La barque était battue par les vagues
N'ayez pas peur
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l'autre rive, pendant qu'il renverrait les foules. Quand il les eût renvoyées, il se rendit sur la montagne, à l'écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient : "C'est un fantôme", et la peur leur fit pousser des cris. Mais aussitôt Jésus leur parla : "Confiance ! C'est moi ; n'ayez pas peur !" Pierre prit alors la parole : "Seigneur, si c'est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l'eau." Jésus lui dit : "Viens !" Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant qu'il y avait du vent, il eut peur ; et comme il commençait à enfoncer, il cria : "Seigneur, sauve-moi !" Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit : "Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?" Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors, ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : "Vraiment, tu es le Fils de Dieu !"
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 14, 23-33 DIX-NEUVIEME DIMANCHE ORDINAIRE (A) oOo Un rappel
Commençons par un bref rappel des événements. On est venu annoncer à Jésus la mort de Jean-Baptiste. Aussitôt, il est monté dans une barque et s'est retiré dans la solitude ; mais la foule l'a suivi à pied, si bien qu'en débarquant de l'autre côté du lac, dans un endroit désert, il se trouve en présence d'une foule considérable. Et ce n'est qu'après avoir guéri les malades et nourri la foule que Jésus peut monter dans la montagne pour prier. Les disciples, quant à eux, sont repartis en barque, où ils vont essuyer une violente tempête. C'est dans ce contexte que Jésus va faire un troisième signe - après les guérisons et la multiplication des pains - en réponse au meurtre de Jean-Baptiste. Et ce troisième signe est le plus fort : il va marcher sur les eaux. Ce faisant, il veut signifier qu'il piétine l'abîme, qu'il soumet et domine les eaux mortelles. L'homme peut bien tuer, Dieu marche sur la mort. Et si Pierre vient à Jésus sur les eaux, c'est que l'homme aussi marchera sur la mort.
Significatif
L'aventure de Pierre, cette nuit-là, est significative. Il commence par manifester sa foi. Il comprend que si Jésus marche sur la mer, s'il foule aux pieds les eaux hostiles, il doit en faire autant. Il a choisi d'être avec le Christ, comme le Christ a choisi d'être Dieu avec nous. Là où est le maître, là aussi doit être le disciple. " Ordonne-moi de venir à toi ", dit-il. Ainsi, à l'heure de la Passion, il déclarera encore à Jésus : " Je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort ". Il quitte donc la barque et s'aventure sur l'eau, sur l'abîme de la mort. Mais voilà que brusquement il sort de son rêve. Il réalise l'absurdité de la situation où il s'est mis. Sa foi le soutenait. Sur l'eau, elle défaille. Il passe de la foi à la peur et commence à couler. Cependant, au fond de lui demeure une certitude et il crie vers Jésus. Il sait que celui qui marche sur la mort peut sauver sa vie. Et Jésus le prend par la main. C'est cette prise de cette main divine sur notre existence qui nous sauve. Et cela seul, au-delà de nos prétentions à pouvoir nous maintenir nous-mêmes à flot et de nos efforts pour cela. " Il étendit sa main, me saisit et me retira des grandes eaux ", chante le psaume 19. Dans la nuit où Jésus est arrêté, la foi de Pierre va être mise à rude épreuve. Lui qui croyait avoir une foi " en béton " va couler à pic. Par trois fois, il niera connaître Jésus. Et cette fois, Jésus ligoté ne pourra même pas lui tendre la main ; il lui suffira d'un regard pour que Pierre puisse refaire surface. Il ne faudra plus que quelques semaines pour que Pierre puisse proclamer sa foi et son amour et pour que Jésus le confirme dans sa mission. Il faudra encore quelques dizaines d'années de mission avant qu'il ne suive son maître, courageusement, jusqu'au bout, jusqu'au martyre, le suprême témoignage.
La barque de Pierre
Il est courant de comparer l'Église à une barque. On parle de " la barque de l'Église ", de " la barque de Pierre ". L'image est parlante. " Fluctuat nec mergitur " : on peut lui appliquer la devise de la ville de Paris. Elle flotte, mais ne coule pas. Pourtant, elle en a déjà essuyé, des tempêtes, au long de ces vingt derniers siècles. Et aujourd'hui encore, " elle est battue par les vagues, le vent étant contraire ". Elle nous transporte, nous, pauvres croyants, souvent habités par la peur et prenant Dieu pour un fantôme. Le Christ s'approche et on ne le reconnaît pas. Ainsi Jésus après sa résurrection sera pris également pour un fantôme, dans la stupeur et l'effroi.
Quand Matthieu écrivait son évangile, quelque quarante ou cinquante ans après les faits, il écrivait déjà pour une Église " battue par les vagues, le vent étant contraire ". Église plus ou moins persécutée, rejetée par les juifs, affrontée à l'indifférence des païens. A cette première génération chrétienne, rapportant un épisode mystérieux de la vie de Jésus, il veut faire comprendre aux croyants ce qu'ils vivent. Illustration de la parole de Jésus : " N'ayez pas peur ! " La peur est mauvaise conseillère. Elle risque sans cesse de faire perdre pied et de noyer. Ce que Matthieu rappelait à ses premiers lecteurs, il nous le redit à nous aujourd'hui. L'image de ces deux hommes marchant l'un vers l'autre dans la nuit sur les grandes eaux de la mort doit nous rester présente, car c'est cela que nous vivons, à l'heure de notre mort, mais aussi tous les jours de notre vie. La foi nous porte au-dessus de l'abîme mais notre foi souvent faiblit, et alors nous coulons. La peur nous enfonce, mais cet Evangile est écrit pour que nous n'ayons pas peur de notre peur. Puisque Pierre, le rocher solide sur lequel Dieu bâtit, a eu peur, ne soyons pas surpris, pierres vivantes mais fragiles de l'édifice de Dieu, d'avoir peur et de frôler le naufrage. Il y a toujours cette main pour nous saisir. C'est sur elle que nous pouvons et devons compter.
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