DONNE-NOUS NOTRE PAIN QUOTIDIEN.

 

Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l'écart. Les foules l'apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de pitié envers eux et guérit les infirmes. Le soir venu, les disciples s'approchèrent et lui dirent : "L'endroit est désert et il se fait tard. Renvoie donc la foule : qu'ils aillent dans les villages s'acheter à manger !" Mais Jésus leur dit : "Ils n'ont pas besoin de s'en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger." Alors ils lui disent : "Nous n'avons là que cinq pains et deux poissons." Jésus dit : "Apportez-les-moi ici." Puis, ordonnant à la foule de s'asseoir sur l'herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule. Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants.

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 14, 13-21

DIX-HUITIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A)

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Pourquoi ?

Les quatre évangiles ont rapporté six fois ce miracle de la multiplication des pains. Pourquoi ? Peut-être parce que le signe qu'a fait Jésus a frappé considérablement les esprits de ceux qui en ont été témoins. Pensez donc ! Avec cinq pains et deux poissons, nourrir cinq mille hommes, sans compter femmes et enfants ! Et il en est resté ! Sans doute, également, parce que le miracle de Jésus était une réponse à la préoccupation primordiale de l'humanité, depuis ses débuts jusqu'à nos jours : comment trouver à manger ? Mao Tse Tung le disait aux Chinois dans les années 60 : " Quelle est la chose la plus importante ? C'est de pouvoir manger tous les jours ". Il ne faisait que reprendre l'initiative de Jésus qui, pour nous apprendre à prier, nous fait demander à Dieu : " Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour ".

Mais je crois que l'intention des évangélistes va plus loin. N'oublions jamais que l'Evangile n'est pas un reportage sur les faits et gestes d'un nommé Jésus, mais d'abord une catéchèse adressée aux communautés de croyants du Ier siècle de notre ère, comme aux croyants de toutes les époques, et à nous aujourd'hui. Quel enseignement les évangélistes veulent-ils nous donner ?

Le contexte.

Pour le comprendre, il faut remettre l'événement dans son contexte historique. Jésus vient d'apprendre l'exécution de Jean-Baptiste. A cette nouvelle, il se retire vers un lieu désert. Ce n'est pas nécessairement une fuite, mais il pressent que son propre destin sera identique à celui de son cousin. Or, " son heure n'est pas encore venue ". Pour le moment, il a besoin de se retirer pour prier et réfléchir ; Jésus aimait son cousin. On lui rapporte les circonstances de sa mort : Hérode a donné un banquet au cours duquel fut consommée la vie d'un homme, Jean-Baptiste. Jésus fera un signe en sens contraire : il dresse une table au désert où il nourrit cinq mille hommes, signe qu'il veut donner sa propre vie. Essayons de comprendre la signification de ce geste.

Dans le texte, il est question de désert. Première allusion directe, pour le lecteur imprégné de culture biblique, à la longue marche dans le désert du Sinaï, au cours de laquelle, pendant quarante ans, Dieu a nourri son peuple. Allusion également au miracle du prophète Elisée qui, lui, a nourri cent personnes avec vingt pains d'orge et de blé. Réalisation des promesses du prophète Isaïe : " Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Ecoutez-moi donc : mangez de bonnes choses . Régalez-vous… ". Donc Jésus est dans la continuité. Il veut nous montrer que Dieu aura toujours " pitié de cette foule ".

La catéchèse contenue dans ce récit de miracle va plus loin. Tous les gestes de Jésus évoquent irrésistiblement le dernier repas qu'il a pris avec ses disciples, la veille de sa mort, et au cours duquel il a institué l'Eucharistie : il lève son regard vers le ciel, il prononce la bénédiction, puis il rompt le pain et le donne. L'évangile de Jean, rapportant lui aussi ces faits et gestes de Jésus, précisera que c'était là un signe qu'il nous faisait : c'est le don de sa propre humanité, de sa propre vie que Jésus annonçait.

Donnez-leur vous-mêmes à manger.

Troisième indication importante dans ces récits : Luc et Marc, aussi bien que Matthieu, rapportent l'ordre de Jésus : " Donnez-leur vous-mêmes à manger ". Dans le même sens, tous trois indiquent que c'est entre les mains des disciples, chargés de la distribution à la foule, que se fait la multiplication de la nourriture : " Jésus donnait les pains aux disciples pour qu'ils les offrent aux gens. "

Nous n'allons pas nous contenter de nous extasier devant un tel miracle ! Il faut que le signe devienne parlant pour nous aujourd'hui. Et tout d'abord, qu'il soit réconfortant. L'évangile nous dit qu'une grande foule avait suivi Jésus à pied, venant de leurs divers villages. Des gens qui, certainement, avaient privilégié un seul désir : voir et entendre le Maître, sans se soucier de leur nourriture. Leur première préoccupation n'était donc plus une préoccupation matérielle. Ils n'hésitaient pas à " perdre du temps " pour Jésus. Aujourd'hui encore, même si vous n'êtes pas très nombreux dans cette église, même si vous n'êtes qu'une petite minorité, vous savez bien que vous faites partie de ces foules qui, à travers le monde, se rassemblent en ce dimanche pour se nourrir de la parole de Dieu et du Corps du Christ. Vous, ici, qui avez encore le temps de " perdre votre temps " pour aller à la messe. C'est un acte gratuit, un geste de fidélité, une démarche parfois difficile, que vous faites chaque dimanche, parce que vous savez que " l'homme ne vit pas seulement de pain ", parce que vous ressentez le besoin d'une autre nourriture. Jésus nous accueille tels que nous sommes. Nous ne sommes peut-être pas toujours des chrétiens de première qualité ! Mais nous sommes des gens qui ont faim et soif de quelque chose. Et Jésus nous nourrit de sa Parole et de son Corps.

Une dernière chose. C'est à nous, les disciples d'aujourd'hui, que Jésus répète : " Donnez-leur vous-mêmes à manger ". Parmi nos contemporains, il y a sans doute ceux qui n'ont pas faim, qui sont " repus ". Mais je crois qu'il y en a beaucoup qui, sans les exprimer clairement, ressentent des faims plus ou moins spirituelles. D'autre part, il y a tous ceux qui proposent d'autres nourritures. A nous de faire preuve d'imagination pour savoir discerner, chez tous ceux que la vie met sur notre route, quelles sont leurs faims, leurs désirs, leurs aspirations. A nous de faire preuve d'imagination pour leur proposer de chercher du côté de Celui qui nous redit sans cesse : " Je suis le chemin. "

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