"...vous tous qui peinez sous le poids du fardeau"

Venez à moi

 

En ce temps-là, Jésus prit la parole : "Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l'as voulu ainsi dans ta bonté. Tout m'a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger."

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 11, 25-30

QUATORZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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Pauvreté ?

Il y a quelques années, nous étions en réunion de catéchistes pour faire le bilan de l'année, et l'une des catéchistes présentes disait combien elle regrettait qu'à des enfants de dix ans, on inflige quatre leçons consécutives sur la pauvreté. Je crois qu'elle avait raison. Par contre, pour nous adultes, il est indispensable de faire l'expérience de la pauvreté spirituelle, et d'accueillir la parole que Jésus adresse à son Père : " Merci, Père. Je te rends grâce d'avoir caché toutes ces choses aux sages et aux puissants et de les avoir révélées aux tout-petits ".

De quoi s'agit-il exactement ? Quand il parle des " tout-petits ", Jésus ne pense pas aux petits enfants, mais aux " petits " de ce monde, ceux qui ne sont pas considérés, les humbles. C'est une donnée d'ordre sociologique. On pourrait dire : les pauvres, à condition de bien s'entendre sur cette notion de pauvreté.

Inversion du sens

Au point de départ, la pauvreté, c'est un mal.. La misère; c'est quelque chose de mauvais. Donc, on ne va pas vanter ni approuver la misère. La pauvreté, pour les Hébreux, c'était plus qu'un mal. C'était une punition de Dieu. Si j'étais riche, c'est que j'étais béni de Dieu. Et plus j'avais de richesse, plus je pensais que j'étais béni de Dieu. Par contre, si j'étais dans la misère, c'est que j'avais fait quelque péché. Voilà la mentalité de l'époque. Or, il se trouve que, par suite des aléas de l'histoire, par suite de toute une série de circonstances, au cours de l'histoire du peuple de Dieu, on va inverser le sens même de la pauvreté, surtout à partir du temps de la déportation à Babylone, où les gens connaissent le dénuement le plus profond. On n'a plus rien, on est déporté. C'est à ce moment-là que se fait jour une autre idée de la pauvreté. Une pauvreté spirituelle. Qui sont les pauvres ? Non seulement ceux qui manquent du nécessaire, la veuve, l'orphelin, le malade, mais tous ceux qui ne peuvent pas compter sur eux, ni sur ce qu'ils ont, ni sur ce qu'ils sont. Et qui sont les riches ? Ceux qui sont encore capables de compter sur eux-mêmes. De là à envisager la pauvreté comme quelque chose d'essentiellement spirituel, il n'y a qu'un pas. Et l'on va dire : les pauvres, ce sont ceux qui ne comptent pas sur eux-mêmes, ceux qui sont capables de faire le déplacement de la confiance, ceux qui savent qu'il y a une valeur plus importante que la richesse matérielle, quelle qu'elle soit : c'est l'observance de la Loi, l'obéissance à la volonté de Dieu. Est pauvre celui qui déplace sa confiance et qui la met en Dieu.

Jésus, le pauvre

Jésus est l'héritier de tout ce courant de pensée. Il va travailler et vivre au milieu des pauvres et des petites gens de Galilée. Non pas comme un riche, par simple condescendance. Historiquement, il a vécu une vie de pauvre. Il est né dans une pauvre famille, dans un pauvre village. Ses premiers disciples ont tous été des pauvres gens, des simples. Si bien qu'au bout de quelques mois de prédication, Jésus s'aperçoit que ce qu'il prêche ne passe pas bien auprès de ceux qui sont riches, riches de biens matériels ou de culture. Ca ne marche pas bien avec les pharisiens, ni avec les docteurs de la Loi, ceux qui croient tout savoir. Ca ne marche pas avec les riches. Par contre, ses paroles sont accueillies par tous ceux qui attendent. Tous ceux qui sont des êtres de désir. Alors Jésus peut remercier son Père d'avoir " caché tout cela aux riches et aux savants, et de l'avoir révélé aux tout-petits ".

La tentation constante

C'est exactement, remarquez-le, la parole que Marie adressait à Elisabeth dans ce beau chant du Magnificat : " Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ". Qu'est-ce qui s'est passé ? On va comprendre cela très facilement en faisant référence, une fois de plus, à l'histoire mythique des commencements, aux premiers chapitres de la Bible. Dieu offre tout à l'homme. Mais l'homme n'arrive pas à y croire. Pour lui, Dieu est un Dieu avare, jaloux, avide de garder sa richesse et sa puissance. Alors, l'homme va essayer de prendre richesse et pouvoir. C'est le péché. C'est la tentation constante de l'homme. Ce fut la tentation de Jésus au désert. Il vient d'entendre son Père lui dire : " Tu es mon Fils, mon bien-aimé ". Et le diable lui dit : " Si tu es fils de Dieu, tu as tous les pouvoirs. Alors, prends-les, ces pouvoirs ! ".Dans la formule " Fils de Dieu ", le tentateur insiste sur le mot " Dieu ", alors que Jésus commence par le mot " fils ". Il refuse la tentation - qui est aussi la nôtre - qui consiste à mettre notre confiance dans notre avoir : dans ce que nous sommes, dans ce que nous possédons ; et à ne plus rien attendre, ni de Dieu, ni de personne d'autre. Je pense à ce garçon qui, il y a quelques années, lorsqu'il se préparait au mariage, me disait : " Moi, je ne crois en rien. Je ne crois qu'en moi. " Eh bien, il disait d'une façon extrêmement brutale ce que beaucoup de gens pensent et vivent aujourd'hui. Regardons-nous. Combien de fois n'avons-nous pas été tentés, lorsque nous avons connu des difficultés, de nous débrouiller par nous-mêmes, en faisant usage de nos relations, de notre intelligence, de notre richesse. Mais de là à faire le déplacement de la confiance et à mettre notre confiance dans l'Autre, il y a un long chemin ! Pas étonnant que " ces choses " ne nous soient pas révélées immédiatement ! Il faudra, pour y avoir accès, une conversion. Devenir des " tout-petits ".

C'est pourquoi Jésus nous invite aujourd'hui à " prendre son joug ". J'aime bien cette image du joug. C'est de là, entre parenthèses, que vient le mot " conjugal ". Le lien conjugal, c'est un homme et une femme sous le même joug. Il vaut mieux qu'ils tirent ensemble, dans le même sens. Jésus nous dit : " mon joug est léger ", parce qu'il est là, à tirer avec nous. Tirez dans le même sens que moi, nous dit-il, et nous travaillerons ensemble à faire un monde de la confiance, un monde de l'amour. Ah, nous sommes tellement inquiets, tellement stressés par la vie qu'on mène, par le souci du lendemain. Si nous pouvions entendre enfin l'appel de Jésus : " Venez à moi, et je vous procurerai le repos. "

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