucoup de gens, lorsqu’ils évoquent l’Assomption, pensent que Marie n’a pas connu la mort, mais qu’elle a été enlevée au ciel, comme une fusée, le moment venu, sans connaître la corruption de son corps, il nous faut rappeler avec précision ce que l’Eglise déclare : parlant de l’Assomption, elle nous dit que Marie, au moment de sa mort – une mort bien réelle – a été « assumée » dans la gloire de Dieu, en Dieu. Pas question donc d’ « ascension », ni de montée aux cieux. Et même si le dictionnaire que je consulte aujourd’hui, parlant de l’Assomption, déclare qu’il s’agit de « l’enlèvement miraculeux de la Sainte Vierge au ciel par les anges », ce qui est pure invention, il prend soin de rappeler que l’étymologie du mot latin « assumere » signifie « prendre avec soi. » Eh oui, ce que l’Eglise nous rappelle aujourd’hui, c’est que Dieu a « pris avec lui » son épouse, Marie, au jour de sa mort : conclusion logique du destin exceptionnel de celle en qui sa Parole avait pris chair, simplement parce qu’elle avait cru en cette parole.
Pourquoi ?
Destin exceptionnel de Marie ! Si on remet l’événement dans son contexte, on ne peut qu’être étonné, et au mieux émerveillé, du destin de cette petite jeune fille d’un petit village, dans une petite province d’un peuple humilié, dominé par l’arrogante puissance de l’empire romain. Pourquoi cette gamine ? Pourquoi cette adolescente ? Qu’avait-elle de si particulier pour être repérée par Dieu, et pour que Dieu la choisisse, de préférence à des millions d’autres, pour s’incarner ? La question reste ouverte.
Certes, la dévotion mariale, tout au long des âges, va la parer de toutes les vertus possibles et imaginables, cette gamine. Mais toutes les spéculations des théologiens, tous les compliments dithyrambiques des spirituels, toute la poésie des mystiques ne peut pas élucider le mystère de la personne de Marie et du choix divin qui s’est porté sur elle. Personnellement, j’en suis à me dire que tout cela est du superflu et qu’il faut s’arrêter aux données toutes simples de l’Ecriture. Ne rien chercher ailleurs.
Que nous rapportent donc les Ecritures ? Très peu de choses. L’image d’une humble jeune femme, d’abord. Quand Marie dit à sa cousine que Dieu « a regardé l’humilité de sa servante », il ne s’agit pas d’une formule, mais de la réalité de la condition sociale de Marie. Que nous rapportent les quatre évangiles ? Deux ou trois petits faits, les uns pour souligner des incompréhensions entre la mère et le fils, les autres pour nous faire remarquer la discrétion de la mère, et puis, sa présence au pied de la croix, et enfin sa présence maternelle au milieu des disciples au jour de la Pentecôte. C’est tout. Quelques lignes, moins d’une page. C’est peu, et c’est suffisant.
Bienheureuse celle qui a cru
Et je me demande si tout ce qu’on sait d’elle ne peut pas être condensé en un seul mot : le mot d’Elisabeth sa cousine, qui lui dit : « Bienheureuse, toi qui as cru. » Car ce qui est l’essentiel, et sans quoi rien n’aurait pu advenir, c’est que Marie a cru en une Parole qui lui a été adressée par l’ange de la part de Dieu : « Tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus » Rendez-vous compte ! Marie aurait pu dire : « Pourquoi moi ? » Elle aurait pu faire remarquer combien elle était jeune, et si peu préparée à une telle mission. Non : elle a cru en cette Parole. « Et cette Parole a pris chair », en elle, en son corps de jeune fille. Tout simplement. Elle a cru en une Parole. Apparemment, rien n’était changé… et tout était changé. Puissance d’une Parole, capable de féconder la terre.
J’ai souvent fait remarquer combien il nous faut faire attention à l’efficacité d’une parole. Il y a bien sûr les mots et les phrases et les grands discours qui ne servent qu’a informer, ou à désinformer. Mais il y a aussi les paroles qui sont créatrices. Le poète – est-ce Eluard ou Aragon ? Je ne sais plus – écrit à sa bien-aimée : « Ta parole me construit ». En tout cas, un petit mot d’amour, de la part de Dieu, accueilli avec simplicité par Marie, a changé le cours du monde. Marie va porter en elle cette simple Parole, la laisser mûrir, avant de la mettre au monde. Et désormais son destin de mère, comme le destin de toute maman, sera étroitement relié à celui du Fils que Dieu lui a donné. Cela n’ira pas toujours sans peine, mais cela aboutira. Pour Jésus comme pour sa mère, de manière différente certes, mais pour le même résultat : par la Résurrection pour le Fils, par l’Assomption en Dieu pour la Mère. Une réussite, qui est pour nous un exemple et une promesse.
Car le destin de Marie donne un éclairage plénier à notre destin de croyants. Comme Marie, si nous sommes de ceux qui ont cru à l’accomplissement de la Parole qui nous a été dite, nous serons assumés, par-delà la mort humaine, dans l’éternité d’amour de Dieu, ce qu’on appelle le Ciel. Au fond, qu’est-ce que croire, sinon dire « Oui ». Comme Marie, on se posera des questions, on s’étonnera sans doute de l’invraisemblance de l’appel. Nous dirons aussi « Comment cela pourrait-il se faire ? » Et pourtant, c’est à cela que nous sommes appelés, nous aussi, si nous répondons « oui » à la Parole d’Amour : nous avons à concevoir et à mettre au monde, aujourd’hui, le Fils de Dieu, la vivante Parole de l’Amour.