Aimez vos ennemis
SEPTIEME DIMANCHE ORDINAIRE - Année A
Le Seigneur parla à Moïse et
dit : « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël.
Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint.
Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote,
et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui.
Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Je suis le Seigneur. »
Première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (1 Co 3, 16-23)
Frères,
En ce
temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au
méchant ;
mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite,tends-lui encore l’autre.
Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
Homélie
La première lecture de ce jour nous invite à la sainteté, tout comme Matthieu à la fin de l’Evangile. Mais en citant le livre du lévitique, ce dernier a (volontairement ?) remplacé le mot « saint » par le mot « parfait », ce qui a contribué à faire croire aux chrétiens qu’être saint signifierait être parfait ! Et si on ajoute à cela les récits légendaires des saints, largement embellis pour les rendre absolument parfaits, il n’en faut pas plus pour rendre la sainteté inaccessible au commun des mortels que nous sommes. Or il n’en est rien : la sainteté est à la portée de tous et c’est la vocation de tous, comme le montrent les lectures de ce jour.
En
effet, dans cette première lecture, il nous est donné toutes les clés pour
comprendre ce que signifie être saint selon la bible : être saint, c’est
« réprimander son prochain sans pour autant le haïr » et « ne
pas garder de rancune envers lui sans pour autant tolérer sa faute » ;
voilà, c’est cela être saint, vous voyez, c’est bien à notre portée non ? J’insiste
sur la distinction que l’auteur du livre du lévitique fait entre la personne et
le mal qu’elle a fait. Cette distinction nous permet de poser sur l’autre un
regard qui le voit plus grand que le mal qu’il a fait. N’est-ce pas cela être
saint finalement ? Voir comme Dieu voit : en grand. C’est aussi ce
que dit Jésus dans l’Evangile de ce jour : « si on te
frappe sur la joue droite, tend lui encore l’autre » ! Il ne
s’agit pas de s’écraser devant ceux qui nous font du mal, mais de ne pas
répondre au mal par le mal ! Il faut répondre au mal, oui, mais par
d’autres moyens que le mal. Il s’agit d’avoir le courage de dire non à sa
propre violence, pas à la violence de l'autre, mais à la nôtre. Car chacun sait
que sans cela, notre monde n’a aucun avenir car la violence se répétera
indéfiniment par alternance d’oppresseurs devenant opprimés et d’opprimés se
transformant en oppresseurs.
Mais si l’on y regarde bien (dans le texte en français comme dans le texte grec) il est écrit : « si on te frappe sur la joue droite, tends lui l’autre ». Il n’y a pas le mot « joue » après « l’autre ». Du coup, nous pouvons entendre « l’autre », comme l’autre partie de soi-même, celle qui n’est pas violente. C’est cela qu’il faut tendre, en espérant qu’en voyant l’autre partie de toi, ton ennemi découvre, par un effet miroir, sa partie non violente à lui aussi ! C’est comme si Jésus disait : « donne à celui qui te frappe de voir, par ton attitude, qu’il possède lui aussi une partie autre que la partie violente, qu’il est plus grand que ce qu’il montre. » Voilà encore une facette de la sainteté. Et c’est bien ce à quoi nous invite St Paul dans la deuxième lecture quand il nous rappelle que « nous sommes le temple de Dieu car l’esprit de Dieu habite en nous ». Si Dieu habite en l’Homme, alors on ne peut réduire quiconque au mal qu’il a fait, on ne peut qu’espérer en lui et croire qu’il peut faire mieux que ce qu’il m’a montré jusque-là.
Si je continue ma lecture de livre des Lévites, être saint passe aussi par le fait d’oser « réprimander son compatriote ». Oser faire à l’autre un reproche, l’aider à mieux se comporter, pour le bien de tous. Or souvent, nous n’osons pas dire, par peur du conflit et, pour ne pas faire de vague, nous laissons nos proches dans la médiocrité ! Cela n’est pas une attitude évangélique, donc pas sainte non plus. Je pense à ces mots de St Paul dans son épitre aux Ephésiens : « Ayez soin d'avoir entre vous une parole bonne et constructive, capable d'édifier celui qui la reçoit" (Eph 4, 29). Jésus lui aussi en parle dans l’Evangile de Matthieu : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère. (Mt 18, 15-18). C’est ce que l’on a appelé la correction fraternelle : tout faire pour gagner son frère, vouloir toujours son bien et toujours le croire capable d’aller vers un mieux.
