Es-tu celui qui doit venir ?
Le plus grand dans le Royaume
Jean le Baptiste, dans sa prison, avait appris ce que faisait le Christ. Il lui envoya demander par ses disciples : " Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? " Jésus leur répondit : " Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! "
Tandis que les envoyés de Jean se retiraient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : " Qu'êtes-vous allés voir au désert ? un roseau agité par le vent ?... Alors, qu'êtes-vous donc allés voir ? un homme aux vêtements luxueux ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Qu'êtes-vous donc allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu'un prophète. C'est de lui qu'il est écrit : " Voici que j'envoie mon messager en avant de toi, pour qu'il prépare le chemin devant toi ". Oui, je vous le dis : parmi les hommes, il n'en a pas existé de plus grand que Jean-Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. "
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 11, 2-11 TROISIEME DIMANCHE DE L'AVENT (A) oOo Erreur ?
Quand Matthieu écrit son évangile, dans les années 80 de notre ère, il a sans cesse à l'esprit les questions vitales de la communauté judéo-chrétienne à laquelle il s'adresse. L'une de ces questions, et non des moindres, pourrait être formulée ainsi : " Nous avons adhéré à la foi en Jésus Christ dans l'espérance d'un monde meilleur. Cela fait maintenant des dizaines d'années qu'on vit dans cette espérance. Or, rien ne change ! On ne voit rien venir. Ne nous serions-nous pas trompés ? "
Matthieu leur répond en leur expliquant qu'il en était de même pour Jean-Baptiste, le Précurseur. Celui-ci avait annoncé la venue du Messie. Il avait même dit à ses auditeurs, au bord du Jourdain, que le Messie attendu était déjà là, au milieu de son peuple, encore incognito. Et voilà que Jean a connu des malheurs, qu'il a été jeté en prison. Les mois ont passé, Jésus continue de parcourir la Palestine, mais son ministère est totalement différent de ce que Jean attendait de lui. On peut même dire qu'il fait exactement le contraire de ce que Jean avait annoncé, lorsqu'il décrivait l'action purificatrice et vengeresse du Messie. Aussi, il se pose des questions : ne s'est-il pas trompé de Messie ? Et Jésus est-il bien celui qu'on attendait pour le salut de son peuple ?
Libération.
Jean a le bon réflexe : il s'adresse directement à l'intéressé. De sa prison, il envoie des messagers à Jésus : " Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? " Jésus lui fait répondre : " Regarde ce que je fais, et tu sauras que je suis bien celui qui doit venir. " Jésus se garde bien d'employer le mot Messie, car il sait que, pour les gens de son pays, c'est un mot piégé. Il décrit sa mission en employant des termes empruntés au prophète Isaïe. Il avait fait de même, avec les mêmes citations, dans son discours inaugural dans la synagogue de Nazareth (dans saint Luc) : il s'agit d'une libération de l'homme, de tout homme, et de tout ce qui aliène l'homme. Libération de la maladie, de la misère, de l'exclusion , de toutes les formes de ségrégation, et même libération de la mort.
Qu'est-ce que ça change ?
Jésus n'a pas guéri tous les malades, il n'a pas mis un terme à toutes les situations de misère et d'injustice. Il a simplement inauguré, en faisant quelques signes, une œuvre à poursuivre. Il s'agit, pour les premiers lecteurs de Matthieu comme pour nous aujourd'hui, d'une part de savoir lire ces signes, et d'autre part, de continuer l'œuvre inaugurée par Jésus.
Comme Jean-Baptiste, comme les chrétiens du 1er siècle pour lesquels Matthieu écrivait son Évangile, nous aussi, sans doute, nous nous sommes dit parfois : " Qu'est-ce que ça change d'être chrétien ? Et qu'est-ce que ça a changé, depuis 2000 ans, la venue du Christ ? ". Certes, depuis deux mille ans, il y a eu des progrès économiques, techniques, et même simplement humains. Mais demeurent toujours l'injustice, la guerre, la torture, les innombrables situations de misère, la faim. Qu'est-ce qui a réellement changé ? Et pourquoi l'Église s'est-elle montrée incapable de faire une société plus juste et plus fraternelle ? A notre attente impatiente, saint Jacques répond aujourd'hui " Ayez la patience du cultivateur. " Il lui faut attendre que l'hiver se passe, que le printemps voie la germination des plantes, et l'été leur mûrissement, pour qu'à l'automne enfin on puisse récolter des fruits. Il faut " donner du temps au temps ", comme disent les gens.
