L'enfant qu'elle porte vient de l'Esprit Saint
Généalogie...
Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, la mère de Jésus, était promise en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l'action du Saint Esprit. Joseph, son époux, qui était un homme juste, ne voulait pas la dénoncer publiquement ; il décida de la répudier en secret. Il avait formé ce projet, lorsque l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : " Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : l'enfant qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus (c'est-à-dire : " Le Seigneur sauve "), car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ". Tout cela arriva pour que s'accomplit la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel, qui se traduit : " Dieu-avec-nous ". Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit, et prit chez lui son épouse.
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 1, 18-24 QUATRIEME DIMANCHE DE L'AVENT (A) oOo Invraisemblable.
Ce passage d'évangile pose à nos esprits contemporains une multitude de questions. Je ne parle pas de ceux qui peuvent ironiser sur " ce pauvre Joseph " ou sur le fait d'une conception miraculeuse " par l'opération du Saint Esprit ". Plus sérieusement, on fera remarquer que de nombreuses religions antiques - voire primitives - connaissent des histoires de conceptions virginales. Plus sérieusement encore, une première lecture du texte même nous pousse à nous poser des questions : Joseph était il " marié " ou simplement " fiancé " à Marie. Au verset 16, Joseph nous est présenté comme " l'époux de Marie " et au verset 18, on nous dit que Marie était " promise en mariage à Joseph ". Au verset 19, Joseph est de nouveau " l'époux de Marie " et au verset 20, l'ange parle à Joseph de " Marie, ton épouse ". On nous dit que Joseph était un homme juste et qu'il ne voulait pas dénoncer publiquement Marie, mais qu'il voulait la répudier en secret. Drôle d'attitude, pour un homme juste : la répudiation était une démarche publique, préconisée par la loi juive ; et Marie, répudiée en secret, que serait-elle devenue, si elle s'était trouvée " fille mère ", dans la mentalité de son époque ? Bref, ce chapitre premier de l'évangile de Matthieu nous raconte une histoire invraisemblable.
Le contexte
Pour essayer d'y voir clair, il faut, comme toujours, remettre le texte dans son contexte. L'Évangile commence par les mots : " Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham ". On évoque d'emblée la première Genèse, le récit de la création. Il s'agit donc de la création d'un monde nouveau. Suit une généalogie où l'on énumère 39 personnages qui " engendrent ", avant de s'arrêter à " Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus... " Et le texte continue par ces mots : " Or voici quelle fut la genèse de Jésus Christ... " Suit le récit des doutes de Joseph, du songe et de l'annonce qui lui est faite.
On a donc successivement, sous le même titre " Genèse de Jésus Christ ", deux réalités juxtaposées : Jésus est de souche royale, descendant de David, et il est également " de Dieu " par la conception miraculeuse de Marie. Autrement dit : Matthieu explique à ses premiers lecteurs (les chrétiens d'origine juive) que Jésus est bien le Messie attendu (toute la tradition juive pensait qu'il serait un descendant de David) et que, bien mieux encore, il est " Dieu avec nous ", l'Emmanuel annoncé par le prophète Isaïe. Matthieu compose son récit selon un genre littéraire bien particulier, qui était certes plus accessible à ses lecteurs du Ier siècle qu'à nous aujourd'hui. Mais pour nos contemporains, c'est aussi important qu'au premier jour, de croire en Jésus Homme-Dieu. On le dit du bout des lèvres, chaque fois qu'on récite le Credo, mais il faut aller plus loin dans notre démarche, pour examiner les conséquences de cette profession de foi commune à tous les chrétiens du monde.
Le fruit d'une expérience
Le récit de Matthieu, comme d'ailleurs le récit de l'annonce faite à Marie dans Luc, n'a rien d'un reportage journalistique. Il est le fruit d'une expérience qu'ont faite pendant quelques années, des hommes et des femmes ; essentiellement ceux qui ont vécu avec Jésus, la génération des " témoins ". Ils ont fréquenté Jésus et, au début, ils ont été séduits par sa personnalité humaine. Pleinement homme, Jésus a vécu avec eux, a partagé leurs joies et leurs peines, leurs fatigues et leurs enthousiasmes ; il a été jusqu'à partager pleinement la souffrance et la mort humaine. " Voilà l'homme ", dira Pilate par manière de dérision, mais pour les disciples, Jésus est d'abord cela : un beau type d'homme. Et puis, voilà qu'ils s'aperçoivent que Jésus fait des gestes, des signes qu'ils lisent comme venant d'ailleurs, de plus haut et de plus grand que l'humain. Qui peut pardonner les péchés ? Qui peut guérir les malades, calmer la tempête, multiplier les pains ? A ces questions, ils répondront progressivement. D'abord en disant : " Ce Jésus, il est de Dieu ", puis : " Il est Dieu-avec-nous, l'Emmanuel ", puis " Il porte bien son nom : Jésus, c'est-à-dire le Seigneur sauve ". Et un jour, après la résurrection, ils iront proclamer au monde entier la bonne nouvelle de Jésus, Dieu-fait-homme. Et ils découvriront que le mouvement ne s'arrête pas là, qu'un mouvement inverse s'effectue : l'humanité débouche dans la vie même de Dieu. Dieu s'est fait homme pour que l'homme soit divinisé.
Cela va très loin. Saint Paul nous dit : " Vous êtes le corps du Christ. " Cela veut dire que, de même que Marie a donné à Jésus un corps charnel, de même que Joseph a donné au fils de Dieu son identité terrestre, nous avons, nous aussi, personnellement et collectivement, à re-présenter, à rendre présent au monde d'aujourd'hui cet Emmanuel, Dieu-avec-nous, Dieu parmi les hommes. Comment ? Essentiellement en reproduisant les manières d'être qui furent celles de Jésus. En étant, nous aussi, à la fois pleinement hommes et pleinement divins.
Pleinement hommes : c'est tellement important en ce siècle où sous prétexte de faire des surhommes, on a abouti à des types de relations infra-humaines, voire bestiales. Pleinement hommes dans notre vie familiale, professionnelle, affective, nous serons ceux qui cherchent quotidiennement la vérité dans toutes les formes de relations humaines. Sans vouloir dominer, sans chercher à posséder l'autre ; simplement en étant fraternels, et même en se voulant serviteurs.
Pleinement divins ? Mais comment, allez-vous me demander ? Simplement, ici encore, en contemplant le modèle. " Image visible de Dieu invisible ", Jésus est celui qui est né dans une écurie, qui a vécu une vie de pauvre (il n'avait pas une pierre où reposer sa tête), qui est mort nu sur une croix. C'est cela, Dieu. Non pas le Très-Haut, mais le " Très-Bas ", mendiant d'amour, sollicitant notre tendresse. Saurons-nous nous faire aussi petits ?