Deux femmes en train de moudre
Passé, présent, avenir !
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : " L'avènement du Fils de l'homme ressemblera à ce qui s'est passé à l'époque de Noé. A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu'au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme. Deux hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre est laissé. Deux femmes seront au moulin : l'une est prise, l'autre laissée. Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra. Vous le savez bien: si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n'aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Tenez-vous prêts, vous aussi : c'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra ".
Évangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 24,37-44 PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT (A) oOo Avec ce premier dimanche de l'Avent commence une nouvelle année. Pas à pas, guidés par les textes de l'évangile de Matthieu, nous allons marcher vers... Vers quoi, au fait ? Vers Noël, diront les enfants (du moins je l'espère !) Vers Noël, vers Pâques, vers Pentecôte, répondront les chrétiens plus éveillés. Oui, certes. Mais, à y regarder de près, nous marchons vers ce que ces fêtes religieuses signifient : une venue, un avènement (c'est le sens du mot " Avent "). La venue du Seigneur.
Qu'est-ce que cela peut bien signifier, la venue du Seigneur, pour chacun de nous personnellement, et pour notre humanité ? Il est venu, il y a bientôt 2000 ans. Le monde a continué de tourner, des progrès humains, scientifiques, économiques ont été faits, mais on ne peut pas dire que cette première venue de Jésus, dans un petit coin de la planète, il y a si longtemps, ait bouleversé le cours des choses. " Humblement il est venu, on ne l'a pas reconnu... ", dit la chanson. Et alors ? Les chrétiens seraient-ils des hommes tournés vers le passé, commémorant à longueur de vie un événement historique, si minime par rapport à tant d'autres événements historiques qui jalonnent l'histoire.
" Christ est venu, Christ est né, Christ a souffert, Christ est mort, Christ est ressuscité... ", tout cela, c'est de l'histoire ancienne. Les verbes sont tous au passé. Et même si c'est le fondement de notre foi, je ne crois pas qu'on puisse en rester là pour donner sens à notre vie. Car si on en reste là, Jésus devient, certes, un beau modèle d'humanité, de vie fraternelle, de don de soi ; mais seulement un modèle. " Christ reviendra " : c'est ainsi que l'anamnèse se poursuit. Alors, là, tout change. On n'est plus tournés vers le passé. Un verbe au futur. On regarde vers l'avenir.
Il reviendra. Oui certes, mais quand ? Chacun se dit : " Je crois cela, mais... ce n'est pas pour demain ". Donc, en attendant, " buvons, mangeons, marions-nous ", bref, vivons. En attendant quoi ? Qu'est-ce que j'attends aujourd'hui, vraiment, sincèrement ? Une lettre, une visite, un cadeau, un coup de fil ? C'est important, tout cela, pour moi. Je ne suis pas comme ces vieillards qu'on rencontre, parfois, dans les hospices, qui sont là, sans rien faire et sans rien dire, sans rien attendre. Mais, en y réfléchissant bien, ne sommes-nous pas, nous aussi, des petits vieux, des petites vieilles, même si nous n'avons que vingt, trente ou quarante ans ? Sommes-nous tournés vers l'avenir, ou au contraire, des petits frileux, qui ont peur de l'avenir ; qui ont peur de tout, de l'air qu'ils respirent, de l'eau qu'ils boivent, de tout ce qu'ils mangent ! Peur de l'atome, peur du progrès, peur de celui qui ne vous ressemble pas, peur de " l'étrange étranger " !
Homme de l'attente, homme de désir, le chrétien se doit d'être tourné vers l'avenir. Aussi bien saint Paul que Jésus, dans les textes bibliques de ce jour, nous invitent à nous réveiller. Serions-nous donc si endormis ? Je pense à la chanson de Dutronc " Métro, boulot, dodo. " N'est-ce pas le programme, le condensé de la vie de quantité de nos contemporains ? Sommes-nous donc tellement endormis ?
C'est vrai, je le constate dans ma propre vie. Sans être totalement endormi, je suis passablement assoupi. Sans grands enthousiasmes, sans fortes indignations. " J'y pense, puis j'oublie. C'est la vie, c'est la vie ", dit encore la chanson. Et " après tout on verra bien " L'essentiel est de tirer son épingle du jeu, de s'en sortir à moindres frais. Pendant ce temps-là, des hommes souffrent et meurent. Et je me dis : " Qu'est-ce que j'y peux ? " N'est-il pas temps de me réveiller ?
Et d'abord, il faudra que je comprenne bien le sens du mot " éveillé ". Employons-le ici au sens où l'on dit d'un enfant qui s'intéresse à tout, qui pose des questions à tout propos : " Qu'est-ce qu'il est éveillé, ce petit ! " Comme un enfant très éveillé, je ne serai donc jamais un homme blasé. Bien au contraire, je me sentirai concerné par tout ce qui se passe dans ma vie et dans la vie du monde d'aujourd'hui. A mes " pourquoi ? " répétés, il y a quelqu'un qui donne des réponses. Et avant de dire : " Christ reviendra ", je dirai : " Christ est là. "
Christ est là pour donner sens à ma vie, comme il donne sens à toute l'histoire. Pour qu'on ne tourne pas en rond ; pour que notre génération qui, dit-on " a perdu le sens ", et n'a plus de repères, retrouve une signification et une valeur à sa propre existence et à l'existence des milliards d'hommes qui sont nos contemporains, sur toute la surface de la terre. Il est là, incognito comme au temps de sa vie terrestre, mais pas indifférent.
Mon attente du retour du Seigneur n'est pas une attente passive, les bras croisés. Il s'agit de vivre, tendus vers le " Jour du Seigneur ". Car il reviendra " pour juger les vivants et les morts ". Qu'est-ce que cela veut dire ? Simplement que tous les actes, tous les gestes, toutes les entreprises de ma vie seront un jour jugés, pesés, jaugés, sur un seul critère : l'amour des petits.
C'est pourquoi, dès aujourd'hui, en ce premier dimanche de l'année liturgique, je vous révèle la fin de l'histoire. Elle est décrite au chapitre 25 du même évangile de Matthieu, qu'on lira dans un an, au dernier dimanche de cette même année. Quand il reviendra, il nous dira - rappelez-vous - " j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais malade ou en prison et vous m'avez secouru... "
Voilà ce qui donne sens et valeur à ma vie. Voilà ce qui donne sens à toute l'histoire de l'humanité. Une solidarité vécue, concrètement, quotidiennement, avec tous les exclus et tous les petits de notre monde. " Christ est venu " : il a commencé. " Christ reviendra " : il nous demandera des comptes. " Christ est là " : apprenons à le reconnaître .