Une "Théologie pour les nuls"


L'EUCHARISTIE

 

 

 

 

 

Mosaïque de Tabgha (IVe siècle)

 

7e séquence : DIEU MERCI

Qu'est-ce qu'on dit ?

Tous les parents ont fait cette expérience : qu'il est difficile d'apprendre aux enfants à dire merci ! Que de fois n'a-t-il pas fallu leur répéter : "Qu'est-ce qu'on dit ?", chaque fois qu'on leur donnait quelque chose. Dire merci, cela nous paraît tout naturel, à nous, adultes. Comment se fait-il que ce soit si difficile d'apprendre cela aux enfants ? Au fond, en y réfléchissant un peu, on se rendra compte facilement que dire merci établit entre deux personnes une relation de dépendance, comme si le débiteur reconnaissait que le don qui lui est fait gratuitement le met en situation d'infériorité par rapport au donateur. Et on n'aime pas trop cela, se reconnaître débiteur vis-à-vis d'autrui. A moins que...

Appellations.

"Je vais à la messe", dit le catholique pratiquant. Le mot "messe" est un mot latin (missa) qui désigne l'envoi en "mission" qu'adressait le prêtre aux participants, à la fin de chaque célébration : "Ite missa est", ce qu'on avait traduit assez maladroitement par : "Allez, la messe est dite", alors qu'il s'agissait d'un envoi en mission, comme pour dire : "Ce que vous avez reçu, allez le donner aux autres". Le fidèle protestant parle de la "Sainte Cène". Le mot "Cène" est également un mot latin (cena) qui signifie le repas du soir, le souper, en souvenir du dernier repas que le Christ a pris le soir du Jeudi Saint avec ses amis. Et le chrétien orthodoxe parlera de la "Divine Eucharistie". Dans l'Église primitive, on parlait de la "fraction du pain" ou du "repas du Seigneur". De nos jours, les catholiques emploient de plus en plus fréquemment le mot "Eucharistie". Tous ces termes (et combien d'autres) expriment la richesse de la célébration dont nous sommes en train de découvrir ensemble, cette année, quelques aspects essentiels. Aujourd'hui donc, on va s'arrêter sur le terme "Eucharistie". Vous verrez son importance et comment il nous engage à faire de toute notre vie une "Eucharistie".

La Baraka.

Les Français du Maroc, au temps du protectorat, employaient couramment le mot "baraka" pour signifier "la chance". "J'ai eu la baraka", disait-on. En fait, il s'agissait d'une laïcisation du mot arabe, qui signifie "bénédiction" de Dieu, ce qui est tout autre chose. La racine sémite du mot, avec ses trois consonnes BRK, signifie à proprement parler la bénédiction de Dieu, mais aussi les remerciements qu'on adresse à Dieu pour sa bénédiction. Les Israélites avaient coutume de célébrer des "berakoth", des bénédictions par lesquelles ils exprimaient leur reconnaissance à Dieu pour ses bienfaits. On voit ainsi Jésus prononcer des "berakoth" à plusieurs reprises dans les évangiles, par exemple avant de multiplier les pains et les poissons pour la foule.

Le dernier repas.

Le soir du Jeudi Saint, Jésus a célébré une telle "beraka" en présidant le repas de ses disciples. On pourrait comparer le récit de saint Luc avec le rituel d'un repas juif tel qu'il nous est décrit dans la mishna. Dans les deux cas, on voit Jésus, comme le père de famille, bénir une première coupe au début du repas, puis bénir le pain et, à la fin du repas, bénir une deuxième fois la coupe de vin. Jésus se conforme donc aux usages courants de son temps. Mais, d'un seul coup, tout va changer : sur le pain, il vient certes, de prononcer la bénédiction, de dire merci à Dieu pour ses bienfaits, mais il le donne à ses amis en leur disant : "Ceci est mon corps donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi". De même sur la coupe finale, il prononce la bénédiction rituelle, mais il la donne à boire à ses amis en leur disant : "Cette coupe est le nouvelle Alliance en mon sang versé pour vous".
Dans tous les cas, l'Évangile traduit le mot "bénir" par le mot grec "eucharistein" que nos traductions rendent par "rendre grâce". D'où la première question que je me pose : Comment le Christ a-t-il pu dire merci à Dieu, sachant ce qui allait lui arriver, sachant que, quelques heures plus tard, il serait arrêté, jugé, battu, torturé, mis à mort ? Je n'ai pas de réponse à ma question, mais je pense qu'il fallait en être arrivé à un incroyable degré d'intimité avec le Père, comme s'il avait épousé totalement le destin du monde, pour pouvoir dire merci à ce moment-là !

