Convertissez-vous
Plus grand que moi !
En ces jours-là paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée : " Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche ! " Jean est celui que désignait la parole transmise par le prophète Isaïe : " A travers le désert, une voix crie : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ". Jean portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain venaient à lui, et ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés.
Voyant des pharisiens et des sadducéens venir en grand nombre à ce baptême, il leur dit : " Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion, et n'allez pas dire en vous-mêmes : 'Nous avons Abraham pour père', car je vous le dis : avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham. Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. Moi, je vous baptise dans l'eau, pour vous amener à la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu : il tient la pelle à vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s'éteint pas ".
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 3, 1-12 DEUXIEME DIMANCHE DE L'AVENT (A) oOo Irritant !
" Convertissez-vous " ! Une fois de plus, en ce début du temps de l'Avent, Jean-Baptiste s'adresse à nous d'une manière pressante. C'est un peu irritant, cet appel réitéré à la conversion. Comment ! On nous demande une conversion ? Bien plus, la plupart des traductions prennent littéralement le sens du mot grec et nous disent : " Repentez-vous " , quand ce n'est pas une traduction littérale du latin qui nous demande : " Faites pénitence ". Se repentir ? De quoi ? Faire pénitence ? Pour quoi ? Tout cela me paraît bien négatif et pas tellement épanouissant.
Une invitation centrale
Pourtant, Jésus va inaugurer sa mission en reprenant textuellement les paroles de Jean-Baptiste, et à plusieurs reprises, il insistera sur la nécessité absolue d'une conversion, d'une repentance. De même, on trouve dans le livre des Actes des Apôtres plusieurs passages où l'on voit Pierre, puis Paul, presser leurs auditeurs de se convertir. Donc, cette invitation à la conversion est centrale dans le message du Nouveau Testament. La conversion est un préalable à toute démarche sincère pour accueillir la Bonne Nouvelle de Jésus. Commençons donc par apporter une précision. En grec, il y a deux mots pour désigner cette démarche religieuse : le premier est " conversion ", en ce sens qu'il s'agit d'un changement de direction au cours de la marche ; le deuxième, utilisé par le Nouveau Testament, indique une transformation intérieure, pratiquement un changement de mentalité : on peut en effet le traduire par " repentir ". La TOB, suivie en cela par notre Lectionnaire, a préféré le mot " conversion " en expliquant bien que cette traduction s'éloigne de l'étymologie grecque pour marquer une continuité avec l'usage courant dans l'Ancien Testament, à partir de Jérémie : un retour inconditionnel au Dieu de l'Alliance.
Faire du neuf
Quoi qu'il en soit, le terme de " conversion " me semble plus dynamique, plus positif, plus porteur. Et tout d'abord, c'est comme si la Bible nous disait aujourd'hui : " Mais oui, vous pouvez changer ! vous n'êtes pas encore momifiés à ce point qu'il n'y a plus rien à faire. Vous avez en vous des possibles à exploiter ". Bref, la Bible me fait confiance, la Parole de Dieu ne désespère pas de moi. Je ne suis pas définitivement irrécupérable ! Du nouveau peut advenir dans nos esprits, dans nos corps même. Nous ne sommes pas totalement sclérosés.
Et c'est vrai : si je ne me remets pas en question d'une façon permanente, je risque d'être figé dans mes habitudes et, très vite, je vais tourner en rond. Vous pouvez vérifier cela dans votre vie personnelle, aussi bien professionnelle que familiale, comme dans la vie de toutes les sociétés. Un homme public, un responsable d'entreprise, un chercheur qui ne se remettraient jamais en question ne peuvent pas progresser. Au mieux, ils n'auront plus de résultats, au pire, ils commettront de graves erreurs. Un médecin qui ne se tiendrait pas sans cesse au courant par une formation permanente sera vite dépassé. Un professeur qui répète inlassablement, d'année en année, les mêmes cours, est vite déconsidéré aux yeux de ses élèves. Il en va de même d'un ouvrier professionnel, d'un père ou d'une mère de famille. Il faut donc sans cesse savoir se remettre en question, renoncer à d'anciennes pratiques, critiquer ce qui a déjà réussi dans le passé, faire du neuf, être créateur et inventif ; se renouveler, de toute manière, éliminer tout ce qui nous sclérose et nous fait tourner en rond. Donc, si on ne veut pas vieillir, il est indispensable de " se convertir ", de changer nos manières de voir, nos manières de faire.
Ce qui nous apparaît comme une réflexion de bon sens sur le plan naturel, dans l'espace de notre vie humaine, devient une nécessité encore plus urgente quand il s'agit de la conversion demandée par Jean-Baptiste : il s'agit de s'ouvrir à la nouveauté absolue, à Jésus qui vient, à celui qui s'est fait " Dieu avec nous ". Alors, la conversion n'est plus d'abord un travail sur soi-même pour se rajeunir ou pour ne pas se scléroser, mais une démarche qui consiste à nous détourner du passé pour nous tourner vers le Christ, qui est notre avenir. D'où les invectives de Jean-Baptiste contre pharisiens et sadducéens. D'où les images employées par le Précurseur : une route droite dans le désert, un baptême, un tri.
En marche !
Pourquoi s'en prendre aux pharisiens, qui cherchaient à mieux comprendre et à mieux vivre la Loi de Dieu ? Pourquoi s'en prendre aux sadducéens, autorités religieuses prestigieuses, reconnues de tous ? Simplement parce que la conversion requise n'est qu'illusoire si on n'en voit pas les résultats immédiats dans la vie quotidienne, s'il n'y a pas un changement effectif dans les manières de vivre. Au fond, ces gens qui viennent entendre Jean-Baptiste au Jourdain sont considérés par lui comme les hommes du passé ; comme des gens qui se sécurisent à bon compte à cause de leur appartenance à la race d'Abraham, au peuple élu. Le Précurseur tient à leur rappeler que, comme Abraham, on ne peut être sauvé que dans une démarche de foi, c'est-à-dire de confiance absolue en une Parole. Sur une Parole entendue, Abraham a tout quitté de son passé pour aller à l'aventure, tendu jusqu'au bout par l'espérance de voir se réaliser l'avenir promis. Les enfants d'Abraham, dit Jean-Baptiste, sont ceux qui, " espérant contre toute espérance " marchent vers l'Avenir. Ils passeront par un baptême (c'est-à-dire un plongeon) pour renaître à une vie tout autre. Ils auront la possibilité, après s'être détournés de leur vie médiocre, de se tourner vers le Christ et de le reconnaître en la personne de tous les petits de la terre. Car la conversion demandée va tout bouleverser en nous. Elle consiste à penser non seulement l'homme, mais la vie en commun, les chemins de l'histoire et même le destin du monde d'une manière nouvelle. Alors que nous nous sécurisons à bon compte pourvu que rien ne bouge, Jean-Baptiste annonce que l'humanité se met - se remet - en route vers du nouveau.
Nous entrons dans l'hiver. Chacun a instinctivement la tentation de rester bien au chaud, d'hiverner comme les marmottes, de rentrer dans sa coquille. Et voilà que nous sommes invités à nous mobiliser (littéralement : nous rendre mobiles). Il s'agit de quitter nos vieilles habitudes pour nous ouvrir, simplement, à un avenir. Cet avenir a un nom : c'est Jésus qui vient.