DES OUVRIERS POUR LA MOISSON.

 

Jésus, voyant les foules, eut pitié d'elles parce qu'elles étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : " La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson. " Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d'expulser les esprits mauvais et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, appelé Pierre, et André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélémy ; Thomas et Matthieu, le publicain ; Jacques, fils d'Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra. Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : " N'allez pas chez les païens et n'entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez vers les brebis perdues de la maison d'Israël. Sur votre route, proclamez que le Royaume des cieux est là. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. "

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 9, 36 - 10, 8

11e DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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Un peuple élu ?

Dieu a-t-il des préférences ? A relire l'Ancien Testament, on pourrait le croire. Sans parler de Caïn et Abel, ni de Noé, seul rescapé du déluge, on pourrait se demander sur quels critères il choisit Abraham parmi des millions d'être humains ; pourquoi il choisit un ramassis de pauvres immigrés pour en faire son peuple. Vous avez entendu ce qu'il leur dit après les avoir libérés d'Egypte : "Vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples - car toute la terre m'appartient - et vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte". (Exode 19, 2-6)

Pourquoi un " peuple élu " ? Et pourquoi le peuple d'Israël ? Mystère des choix divins ? En tout cas, cette manière de faire est permanente dans la Bible. Dieu choisit un homme parmi quantité d'autres (Abraham, Moïse, David, tel ou tel prophète) ; un peuple parmi tous les peuples, non pas pour ce qu'ils sont, mais pour une mission particulière : devenir le père des croyants, libérer un peuple menacé de génocide, fonder une dynastie, rappeler à l'ordre le peuple de Dieu quand il s'écarte du droit chemin. Quant à Israël, "domaine particulier" de Dieu "parmi tous les peuples", il a pour mission d'être un royaume de prêtres et une nation sainte.

Différent des autres.

Derrière ces deux dernières expressions, on découvre une mission précise concernant la relation d'Israël avec le reste de l'humanité. Ce petit peuple est "peuple de prêtres", c'est-à-dire qu'il est chargé de faire le lien entre Dieu et les hommes. Et, d'autre part, il est une "nation sainte" : elle appartient à Dieu en propre et c'est pourquoi elle est sainte, c'est-à-dire, littéralement, "différente de…" J'ai souvent expliqué cette parole de Dieu qui s'adresse à son peuple : "Soyez saints comme moi-même je suis saint" Dans l'esprit des gens d'Israël, au point de départ, leur Dieu est totalement différent des autres dieux de tous les peuples qui les entourent. Cette idée va se purifier sans cesse. Dieu créateur est différent de toute créature, par exemple. Aussi, le peuple d'Israël, particulièrement sous l'influence des prophètes, cherchera sans cesse à garder son identité en marquant bien sa différence. Historiquement, ce tout petit peuple risquait sans cesse d'être anéanti par les grands empires qui dominaient le Moyen Orient. En fait, il a survécu… jusqu'à aujourd'hui.

"Voici mon élu !"

Parmi les "élus de Dieu", le plus grand, c'est Jésus. Au jour de son baptême, Dieu le déclare : "Voici mon bien-aimé, mon élu." Il ne s'agit pas d'un plaisir arbitraire de Dieu, mais d'un choix, d'une élection, en vue d'une mission. Il est l'élu de Dieu pour "faire sa volonté", comme il le déclare tant de fois. Et la volonté de Dieu, c'est qu'il "ne perde aucun de ceux qui lui sont confiés". Car il est venu, "non pas pour condamner le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé". Et ce service de l'humanité, Jésus le remplira jusqu'au bout, jusqu'au sommet de l'amour, car "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime."

Pour une mission.

Cette mission que Dieu lui a confiée, Jésus l'inaugure seul. Pendant les premiers mois de sa vie publique, il fait la tournée des villes et des villages de Galilée. Il enseigne, il proclame la Bonne Nouvelle, il donne des signes de sa volonté de lutte contre le mal, sous toutes ses formes, le mal physique (la maladie) et le mal moral. Il manifeste ainsi sa pitié pour cette humanité, "ces foules accablées et sans réaction, comme des brebis qui n'ont pas de berger". Puis, parmi tous les disciples qui le suivent, il choisit douze "apôtres". C'est la seule fois dans tout son évangile où Matthieu emploie ce titre d'apôtre. Le mot signifie "envoyé". Effectivement, Jésus va envoyer ces douze hommes pour prolonger la mission qui est la sienne. Ils sont choisis, eux aussi, non par privilège, mais pour une mission. Comme l'avaient été, avant eux, Abraham, Moïse ou tel prophète. Comme Jésus. Concrètement, pour "chasser les esprits mauvais", esprit de domination et d'exploitation, et "guérir toute maladie". Dieu passe par quelques-uns pour sauver tous les hommes. L'amour de Dieu n'est pas global, abstrait. Il est universel parce qu'il appelle chacun par son nom : Simon, André, Jacques, Jean… aujourd'hui vous et moi.

Trop de bergers !

Car le nouveau "peuple de Dieu, nation sainte, peuple de prêtres", c'est l'Eglise, née sur la souche d'Israël. Au milieu du monde, elle n'existe pas pour elle-même, mais pour le monde. Pour ce monde actuel où les gens "errent comme des brebis sans berger". Sans berger ? Notre siècle souffre plutôt d'une surabondance de bergers. A tel point que beaucoup se demandent qui croire ! Que beaucoup ne savent quel sens donner à leur vie. Hier, Camus, Sartre, parlaient de l'absurde, du non-sens. Aujourd'hui, si les idéologies ont perdu de leur pouvoir de séduction, on trouve encore tant de bergers de toute appartenance qui promettent la vie, le bonheur, la sagesse. Non seulement dans les sectes, mais aussi chez tant d'hommes politiques. Regardez où cela mène en jetant un simple regard sur le siècle qui s'achève : deux guerres mondiales, Auchwitz et le Kosovo, l'univers concentrationnaire et le goulag, plus quelques génocides !

Peu d'ouvriers.

Et voilà que Jésus, pressentant que l'image du berger peut nous tromper, passe aussitôt à une autre image, celle de l'ouvrier. Les douze apôtres sont invités à devenir des ouvriers pour la moisson. On passe de la notion de "guide" à la notion de "travailleur". C'est plus réaliste. La moisson est-elle mûre ? Sans doute. Las de tuer ou d'être victimes, beaucoup entendent le message de la paix et de l'amour. Priez donc le maître de la moisson. Alors, vous comprendrez que le Maître vous appelle.

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