Changer de perspective
Il en va de même pour le croyant. D'abord, il lui faudra changer sa perspective sur Dieu : Dieu est l'ennemi de tout ce qui fait mal à l'homme. Le contraire d'un Dieu qui enverrait des " épreuves ". Le Dieu de Jésus n'est pas d'accord pour nos souffrances. Tous ces " aveugles, sourds, lépreux ", ce sont, dans la Bible, le " pauvres de Dieu " auxquels est annoncée la Bonne Nouvelle. Ils ne font qu'illustrer la pauvreté fondamentale de tout homme : la mort.
Il faut également changer notre perspective sur Jésus. Va-t-on croire qu'il est l'envoyé de Dieu, présence de Dieu ? Nous risquons tous d'être aveugles, si nous ne savons pas voir en Jésus le Fils de Dieu ; sourds, si nous avons des oreilles et n'entendons pas ; boiteux, si nous sommes incapables de marcher avec lui ; morts, si nous refusons d'entrer dans la Vie. Saurons-nous lire les signes qu'il nous fait ?
Ce n'est pas toujours facile, dans ce monde du sensationnel, de comprendre des signes si discrets, de percevoir ce qui ne se voit pas facilement, ne s'entend pas au premier abord. Par ailleurs, même en voyant quelques signes, des hommes peuvent se détourner. Ils ne comprennent pas que la puissance de Dieu, quand elle se manifeste, ne fasse pas tout de suite le bonheur de l'humanité. " Si Dieu est tout-puissant, comment se fait-il que le monde soit si mal fait ? " diront-ils.
Le Signe n° 1
Cependant, il y a un signe - j'allais dire le Signe n° 1 : c'est qu'il y ait eu des hommes et des femmes pour croire au Christ et fonder une Église. On se lamente sur l'athéisme contemporain, mais on oublie la merveille des merveilles : tous les hommes, toutes les femmes, tous les jeunes qui, aujourd'hui, donnent leur foi à " celui qui doit venir " et n'en attendent pas d'autre. Ils ont compris que le " Royaume " n'est pas un truc tout-fait. Qu'il est une tâche et leur tâche, et que Dieu est avec eux pour leur assurer qu'ils en viendrons à bout.
Ils continuent son œuvre. Avec la même pauvreté de moyens, souvent avec la même discrétion. Un jour, j'ai reçu un courrier électronique d'une jeune fille belge qui me demandait des documents capables de l'aider pour un travail qu'elle réalisait sur " les témoins de Jésus aujourd'hui ". La question m'a rendu perplexe quelques jours. Puis je lui ai répondu. En lui expliquant qu'à côté des témoins célèbres, l'abbé Pierre, mère Térésa ou sœur Emmanuelle, il y avait toute la foule " des petits, des obscurs, des sans grade " qui, à longueur de vie, travaillent pour que les aveugles voient, que les boiteux marchent...pour que la bonne nouvelle soit annoncée aux pauvres. Dans les hôpitaux ou les prisons, dans les organisations humanitaires ou les associations de défense des droits de l'homme. Je l'ai invitée à regarder autour d'elle : avec un peu d'attention, elle trouvera certainement des gens (pas nécessairement des pratiquants) qui œuvrent au service de leurs frères. Le problème, c'est que " le bien ne fait pas de bruit ", comme dit le proverbe.
Comment rendre l'Évangile crédible ? Peut-être simplement en rendant les exclus à leur humanité et à leur dignité. Quand notre souci sera la vie de l'homme, alors peut-être on nous écoutera quand nous dirons au nom de quelle espérance nous faisons cela.