Évangile de
Jésus Christ selon saint Jean (13, 31-35)
Au cours du dernier repas
que Jésus prenait avec ses disciples,
quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara :
« Maintenant le Fils de l’homme est glorifié,
et Dieu est glorifié en lui.
Si Dieu est glorifié en lui,
Dieu aussi le glorifiera ;
et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants,
c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous.
Je vous donne un commandement nouveau :
c’est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés,
vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes
disciples :
si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
oOo
"Il
faut s'aimer ! "
Un
jour, au cours d’une réunion, une personne nous a
déclaré : « Pour moi, la vie en société, c’est très simple : il
suffit de s’aimer les uns les autres ». Et il a ajouté :
« Excusez-moi de dire cela ! » On le sentait un peu gêné d’avoir
repris à son compte cette expression « s’aimer les uns les
autres », comme si c’était aujourd’hui quelque chose de
dévalué.
Effectivement, il faut reconnaître que cela fait un peu
« bondieusard ». C’est un « langage de curés ». Dire : « il faut
s’aimer », c’est un peu comme répéter « Tout le monde il est
beau tout le monde il est gentil ». Un peu comme si on était à
côté de la réalité de la vie. Il faut reconnaître, d’ailleurs,
que la réalité de la vie est diamétralement opposée à la loi de
l’amour. On vit tous une âpre compétition, depuis le plus jeune
âge, sur tous les plans, scolaire, professionnel, où le plus
fort écrase le plus faible. Pour survivre, il faut être le plus
fort, ou le plus malin, et ne pas hésiter à écraser l’autre.
Regardez ce qui motive la plupart de nos contemporains : une
incroyable volonté de puissance, un appétit de pouvoir, un désir
de possession, et même de possession de l’autre. Sur le plan
individuel comme au niveau des entreprises et des nations. Il
faut être « compétitif », il faut être un gagneur. Il y aura
donc des perdants.
Alors,
ai-je le droit de proclamer la parole du Christ, son testament,
ce « commandement nouveau » : « Aimez-vous » ? Et Jésus a
ajouté : « On vous reconnaîtra uniquement à cela, vous, mes
disciples : c’est que vous vous aimez les uns les autres ».
Originalité
Examinons d’une façon plus précise le contenu de ce
« commandement nouveau ». Jésus ne se contente pas de dire :
« Aimez-vous les uns les autres ». Déjà l’Ancien Testament
l’avait recommandé à Israël, y compris l’amour des ennemis. Chez
certains philosophes grecs, notamment Platon, on retrouve
également ce précepte. Jésus, lui, ajoute : « Comme je vous ai
aimés ». Ce qu’il y a d’original dans ce commandement nouveau,
ce qui fait sa nouveauté, c’est une manière particulière d’aimer
les autres et de les regarder comme des frères. Je voudrais
essayer de décrire cette manière particulière d’aimer « comme
Jésus a aimé ».
Regardant un peu comment Jésus a vécu, je m’aperçois qu’il y a
dans sa vie un certain nombre d’attitudes, de gestes, que je
peux transposer dans ma propre vie. Certains assez facilement,
d’autres, plus difficilement.
Un certain regard
Ce qui
me frappe d’abord, c’est son attention aux personnes. Jésus ne
passe pas à côté. Il regarde. Il y a même un certain regard. Pas
un regard dédaigneux, ou curieux, ou indifférent, mais un regard
attentif, un regard si intense qu’il veut laisser l’autre
pénétrer en soi. Regard porté sur les gens, attention
particulière pour les petits, les « marginalisés » de son
époque : enfants, femmes, malades, voleurs, collaborateurs,
mendiants. Attention privilégiée à tout ce qui est mis à l’écart
de la bonne société.
Tout
cela, chacun de nous peut le faire. Je continue. Il y a plus
qu’une attention aux autres. Il y a dans le regard de Jésus
comme une volonté de réintégrer l’autre dans sa dignité d’homme.
De le faire tenir debout, de le remettre en route. Celui qui
était malade, celui qui était exclu, celui qu’on mettait « sur
la touche », celui qui était considéré comme quantité
négligeable, pour Jésus, c’est un enfant de Dieu, quelqu’un
d’infiniment respectable. Toutes les paroles, tous les gestes du
Christ auront pour but de le faire tenir debout, pas en rampant,
pas en « s’écrasant ». Un homme qui peut regarder les autres et
leur parler d’égal à égal. Je pense en disant cela à Zachée, à
la femme adultère, à Marie de Magdala, à combien d’autres. Cela,
chacun de nous peut le faire.
Une
troisième chose qui me frappe dans l’attitude de Jésus : grâce à
lui, des gens découragés, désespérés, des gens pour qui la vie
était une suite de fatalités qui les écrasaient, peuvent se
remettre en route. Et à leur tour, ils seront capables de
regarder différemment, de faire attention, de remettre d’autres
personnes en route. Cela fait boule de neige.
Plus difficile
Il y a
aussi des choses que Jésus a faites, et qu’il nous est plus
difficile de faire. D’abord, pardonner comme lui. Vous savez, le
« Père, pardonne-leur » qu’il prononce au moment où il souffre
horriblement sur la croix, c’est quelque chose d’extraordinaire.
C’est pour nous quelque chose de difficile, le pardon des
ennemis. Pourtant on le répète tous les jours dans le « Notre
Père » ! L’amour de Jésus pour les hommes va jusque là. Il va
même plus loin : jusqu’à donner sa vie. Voilà deux choses qu’il
nous est plus difficile de réaliser. Mais nous sommes invités à
nous y entraîner.
Aimer comme Jésus
Cette
parole de Jésus devrait tout remuer en nous. Hélas, ça ne se
voit pas tellement, que nous avons appris à « aimer comme
Jésus ». Ni dans notre vie familiale, ni dans notre vie
professionnelle, ni dans notre vie de quartier. Il faut nous
interroger. Ou alors, c’est que nous acceptons définitivement le
vieux monde, où règne la domination de ceux qui ont le pouvoir,
la richesse, l’intelligence ou simplement la force physique. Si
vous voulez d’un tel monde, très bien ! Mais alors, ne dites pas
que vous êtes disciples du Christ.
Chaque
dimanche, nous célébrons l’Eucharistie. S’il y a un geste
profondément provocateur, c’est celui-là : célébrer ce que Jésus
a fait par amour, livrer son corps, verser son sang, donner sa
vie. Il faudrait avoir un certain « culot » pour aller communier
à Jésus-Christ et ne rien vouloir changer en nous. Alors,
saurons-nous travailler « pour un monde nouveau, pour un monde
d’amour ? »
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