A ce
propos, le Pape François a ces belles paroles : La correction
fraternelle est une action pour guérir le corps de l'Église. Il y a un trou,
là, dans le tissu de l'Église, qu'il faut absolument recoudre. Et il faut le
recoudre à la manière de nos mères et de nos grands-mères qui, lorsqu'elles
reprisent un vêtement, le font avec beaucoup de délicatesse. Si tu n'es pas
capable d'exercer la correction fraternelle avec amour, avec charité, dans la
vérité et avec humilité, tu risques d'offenser, de détruire le cœur de cette
personne. Nous
ne pouvons corriger une personne sans amour et sans charité. On ne peut en
effet réaliser une intervention chirurgicale sans anesthésie : c’est
impossible, parce que sinon le patient meurt de douleur. Et la charité est
comme une anesthésie qui aide à recevoir le traitement et accepter la
correction. Il faut donc prendre notre prochain à part, avec douceur, avec
amour et lui parler. Ne nous transformons pas en juge. Nous chrétiens nous
avons cette fâcheuse tentation : nous extraire du jeu du péché et de la
grâce comme si nous étions des anges… Et bien non ! Si un chrétien, dans
sa communauté, ne fait pas les choses – également la correction fraternelle -
dans la charité, en vérité et avec humilité, il est tout sauf un chrétien
mature. Prions donc afin que le Seigneur nous aide à exercer ce service
fraternel, si beau mais si douloureux, d'aider nos frères et nos sœurs à
devenir meilleurs, et qu'il nous aide à le faire toujours avec charité, en
vérité, et avec humilité.» (Pape François le 12 sept 2014)
Vous aurez remarqué l’insistance du pape François sur la manière avec laquelle il convient de faire des reproches, (avec charité, en vérité, et avec humilité) : la sainteté se loge là aussi, dans la délicatesse. Mais pour être saint de cette manière-là, il existe une condition importante dont parle aussi l’auteur du livre du lévitique : « aimer son prochain comme soi-même », phrase reprise par Jésus, mais que nous n’avons pas toujours bien comprise voire même déformée ! En effet, nombre de chrétiens ont appris le premier terme de la phrase (aime ton prochain) mais on ne leur a pas dit la suite, (comme toi-même) ou pire, on a modifié la suite leur faisant croire que l’Evangile disait « aime ton prochain en t’oubliant toi-même » ! C’est un détournement de la Parole biblique car il ne s’agit pas de s’oublier, mais d’aimer l’autre de tout notre être, toutes nos forces, de tout notre cœur et de toute notre âme ! Et pour cela, faut s’aimer soi-même ! C’est capital, car sans amour pour soi, nous ne pouvons pas aimer notre prochain convenablement : soit nous nous enfermons sur nous-même ou devenons tyranniques soit nous cherchons autour de nous cet amour qui nous manque et faisons peser sur les autres une sorte d’emprise. S’aimer soi-même est nécessaire pour nous empêcher de mettre la main sur les autres et cesser de leur demander inconsciemment de combler notre manque d’amour que nous ne nous accordons pas à nous-même. Je l’affirme donc avec force : il n’y a que l’amour de soi qui permette d’être ajusté aux autres, donc de les aimer correctement.
Mais beaucoup pensent encore que s’aimer soi-même est une attitude égoïste. Et bien non ! Il est urgent de reconnaitre que nous sommes des êtres de qualités, des « sanctuaires de Dieu » comme le dit St Paul, « une merveille » comme le dit le psaume 139, 14 : « je te rends grâce Seigneur pour la merveille que je suis ». Dire cela n’a rien d’égoïste, au contraire, c’est reconnaitre l’action de Dieu qui fait de moi une merveille. Cela me permet aussi de poser sur mes proches, un regard qui sait voir en eux la merveille qu’ils sont, grâce à Dieu. Voilà ce que signifie être saint, vous voyez, c’est simple et à la portée de tous. Merci à l’auteur du livre du lévitique de nous avoir permis de ne pas tomber dans le piège de la perfection en nous rappelant qu’être saint ce n’est pas être parfait, mais réprimander son prochain sans pour autant le haïr, ne pas se venger, ni garder de rancune sans pour autant tolérer la faute, c’est distinguer entre la personne et le mal qu’elle a fait, la voir comme Dieu, en grand, voir son autre partie, celle où Dieu réside ; être saint, c’est aider nos frères et nos sœurs à devenir meilleurs en osant leur faire des reproches capables de les construire, et le faire toujours avec charité, vérité et humilité. Tout cela reposant sur la faculté à s’aimer soi-même, car je me sais porteur de la présence divine tout comme chacun et chacune de mes frères et sœurs en humanité.
Pour
terminer, je vous propose un petit test tout simple et très rapide pour savoir où
vous en êtes dans l’amour de vous-même : essayez de prononcer cette phrase du
psaume 139 pour vous : « Je
te rends grâce Seigneur pour la merveille que je suis », et voyez ce que
cela fait en vous. Si vous y arrivez, si vous sentez que c’est juste, alors c’est
que vous vous aimez suffisamment, si au contraire cela vous semble impossible à
dire et très prétentieux, alors c’est un signe qu’il vous faut encore
progresser un peu sur le chemin de l’amour de vous-même pour pouvoir continuer à
progresser sur le chemin de l’amour des autres.
Gilles Brocard