Je suis le Bon Pasteur

 

        QUATRIEME DIMANCHE DE PAQUES (C)

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 10, 27-30

 

 

Jésus avait dit aux Juifs : " Je suis le Bon Pasteur (le vrai berger). " Il leur dit encore : " Mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main. Ce que le Père m'a donné vaut plus que tout, et personne ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. "

oOo

Transposition

Combien de fois, au cours de l’année liturgique, nous est proposée l’image biblique du berger… et de l’agneau ! Je me demande chaque fois si ces images d’une autre culture, d’une autre civilisation peuvent être encore parlantes, de nos jours, dans une civilisation urbaine et industrielle, dans laquelle la plupart d’entre nous n’ont jamais vu de bergers ni de troupeaux.

Il nous faut donc opérer une transposition, comme un dépaysement, et imaginer un peu ce que pouvait être la vie d’un berger responsable d’un grand troupeau, au temps de Jésus. Ses compétences et ses responsabilités. Et ce qu’elle est aujourd’hui encore, en certaines régions du monde. Dans la Palestine des temps bibliques, l’image était parlante. Aussi parlante que l’image des pêcheurs qui, comme les bergers, occupaient une large part des activités des travailleurs de l’époque. Pêcheurs au bord du lac, bergers sur les plateaux passablement arides de Judée. Les spécialistes pensent que les moutons étaient particulièrement destinés à fournir du lait et d la laine, plus que de la viande, qui n’était qu’un revenu accessoire.

Quoi qu’il en soit, il nous faut opérer une difficile transposition, nous pour qui l’image du troupeau bêlant et des animaux « moutonniers », classés parmi les êtres les plus stupides de la création est une image particulièrement négative.

Un peuple en marche

Par contre, dans l’antiquité, l’image du berger est une image particulièrement valorisante, à tel point qu’il est habituel de parler du roi comme d’un berger. Est-ce à dire qu’on compare ses sujets à des êtres dociles et sans personnalité ? Je ne le crois pas. L’image est plus dynamique, et absolument pas statique. Elle fait référence à un peuple « en marche » comme on dirait aujourd’hui. La Bible nous rappelle les grandes transhumances, ces troupeaux parcourant des distances considérables, de point d’eau en point d’eau, à la recherche de l’herbe rare. Image de la longue marche du peuple de Dieu au désert pendant quarante ans sous la conduite du berger Moïse. Représentation de l’histoire de son peuple comme une route, un déplacement. Une histoire qui fait naître des situations nouvelles, des choses qui n’étaient pas encore là, un avenir possible. Le contraire d’un monde clos.

Le Berger ? Pour les Hébreux, c’est Dieu lui-même. « Le Seigneur est mon berger ». Mais le « berger » a délégué. Largement. Si bien que le roi David, et tous ses successeurs, sont appelés « bergers d’Israël ». Comme l’était déjà Moïse. Comme le furent avant eux les grands pasteurs nomades, chefs de tribus, Abraham, Isaac, Jacob.

Ces images ont dû être rectifiées, et même corrigées, au long des siècles, dans ce qu’elles avaient de trop rigide et de trop absolu. Ainsi de l’image du roi-pasteur. Car David, même s’il était dans sa jeunesse le petit berger de Bethléem, était devenu un roi belliqueux. Pour qu’on en arrive à l’image d’un roi-berger pacifique, il a fallu du temps. Donc je crois que la Bible décrit un roi idéal, dont l’objectif est de parvenir au confort du troupeau. Il soigne et guérit ; il ne s’occupe pas seulement du collectif, mais de chaque brebis. Il conduit vers le lieu du repos et de l’abondance.

L'Agneau-Pasteur

Il faut aller plus loin. L’histoire nous apprend que les tribus qui composaient le peuple hébreu ont toujours été centrifuges, et que jamais leur unanimité n’a été parfaite. Le pasteur idéal est donc celui qui travaillera sans cesse au rassemblement et à l’unité des hommes. Ce qui revient à dire que David, comme Moïse et tous ceux que la Bible désignaient sous le terme de « pasteurs » ne furent que des ébauches de celui que l’évangile de saint Jean nous présente comme l’unique pasteur, le « Bon Pasteur ».  Bien plus, on en arrive à déclarer que le berger royal doit aussi être un agneau. Ce qui se réalise dans le Christ.

Ces retournements sont fréquents dans la Bible : le premier doit prendre la place du dernier, par exemple. Ici, c’est l’agneau qui devient pasteur, celui qui conduit vers les sources d’eau vive. Mais pour en arriver là, il a fallu que Dieu-pasteur se mette dans la situation de l’agneau immolé. Le passage s’effectue donc dans les deux sens. Ce qui fait voler en éclats l’image d’un pasteur dominateur dirigeant un troupeau ignorant et soumis. Nous avons à être en même temps et le « pasteur » et « l’agneau ».

Voilà donc une bonne nouvelle pour chacun d’entre nous : plus nous donnons d’importance au Christ dans notre vie, plus nous le « suivons », plus aussi nous accédons à la liberté et à la maîtrise de notre propre existence. Et plus, en même temps, nous devenons aptes à la communication entre frères, aptes à faire « un » avec les autres. Ce qui ne diminue pas, bien au contraire, l’épanouissement de notre propre personnalité. La « foule immense » que Jean contemplait, dans son Apocalypse,  est faite de tous ces hommes, de toutes ces femmes que le Berger connaît « chacun par notre nom ». Ils n’ont rien de moutonniers.

 

Retour au sommaire