Qui vous accueille m'accueille

 L'amour sans limites

  

Jésus disait aux douze Apôtres : "Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n'est pas digne de moi. Qui veut garder sa vie pour soi la perdra ; qui perdra sa vie à cause de moi la gardera. Qui vous accueille m'accueille ; et qui m'accueille accueille celui qui m'a envoyé. Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; qui accueille un homme juste en sa qualité d'homme juste recevra une récompense d'homme juste. Et qui donnera à boire, même un simple verre d'eau fraîche, à l'un de ces petits en sa qualité de disciple, vraiment, je vous le dis : il ne perdra pas sa récompense."

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 10, 37-42

TREIZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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Accueil

Pour être capables d'accepter la parole extrêmement dure de Jésus, au début de ce passage d'Évangile, il nous faut, je crois, réfléchir sur la fin du passage où Jésus nous parle de l'accueil : accueil des disciples, à qui ce passage est primitivement destiné, et accueil, d'une manière plus générale, de tous les " petits " de ce monde, qui ont mis leurs pas dans ceux de Jésus.

J'ai peur que cette capacité d'accueil ne soit en train de se perdre dans nos civilisations urbaines de l'ère post-industrielle. Individualisme, règne du " chacun pour soi ", indifférence à l'égard des autres, et même des voisins et des proches les plus immédiats font que, souvent, plutôt que d'accueillir, on se méfie et on se ferme. Il n'est pas d'immeuble collectif moderne où l'on puisse entrer sans connaître le code ou sans avoir la clé. Et ensuite, on regardera par un petit œilleton qui est celui qui sonne à la porte. Méfiance parfois légitime peut-être, mais, en réalité, signe qu'on n'est pas disposé, même mentalement, à accueillir l'autre en toute confiance.

Un devoir sacré

Par contre, dans la civilisation qui était celle de l'époque du Christ, comme d'ailleurs dans les civilisations actuelles d'une grande partie de l'humanité d'aujourd'hui, la pratique de l'accueil est considérée comme un devoir sacré. On en a quantité d'exemples dans les littératures de l'antiquité, et particulièrement dans la Bible. Qui ne se souvient d'Abraham qui s'empresse pour accueillir les trois mystérieux visiteurs qui viennent lui annoncer que bientôt il aura un fils. Le prophète Élie avait sa chambre prête chez la Libanaise de Sarepta ; et la Sunamite propose à son mari d'aménager dans leur maison une chambre qui sera réservée au prophète Élisée chaque fois qu'il passera dans la région. La récompense de ces gestes exemplaires d'hospitalité est toujours la même : c'est le don de la vie. A Abraham sera donné un fils, Isaac, Élie ressuscitera le fils de la veuve de Sarepta, et Élisée promet à la Sunamite qu'elle aura bientôt un enfant.

Dans l'Evangile

Jésus ne s'est pas fait prier pour accepter l'hospitalité de ses amis. Les évangiles signalent particulièrement la maison de Béthanie, où il aime venir fréquemment se reposer et où Marthe et Marie auront le bonheur de retrouver leur frère Lazare ressuscité. Toujours la même récompense : la vie donnée ou redonnée en échange d'un geste d'hospitalité. Et je crois qu'il en est de même pour nos civilisations, qui risquent de mourir à force de se replier sur elles-mêmes, alors que l'hospitalité, l'accueil fraternel de l'autre, pourraient donner un regain de vie aux cultures vieillissantes qui sont les nôtres aujourd'hui. C'est d'ailleurs une loi de la nature : s'ouvrir aux autres ne peut apporter que bienfait et surcroît de vie.

C'est une question d'amour. Rappelez-vous la longue conversation de Jésus avec ses amis, autour de la table, après le dernier repas du Jeudi-Saint. Jésus leur déclare : " Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure. " Dieu veut habiter chez nous. Mais à une condition : l'aimer et observer son commandement. Or justement, quelques instants plus tôt, Jésus leur a légué, comme un testament, son commandement nouveau : " Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. " Aimer, mais pas n'importe comment (on a toujours le mot " aimer " à la bouche, tellement vague et indéterminé qu'il ne nous engage à rien de précis). Non ! Il s'agit d'aimer comme Jésus.

Les manières de Jésus

Alors, relisant les évangiles, je regarde les manières dont Jésus manifestait son amour. Et d'abord, la manière dont il faisait attention aux autres. Ce qui me frappe, c'est de le voir s'arrêter, écouter, compatir ; Jamais il ne se dit " Qu'est-ce que j'y peux ! " Lui, il fait des gestes qui tous, signifient sa volonté de soulager la misère ou la souffrance, de restaurer les hommes dans toute leur dignité, de guérir non seulement les corps, mais les esprits dérangés et les âmes enténébrées, de réintégrer les exclus au sein de la communauté. Tous les hommes, sans exclusives, mais peut-être avec une priorité pour les petits. Il sait se mettre à leur place, " dans l'axe de misère " comme disait Péguy. Un mot peut exprimer pleinement l'attitude de Jésus : le mot " accueil " Il a su pleinement s'ouvrir aux autres et les accueillir tels qu'ils étaient ; les accueillir en son cœur, et leur donner dans son cœur les premières places.

Si nous regardons comment Jésus s'est situé vis-à-vis des plus petits de ses contemporains, nous pourrons comprendre maintenant les premières paroles de ce passage d'Évangile : " Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, etc. " Son message est que l'amour vrai doit aller au-delà des liens traditionnels de solidarité au sein d'une famille, d'une tribu, d'une nation ou d'une religion. Il doit embrasser tout le monde, sans exception, mais avec, encore une fois, une priorité pour les faibles, les pauvres, les abandonnés.

Facile à dire !

Un amour universel ? C'est facile à dire, mais difficile à réaliser. Nous avons tous, spontanément, des solidarités naturelles, entre français par exemple, et à plus forte raison entre membres d'une même famille. Cela c'est naturel. Il existe même des solidarités entre membres d'un même gang de voyous. L'amour mutuel que Jésus nous demande va bien plus loin. Il consiste à aimer même nos ennemis. Il consiste à dépasser même les frontières religieuses. Vous vous rendez compte ! Il est naturel qu'il y ait une réelle fraternité entre disciples du même Seigneur. Jésus nous demande de dépasser même cette limite pour aimer tout le monde, pour ne rejeter absolument personne.

Faire tomber toutes les barrières, dépasser même les limites de la famille naturelle ou du clan, transcender la forme de solidarité qu'on éprouve naturellement : voilà ce que le Christ nous demande. Au jour du jugement, il ne nous demandera pas si nous l'avons prié ni même si nous l'avons annoncé. Il nous déclarera simplement : " J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'étais nu, malade ou en prison. Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait. "

Pas de limites à nos solidarités. Tout homme, de quelque race, de quelque religion, de quelque opinion qu'il soit, est un frère. Que notre amour soit sans aucune exclusive.

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