Question de langage !

Pourquoi traduire le mot grec employé par le Nouveau Testament : "Eucharistein" par "rendre grâce", et non pas, simplement, par "dire merci" ? Si vous allez en Grèce, vous entendrez tout le monde, aujourd'hui, dire "evkaristô" pour "merci". Les Italiens disent "grazie", et les espagnols "gracias". Mais en Francophonie, l'expression "rendre grâce" n'est employée que dans le langage ecclésiastique. D'où ma deuxième question : pourquoi ne pas dire simplement "merci" à Dieu, plutôt que d'employer ces formules liturgiques : "Nous te rendons grâce", "Rendons grâce au Seigneur notre Dieu" ? Heureusement, dans le langage populaire, demeure l'expression courante : "Dieu merci", qui dit bien ce qu'elle veut dire. Je rêve du jour où tous les chrétiens arriveront à se mettre d'accord pour désigner d'un seul mot (un des plus beaux de notre langue) l'assemblée dominicale et dire simplement : "Nous allons dire merci", plutôt que de dire "Nous allons à la messe". 

 

Dire merci, pourquoi ?

Si vous avez un missel (tiens ! encore le vieux mot !) ouvrez-le à la Prière Eucharistique 4, et vous y trouverez , pas toutes, mais les principales raisons que nous avons de dire merci à Dieu. Je ne fais que les énumérer.
Merci pour toute la création. Spécialement pour avoir créé l'homme à son image. Pour lui avoir confié l'univers et le règne de l'homme sur la création entière.
Merci pour les nombreuses offres d'alliance que Dieu a faites à l'humanité.
Merci particulièrement pour nous avoir donné son Fils unique, Jésus.
Merci pour toute cette histoire d'amour que Jésus a vécue avec les hommes, jusqu'à donner sa vie..
Merci pour son Esprit qui poursuit son œuvre dans ce monde et achève toute sanctification.

Chacun de vous peut continuer l'énumération de toutes les raisons qu'il peut avoir de dire merci.
Tous ces "merci" à Dieu, nous pouvons les joindre, les unir au "merci" du Christ, lors de la dernière Cène.
Nous pouvons les formuler, non seulement chaque dimanche, au cœur de l'assemblée, mais chaque jour, dans votre prière. Pas besoin d'avoir beaucoup d'imagination pour trouver de multiples raisons de remercier.
Mais surtout, n'oubliez pas de dire merci.

C'était une belle messe !

On entend souvent dire, à la sortie d'une belle célébration : "C'était une belle messe !", parce qu'il y avait beaucoup de monde, que les gens ont bien chanté, que l'organiste s'en est bien tiré, que les lecteurs ont bien lu, le prêtre bien parlé, les servants se sont bien tenus... On croirait que tout dépend de nous ! En fait, même si tout cela n'existe pas, l'Eucharistie est toujours réussie parce qu'elle est don de Dieu aux hommes. J'ai eu un copain, ordonné prêtre en même temps que moi, qui a été déporté à Dachau. Il me racontait qu'il avait pu célébrer l'Eucharistie une seule fois, en cachette, avec un petit bout de pain et quelques gouttes de vin, seul, dans un recoin du tunnel où il travaillait. Eh bien, pour lui, c'était une grande Eucharistie, m'a-t-il dit. Et je le crois. Parce que l'Eucharistie est le don de Dieu, que nous avons simplement à accueillir (en n'oubliant pas de dire merci). Le don de Dieu, Corps et Sang du Christ, Vie de Dieu qui me fait vivre autrement. Car si je mange le Corps du Christ, c'est pour lui ressembler. "Deviens ce que tu as reçu" écrit saint Augustin. Et n'oublie pas de dire merci.

"N'attendez pas que votre chair soit déjà morte
N'hésitez pas, ouvrez la porte
Demandez Dieu, c'est lui qui sert,
Demandez tout, il vous l'apporte :
Il est le vivre et le couvert.

Prenez son corps dès maintenant, il vous convie
A devenir eucharistie
Et vous verrez que Dieu vous prend,
Qu'il vous héberge dans sa vie
Et vous fait hommes de son sang."

 

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