Les yeux levés au ciel, il priait
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean 17, 11-19
A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. Quand j’étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Ecriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. Je leur ai fait don de ta parole, et le monde les a pris en haine, parce qu’ils ne sont pas du monde, de même que moi, je ne suis pas du monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité ».
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Dégustation
Tout au long de ces dimanches après Pâques, nous lisons des passages de l'Evangile de St Jean, passages souvent difficiles à accueillir dans notre esprit, et même dans notre cœur, tellement ils sont riches et denses. Ils sont comme ces bons vins capiteux qu'on ne boit pas à grandes gorgées - ou alors c'est de l'ivrognerie - mais qu'on déguste à petites gorgées. Alors, on peut les apprécier.
Le passage d'aujourd'hui est presque la fin de ce qu'on appelle le discours après la Cène : Jésus va être arrêté dans quelques heures, il parle librement à ses amis, réunis autour de la table pour le dernier repas, il leur livre comme son testament ; mais les paroles ne suffisent plus, et la conversation se change en prière. Jésus prie pour ses amis, pour nous aujourd'hui, pour les disciples de tous les temps. Je voudrais retenir simplement une petite phrase de cette prière. Vous avez entendu combien de fois Jésus parle de ceux qui ne sont pas du monde, mais qui sont dans le monde. Qu'est-ce que çà veut dire ? Il y aurait donc deux sens au même mot : «le monde» ?
Pas fondamentalistes...
Il y a des gens qui lisent l'Evangile comme cela - on les appelle les fondamentalistes - qui prennent un bout de phrase de l'évangile et qui l'appliquent à la lettre. Vous trouvez aujourd'hui des sectes qui, parce que les chrétiens, disent-ils, ne sont pas «du monde», refusent de voter ou de faire leur service militaire. Ils refusent ce monde. Mais c'est qu'ils n'ont pas compris la réalité de ce que Jésus exprime dans cette prière. Nous ne sommes pas du monde, mais nous sommes dans le monde. Et nous avons à y travailler. D'ailleurs, quand Dieu crée ce monde, la Bible, plusieurs fois, nous dit que «Dieu vit que cela était bon». Le même évangile de Jean insistera pour nous dire que «Dieu a tant aimé ce monde qu'il lui a donné son Fils». Dieu l'aime, ce monde. Pourquoi le mépriserions-nous ?
Nous avons à aimer ce monde tel qu'il est, aujourd'hui. Mais pas en acceptant tout ce qui se passe dans ce monde ; mais pas en tolérant les soi-disant «valeurs» de ce monde. On ne peut pas tout bénir. On ne peut pas accepter un monde qui préfère les rapports de force à l'amour des autres, le bien-être personnel à la vie des autres, la richesse aux valeurs de la communication, de l'échange... un monde qui a sécrété les lois de l'économie jugées comme sacro-saintes et qui asservissent l'homme parce qu'elles sont l'expression d'une lutte pour la domination. C'est tout cela que Jésus veut nous dire quand il dit : «Vous n'êtes pas du monde». Nous n'avons pas le même esprit, nous n'avons pas la même mentalité, ou alors, c'est que nous ne sommes pas disciples de Jésus.
...mais différents
«Vous n'êtes pas du monde», cela veut dire que vous êtes différents. Une fois de plus, je vais rabâcher, mais je constate que la traduction qui nous est donnée de ce passage d'évangile n'est pas juste. Deux fois, on traduit par «consacre-les dans la vérité» l'expression grecque qui est : «sanctifie-les par la vérité». Pourquoi ? Je n'en sais rien. Mais sanctifier, je sais ce que cela veut dire. Dans la Bible, Dieu seul est saint. Ce qui signifie, au sens littéral du mot, qu'il est différent : différent des autres dieux que les hommes ont imaginés, différent donc de tout ce qu'on peut nous-mêmes imaginer quand on pense à lui. Il est le «Tout-Autre». Etre sanctifiés, c'est devenir comme Dieu. La Bible dit : «Soyez saints car moi-même je suis saint». Ce qui veut dire que le chrétien doit être différent. Il doit manifester sa différence. Ce qui ne veut pas dire que nous allons jouer les originaux, les farfelus. Ce qui veut dire que nous aurons à manifester - et «le monde» nous en voudra, nous rejettera pour cela, parce que c'est trop gênant - nous aurons à manifester des refus. Refus de certaines formes de pouvoir. Refus de la violence, refus du profit pour le profit, refus de la haine et de la vengeance, etc. Vous allez ainsi manifester votre différence.
Et si vous faites cela, certes, vous ne serez pas très bien considérés, vous n'aurez peut-être pas de très bonnes situations, mais vous trouverez une richesse infiniment plus grande : vous trouverez la joie. «Celui qui fait la vérité vient à la lumière». Soyons de ceux-là.