Le mont des Béatitudes et le lac de Tibériade

 Message inaugural.

 

Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait :

"Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux!
"Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !
"Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés !
"Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés !
"Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde !
"Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu !
"Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu !
"Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux !
"Heureux êtes-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux !"

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5, 1-12

QUATRIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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A contre-courant !

Voilà un étrange message de bonheur ! Et ce n'est pas étonnant que notre monde moderne, bien qu'ayant entendu depuis vingt siècles ce message de l'évangile des Béatitudes, le refuse et vive d'une manière diamétralement opposée. En effet, les valeurs de ce monde exaltent la force, la puissance, l'énergie, la volonté. Les critères de réussite sont des critères "guerriers": il s'agit de s'imposer, de se présenter face à l'autre, de lui en imposer. Et voilà que l'évangile, aujourd'hui, vante les petits, les faibles, les humbles, ceux qui n'ont rien et ceux qui ne sont rien. Il est donc normal que notre monde récuse en pratique le message des Béatitudes. D'ailleurs, nous le sentons bien, chacun de nous, au fond de lui-même, se sent dérangé : il y a quelque chose en nous qui se hérisse, quand on nous dit "Heureux les pauvres, ceux qui pleurent", et même "Heureux les doux". Alors, faut-il pleurer pour être heureux ? Faut-il connaître le malheur pour être heureux ? Que veut dire ce paradoxe de l'évangile?

Portrait-robot

En y réfléchissant un peu, nous allons essayer de voir comment ce message des Béatitudes est la seule solution possible pour notre vie en société, sur tous les plans : national, international, professionnel, familial ; et la seule solution possible pour notre vie personnelle, si nous voulons vivre heureux. Et d'abord, je voudrais vous rappeler que ce message des Béatitudes reflète toute la personnalité de Jésus. J'ai souvent dit qu'au lieu de dire : "Heureux les pauvres de cœurs, les doux..." on pouvait dire, parlant du Christ : "Heureux LE pauvre de cœur, LE doux...".

Regardez : il naît dans une écurie. Quelques jours après, c'est un gosse de réfugiés politiques. Quelques années plus tard, il est un humble travailleur, et il vivra les neuf dixièmes de sa vie comme un humble travailleur, dans un village tellement petit qu'à certaines périodes de l'histoire, on ne trouve pas ce nom de Nazareth sur les cartes. Voilà qui est le Fils de Dieu. Toute sa vie, il la passera au milieu des humbles, des petites gens ; comme disciples, il appellera quelques travailleurs, des hommes qui n'ont pas de culture, qui n'ont pas étudié dans les grandes écoles ; toute sa vie, il sera proche de ceux qui souffrent. Il vivra, dit Saint Paul, la vie des esclaves, et il mourra de la mort des esclaves, nu, sur une croix.

Transparent.

Et lui-même, parlant de ce qu'il est, alors qu'il avait tous les moyens de la puissance, étant Fils de Dieu, parce qu'il avait la possibilité de faire des choses extraordinaires, il nous dit vouloir refuser " tout ce qui le faisait égal à Dieu " pour se faire transparent à son Père. "Les œuvres que je fais, dit-il, ne sont pas les miennes, mais celles de mon Père. Les paroles que je prononce ne viennent pas de moi, mais du Père qui m'a envoyé". Il se laisse "traverser" par la volonté de son Père, il est totalement transparent, et c'est pourquoi nous pouvons savoir de la façon la plus claire qui est Dieu. A travers lui, on sait que Dieu est le Dieu des petits, des pauvres, des humbles, et c'est ainsi qu'il réalise le salut du monde. Il inaugure un monde transfiguré, dans lequel les vraies valeurs seront des valeurs de justice, de paix et de douceur.

Et aujourd'hui ?

Alors, maintenant, il faut regarder de notre côté. Et nous demander si, aujourd'hui, dans ce monde tel qu'il est, dans ce monde de violence, un monde dur, un monde d'agression (pas seulement physique ou verbale ; pas seulement entre nations, pas seulement avec des armes, mais également sur le plan économique, où règne une guerre totale, qui fait beaucoup de victimes) : dans ce monde-là, peut-on être encore aujourd'hui l'homme des Béatitudes ?

Je pense que non seulement c'est possible, mais que c'est nécessaire, indispensable. Il faut devenir le pauvre de cœur, parce que toutes les Béatitudes ne sont qu'une explicitation de la première : "Heureux les pauvres de cœur". Qu'est-ce que cela veut dire ? Il ne s'agit pas de la pauvreté de celui qui n'a rien, ou qui a peu. Cela, c'est un mal. La misère, c'est un mal qu'il faut combattre. Il s'agit d'autre chose.

Un simple maillon.

Nous sommes nés nus. Nous mourrons nus. Sans rien. C'est-à-dire que si nous nous considérons comme propriétaires de quoi que ce soit, nous sommes dans l'erreur. Bien sûr qu'à ma naissance, j'ai reçu un certain nombre de choses : un héritage, une culture, des manières de penser, une éducation ensuite, peut-être des biens matériels. Avant tout cela, j'ai reçu ce qui fait que je suis moi : un certain nombre de chromosomes, des gènes qui font que je suis différent de toi. Mais d'où vient tout ce que j'ai reçu ? De mes parents, certes ; mais mes parents n'ont fait que transmettre des éléments qu'ils avaient eux-mêmes reçus... et on peut remonter ainsi jusqu'au premier vivant, lorsqu'il a émergé du néant. C'est la chaîne de la vie. Cette vie m'a été transmise, avec toutes mes caractéristiques, non pour que je la garde, mais pour que je la transmette. Tout ce que je suis, tout ce que j'ai, je le transmettrai. Si bien que je ne peux que me considérer comme le maillon d'une immense chaîne. Ce qui me donne une certaine humilité : je ne vais pas me considérer comme le "nombril du monde". Mais ce qui me donne également une valeur : je vais me sentir solidaire de tout ce qui vit, de tous ceux qui, comme moi, sont des maillons de la même chaîne. Et ce que j'ai reçu, si je le garde pour moi (c'est cela, être riche : garder pour soi ce qu'on a et ce qu'on est, pour son profit, sa sécurité ou son plaisir, sans rien transmettre), je me coupe. Et je fais mon malheur. Et je fais le malheur des autres, puisque je ne transmets rien, puisque je ne communique pas. Se sentir pauvre, c'est le contraire de se sentir propriétaire. Se sentir pauvre, c'est se sentir gestionnaire de tout ce qu'on a, de tout ce qu'on est.

La vraie valeur.

Réfléchissez un instant : si chacun de nous mettait au service de ses frères, non seulement ce qu'il possède, mais ses dons naturels, il connaîtrait le bonheur. Car la vraie valeur, c'est d'être en relation. D'être relié, et pas coupé des autres. Ne croyez-vous pas que ce serait notre bonheur personnel ? Ne croyez-vous pas surtout que, reliés à tous ceux qui pleurent, à tous ceux qui ont faim et soif de justice, à tous ceux qui travaillent pour la paix, à tous ceux qui ouvrent leur cœur à la misère des autres, nous serions heureux, et nous construirions un monde de bonheur !

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