Eh bien, moi, je vous dis...

          SIXIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5, 17-37

 Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : "Je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux.

Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu'un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien, moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal...

Vous avez appris qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Eh bien, moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire, a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur...

Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t'acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien, moi, je vous dis de ne faire aucun serment... Quand vous dites "Oui", que ce soit un "Oui" ; quand vous dites "Non", que ce soit un "Non". Tout ce qui est en plus vient du Mauvais."

oOo

Morale

Il est assez rare, vous l'avez sans doute remarqué, d'entendre Jésus, dans l’Évangile, « faire de la morale ». Mais quand il la fait, il la fait bien. D'une façon tellement abrupte que, pour beaucoup d'entre nous, ses propos d'aujourd'hui ne passent pas  Ils nous restent en travers de l'esprit. D'autre part, je sais bien que nous sommes à une époque où personne n'aime qu'on lui fasse la morale. Les jeunes... et les adultes. C'est à un tel point qu'on n'emploie même plus le mot. On parle d'éthique, de « code de déontologie » mais pas de morale. Il nous faut cependant essayer honnêtement d'accueillir aujourd'hui cette Parole de Dieu.

Dieu despote ?

Pour cela, je crois, une fois de plus, qu'il est indispensable de détruire en nous une fausse idée de Dieu. Parce que, pour nous tous, qui que nous soyons, malgré vingt siècles de christianisme, Dieu est encore considéré comme une espèce de despote, de dictateur. Celui qui commande, de l'extérieur, à une humanité qui est, entre ses mains, comme une humanité d'esclaves, qui n'a qu'à obéir, un point c'est tout. Et on parle, et on pense encore « il a plu au Seigneur », ou « le bon plaisir de Dieu. » Tout cela, il faut le débarrasser de notre esprit. Parce que Dieu est tout autre que ce que nous imaginons. Il est réellement le Tout-Autre. Il est un Dieu plein de tendresse pour l'humanité, et pour chacun de nous en particulier. Il nous a donné vie, non pas pour lui, (comme ces parents qui, hélas, « se font » un enfant. C'est terrible, de penser qu'on peut faire un enfant pour soi.) Dieu n'a pas pensé un seul instant qu'il faisait les hommes pour lui. Il les a faits pour eux. Et il les a faits libres. Ce qui, entre parenthèses, est contraire à toute la pensée des philosophes qui ont marqué nos générations, pour qui nous sommes irrémédiablement conditionnés, pour qui l'humanité va vers son destin inéluctable, tracé d'avance.

Code de la route

Il nous a créés libres. Si je sais cela : qu'il nous a créés dans sa grande tendresse, avec une totale liberté de choix, alors je vais considérer la Loi, non comme une règle qui nous vient de l'extérieur, mais comme une nécessité pour vivre. Vous avez entendu le beau texte de Ben Sirac (qui ne fait que reprendre d'autres textes bibliques, notamment du Deutéronome), qui met l'homme, l'humanité, en face d'un choix : l'eau ou le feu, la vie ou la mort. Tu as à choisir. Si je comprends cela, je vais considérer la Loi, non plus comme une obligation extérieure à moi-même, mais comme le mode d'emploi de mon existence personnelle et de l'existence en société, pour vivre. Ce qui va être totalement différent. Parce que la Loi, elle n'est que cela : un mode d'emploi. Mais elle va être cela : comme un « code de la route. »

Comportements mortifères

Le code de la route, vous l'avez appris, puis vous avez appris à le pratiquer. Au début, vous étiez obsédé par ses prescriptions. Vous étiez toujours à vous dire : il faut que je fasse attention à ceci, à cela... est-ce que j'ai la priorité ? … ne pas franchir la ligne continue... attention à ce panneau Stop ! Mais dès que vous avez acquis de l'expérience, dès que vous êtes devenus de bons conducteurs, tout cela a été assimilé, vous avez acquis des réflexes, votre conduite est devenue plus instinctive... et vous pensez à autre chose. Vous n'êtes plus obsédés par le code. Il reste que, si j'enfreins les règles du code, si je « grille » un feu rouge, je risque fortement de provoquer un accident. Et je vais provoquer la mort. C'est cela, la fonction des commandements de Dieu : si tu « grilles » un de ces commandements, tu choisiras la mort.

Au fond du coeur

Donc, c'est très important, vous comprenez : « tu ne tueras pas », « tu ne mentiras pas », « tu ne voleras pas »,etc. Ce sont des lois indispensables pour la vie en société. Mais Jésus dit : « Ne soyez pas comme les pharisiens », qui étaient comme les mauvais conducteurs, obsédés par les commandements à respecter dans la conduite de leur vie. Le bon conducteur que Jésus nous invite à être, il avance, et il voit le sens de la marche, le sens de sa vie. C'est ce que Jésus nous invite à faire, en dépassant la matérialité de l'acte, bon ou mauvais, pour aller au cœur même de l'intention ou du désir de l'homme. C'est ce qu'il veut dire à propre de « tu ne tueras pas », car il y a bien des manières de tuer quelqu’une sans passer à l'acte ; et il y a bien des manières de commettre l'adultère sans passer à l'acte. Et cela, c'est au fond du cœur de l'homme.

La vie ou la mort ?

La plupart des commandements sont des commandements « négatifs ». Quant aux commandements « positifs », qui disent ce qu'il faut faire, Jésus déclare qu'ils se résument en un seul : « tu aimeras ». Mais c'est vague, le commandement d'aimer. Il faut donc faire preuve d'initiative, d'imagination. J'en reviens toujours à cette idée de création. Je disais que Dieu nous a créés libres, c'est-à-dire qu'il nous a créés libres de nous construire nous-mêmes. J'ajoute : à son image, à sa ressemblance. Tu peux choisir la mort, donc refuser l'amour. Mais si tu choisis la vie, tu vas essayer de ressembler à Dieu.

Nous sociétés, celles d'autrefois comme celles d'aujourd'hui – nous en avons de bons exemples sous les yeux aujourd'hui – chaque fois qu'elles ont privilégié autre chose qu'un type de relations harmonieuses, équilibrées, fraternelles, un type de relations où chacun aurait sa place, ont réussi ; mais chaque fois qu'elles ont exclu cela, elles sont allées à la mort, au malheur, à la volonté de puissance, de domination. Sociétés ou individus, c'est la même chose.

Il s'agit donc de regarder vers LE modèle, Jésus, lui qui est venu accomplir la Loi, en faisant la volonté de son Père. Regardons vers Jésus, image de Dieu. Et alors notre vie sera vraie. Il faudrait sans cesse nous redire la belle parole de saint Augustin : « Aime, et fais ce que tu veux. »

Retour au sommaire