D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?

Regardez : ça pousse !

 

Jésus proposa cette parabole à la foule : "Le Royaume des cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l'ivraie au milieu du blé et s'en alla. Quand la tige poussa et produisit l'épi, alors l'ivraie apparut aussi. Les serviteurs du maître vinrent lui dire : "Seigneur, n'est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?" Il leur dit : "C'est un ennemi qui a fait cela." Les serviteurs lui disent : "Alors, veux-tu que nous allions l'enlever ?" Il leur répond : "Non, de peur qu'en enlevant l'ivraie, vous n'arrachiez le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu'à la moisson ; et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : enlevez d'abord l'ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, rentrez-le dans mon grenier."

Il leur proposa une autre parabole : "Le Royaume des cieux est comparable à une graine de moutarde qu'un homme a semée dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel font leurs nids dans les branches."

Il leur dit une autre parabole : "Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu'une femme enfouit dans trois grandes mesures de farine, jusqu'à ce que toute la pâte ait levé."

Tout cela, Jésus le dit à la foule en paraboles et il ne leur disait rien sans employer de paraboles, accomplissant ainsi la parole du prophète : "C'est en paraboles que je parlerai, je proclamerai des choses cachées depuis les origines."

Alors, laissant la foule, il vint à la maison. Ses disciples s'approchèrent et lui dirent : "Explique-nous clairement la parabole de l'ivraie dans le champ." Il leur répondit : "Celui qui sème de bon grain, c'est le Fils de l'homme ; le champ, c'est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ; l'ivraie, ce sont les fils du Mauvais. L'ennemi qui l'a semée, c'est le diable ; la moisson, c'est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. De même que l'on enlève l'ivraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l'homme enverra ses anges et ils enlèveront de son Royaume tous ceux qui font tomber les autres et ceux qui commettent le mal ; et ils les jetteront dans la fournaise : là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père.

Celui qui a des oreilles, qu'il entende !"

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 13, 24-43

SEIZIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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Invitation

De quoi nous parle donc cette parabole de l'ivraie et du bon grain ? Elle nous dit qu'il y a dans le monde des " fils du Royaume " et des " fils du Mauvais ". Tous sont fils de Dieu, mais certains se font disciples de l'Évangile, d'autres, disciples du mal. Notons au passage que ceux qui sont exclus du Royaume ne sont pas définis ici comme des incroyants, ou des gens qui n'appartiennent pas aux disciples du Christ, mais comme " ceux qui font tomber les autres et ceux qui commettent le mal ". Il ne s'agit donc pas d'une distinction entre les chrétiens et les autres. C'est important de le souligner, car la parabole dit qu'il peut y avoir confusion entre le blé et l'ivraie, qu'on peut arracher l'un en croyant arracher l'autre. Les apparences peuvent être trompeuses. Aussi la pointe de la parabole est " Laissez-les croître. " C'est une invitation à la circonspection et à la tolérance. Nous n'avons pas à nous faire juges de nos frères et à décider qui est " bon " et qui est " mauvais ". C'est une illustration de " Ne jugez pas ".

La paille et la poutre

A première vue en effet, nous risquerions de nous sentir confirmés dans notre manière manichéenne de regarder le monde. Or justement, la parabole est là pour nous dissuader de faire le tri. Le jugement est renvoyé hors de l'histoire. Se mêler de vouloir arracher les " mauvais ", s'ériger en justiciers serait une tentation d'aveugles : nous ne saurions pas ce que nous arrachons exactement. Peut-être parce que le bon grain et l'ivraie, s'ils existent en-dehors de nous, coexistent aussi en nous, ce qui trouble notre regard. La fameuse poutre nous empêche de discerner la paille. La pire perversion consiste à voir toute la justice de notre côté, à estimer que nous pensons " bien ", que nous agissions " comme il faut ", et à juger les autres depuis cette position privilégiée qui n'est autre que la place de Dieu.

Laisser à l'ivraie sa chance

Comme pour la parabole du semeur, l'évangéliste utilise un enseignement du Christ pour répondre à un souci des chrétiens auxquels il s'adresse. Pourquoi y a-t-il des persécuteurs (ceux qui font tomber) ? Pourquoi y a-t-il des exploiteurs, des escrocs, des calomniateurs (ceux qui font le mal) ? Pourquoi Dieu ne les élimine-t-il pas ? Pourquoi nous-mêmes ne nous chargeons-nous pas de les liquider ? Vieilles questions, vieilles tentations, mais sans une ride encore aujourd'hui. L'esprit de croisade n'est pas mort, à droite comme à gauche, pour " purifier " l'Église et pour purifier le monde. Jésus répond que le jugement n'est pas pour maintenant. Au fond, il faut laisser à l'ivraie sa chance : sa chance de devenir blé. Voir Augustin, Paul, François d'Assise, Charles de Foucauld, et combien d'autres…

Dieu n'est qu'Amour

Cette parabole serait un peu plate si elle se contentait de nous donner une leçon de morale, une règle de comportement. En réalité, à l'arrière-plan, il y a une révélation sur Dieu : si l'homme doit être patient, tolérant, etc., c'est parce que Dieu est ainsi. Et là, nous pouvons reprendre la première lecture de ce jour : Dieu prend soin de toute chose, même de l'ivraie. Les chefs de ce monde ont une puissance fragile, toujours un peu usurpée : ils ont besoin de réprimer. Dieu ne se défend pas, il ne réprime pas. Il se laisse faire. Il se laisse crucifier et il pardonne à ceux qui le crucifient. Partout dans l'Évangile on voit des " justes " s'insurger contre l'attitude de Dieu envers les pécheurs. Rappelez-vous la parabole du fils prodigue. On en revient toujours au même point : Dieu est amour.

Seulement, si nous sommes jugés par l'amour, nous sommes pesés au poids de notre amour.

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