L’Esprit Saint vous enseignera tout,
et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
SIXIEME DIMANCHE DE PAQUES (C)
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 14, 23-29
A
vant de passer de ce monde à son Père, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. Celui qui ne m’aime pas ne restera pas fidèle à mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous dis tout cela pendant que je demeure encore avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit toutes ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »
oOo
Chrétiens !
Il est bien dommage que la première lecture de ce dimanche, tirée des Actes des Apôtres, ne nous soit pas donné dans son intégralité : on en a coupé le passage central, qui donne son sens à tout l’événement. Vous avouerez que c’est dommage !
De quoi s’agit-il ? Nous sommes dans les toutes premières années de l’histoire de l’Eglise. La foi chrétienne se répand assez rapidement : elle a déjà gagné la grande ville d’Antioche – la troisième ville en importance de tout l’empire romain – et là, bien vite, on trouve parmi les nouveaux croyants, non seulement des Juifs, mais des païens. Ce qui ne va pas sans problème, quand on connaît les mentalités particularistes, les sectarismes et le mépris réciproque qui existaient entre Juifs et païens. Or là, bien vite, on abolit les divisions et les différences. On ne se soucie plus de manger casher ou non, on n’applique pas les règles strictes de la religion juive aux païens non circoncis. On mange ensemble, on vit ensemble, et une seule chose compte : réaliser l’unité fraternelle dans l’amour, telle qu’elle a été recommandée par le Christ. Si bien que pour la première fois, on donne un nom à ces nouveaux membres d’une nouvelle secte, une espèce de sobriquet : ils sont appelés chrétiens, en latin christiani, c’est-à-dire « du Christ ».
Le premier concile
Arrivent de Jérusalem des disciples qui viennent semer le trouble dans la jeune communauté. « Comment, disent-ils ! Vous ne pouvez pas être chrétiens si vous ne vous faites pas circoncire ». En d’autres termes, pour être membres le la nouvelle religion, il faut passer par les prescriptions de l’ancienne. Pour devenir un bon chrétien, il faut d’abord être un bon Juif ! D’où conflit, discussions passionnées, risque de division. Que faire ? On monte à Jérusalem pour porter le débat auprès de l’autorité reconnue : les Apôtres et les Anciens. C’est alors que se tient ce qu’on appelle communément le « Concile de Jérusalem », une assemblée délibérative, où chacun peut exprimer son point de vue (c’est le passage qui est coupé dans notre lecture). Conclusion de ces délibérations : une lettre adressée aux païens convertis d’Antioche. Il n’est pas nécessaire d’être circoncis pour devenir chrétien, dit cette lettre (nous l’avons échappé belle !)
Ouvrez !
Je voudrais faire quelques remarques à ce sujet. Et d’abord, celle-ci : les auteurs de la lettre contenant les décisions prises en commun déclarent que c’est « l’Esprit Saint et nous-mêmes » qui ont pris des décisions. Les autorités de la jeune Eglise sont pleinement conscientes qu’en dernier recours, et après les échanges de points de vue opposés, c’est l’Esprit de Jésus qui parle par l’intermédiaire du « collectif » des Apôtres et des Anciens. Il y a eu, certes, des échanges démocratiques, mais en définitive, et comme il l’a promis à plusieurs reprises, c’est Jésus qui est « au milieu » de l’Assemblée rassemblée pour délibérer et confirmer ainsi les prises de décision.
Deuxième remarque : avec la jeune Eglise d’Antioche et grâce à ses initiatives, on passe d’une religion close à une religion ouverte. Jésus avait dit, avant de quitter définitivement ses amis : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma Parole ; mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui ; nous ferons chez lui notre demeure. » Il n’avait pas mis de barrières ni de prescriptions : « quelqu’un », c’est n’importe qui, pourvu qu’il aime. Pas question de circoncision ni de race. Pour le judaïsme, si quelqu’un qui n’était pas juif de naissance voulait se convertir, il fallait suivre un long cheminement et être circoncis ; il fallait également suivre toutes les prescriptions alimentaires de la religion juive. Ici, une seule chose est nécessaire, pour entrer dans l’intimité divine et la communauté fraternelle : apprendre à aimer Jésus. Certes, cette ouverture ne s’est pas faite en un jour. Et le récit de notre première lecture nous montre comment il fut difficile à la jeune Eglise de sortir du milieu culturel juif dans lequel elle avait pris naissance. Mais ce récit est important. Ce n’est pas de l’histoire ancienne.
Aujourd'hui encore
Aujourd’hui encore, nous sommes crispés sur des préjugés, même si nous ne nous en apercevons pas. Préjugés de race, de classe, de culture. Et nous prenons pour « religion » ce qui est simplement une forme de civilisation. Le danger est là, de faire, par exemple, de notre religion, une religion « romaine », et de considérer le catholicisme comme une forme de religion qui nous différencie – ou nous oppose aux protestants, aux orthodoxes, oubliant en cela que « catholique » veut dire « universel ». Donc religion ouverte, sans exclusives et sans œillères. Ouverture qui est toujours à opérer. Passage sans cesse nécessaire du « judaïsme » au « christianisme ». Le « judaïsme » est une composante de l’esprit humain : c’est la confiance en l’appartenance humaine, en la race, la nation, le régime politique. Une confiance sacralisée. Le Christ nous pousse à faire éclater tout cela. On part bien des réalités humaines, mais pour les dépasser. Une Eglise « universelle » se doit de ne rien exclure, de ne rien rejeter, de tout accueillir. Car le Christ est tout en tous. Elle se doit de rejoindre l’amour universel de Dieu.
Il m’a été donné de rencontrer, il y a quelques années, un archevêque brésilien, lui-même descendant d’esclaves. Inimaginable pour l’Occidental que je suis, cette Eglise dont il me parla, avec ses richesses et ses déficiences, certes, mais avec sa liberté d’allure et sa jeunesse. Et sa théologie « de la libération » ! Comme je lui demandais ce qu’il en pensait, il m’a simplement répondu : « Vous connaissez une autre théologie, vous, que la théologie de la libération ? » Je souhaite que l'Eglise "romaine" sache accueillir, comprendre, encourager cette Eglise sud-américaine dans ses initiatives et son originalité. Une dernière remarque. L’Eglise des premières décennies a connu des conflits : notre première lecture nous en donne un bel exemple. Les conflits internes ne manquent pas, aujourd’hui encore. A tous les échelons, à tous les niveaux. Je souhaite que chacun fasse l’effort de ne jamais en rester là, mais que tous prennent les moyens de la discussion dans des rencontres fraternelles. Elle a connu également la haine et le mépris de la part de ceux qui lui étaient étrangers. Il en est de même aujourd’hui. comme aux premiers jours. Elle a pour cause, bien souvent, l’image que nous en donnons à nos contemporains. Mais même si nous n’y sommes pour rien personnellement, cela ne doit ni nous étonner ni nous décourager. Le Christ nous a prévenus : « Ne soyez pas bouleversés et effrayés. » Quand l’écartèlement de l’Eglise apparaît, ce n’est qu’une raison de plus de croire, car le Christ, non seulement nous l’a annoncé, mais l’a vécu le premier.